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3 octobre 2007

Les représentations de l’histoire

Une tribune libre dans  l'Humanité du 26/09/07 par Cynthia Fleury.

Les anniversaires se suivent et se ressemblent… C’était il y a un an, dans l’amphithéâtre de l’université de Ratisbonne… Le Saint-Père, évoquant ses années « ratzingeriennes » passées à l’Institut supérieur de Freising, discourait alors devant les représentants du monde des sciences sur les liens ambivalents entre la foi, la raison et l’université… et rendait un arbitrage très contestable entre islam et christianisme… C’était il y a six ans que les deux tours jumelles du World Trade Center s’écroulaient sous l’attaque des avions suicide… et lançaient un rituel d’un genre nouveau, celui des vidéos d’al Qaeda et Cie s’égrenant comme les perles d’un chapelet vidéo-numérique… C’était il y a près de huit siècles qu’une rencontre improbable, entre un saint et un sultan, avait lieu et inaugurait une foultitude d’interprétations et de récupérations spirito-idéologiques… Et voilà qu’enfin, bien loin de vouloir établir la vérité historique, désormais perdue, de ce qui s’est passé entre les deux hommes en septembre 1219, l’historien John Tolan se propose dans son dernier ouvrage (*) « d’observer la manière dont les images changeantes de cette rencontre présentent un portrait des peurs et des espoirs que suscite la rencontre entre l’Europe chrétienne et l’Orient musulman ».

Si l’on schématise, les historiens s’accordent sur les faits suivants : « La traversée audacieuse de François et de son compagnon, l’entretien poli et respectueux avec le sultan, l’estime que celui-ci manifeste pour leurs intentions, l’escorte armée qu’il leur fournit pour le retour des croisés. » Ensuite, les imaginaires des uns et des autres s’emparent de la rencontre et l’histoire peut enfin commencer…

De 1220 à 1337, Jacques de Vitry, évêque de Saint-Jean-d’Acre, fait de la visite de François d’Assise à Malik Al Kâmil, le modèle de la vie évangélique et du renouveau spirituel de l’Église : qui sait si - avec plus de temps - la prédication de François n’aurait pas réussi là où la croisade a échoué ? Le processus de sanctification est alors bien en marche : malgré le fait que les chroniqueurs contemporains semblent attribuer à la visite du saint une influence quasi nulle, Jacques en fait la figure centrale du triomphe du christianisme, en lui attribuant la capacité de convaincre sans les armes, simplement par la force de la foi.

À l’inverse, la chronique dite d’Ernoul préfère magnifier le rôle du sultan, en louant sa sagesse et sa générosité et l’inefficacité définitive de la démarche des clercs… Quant à Thomas de Celano, chargé d’écrire la vie de François en vue de sa canonisation, il s’attarde peu sur l’événement de la rencontre, privilégiant la « soif de martyre » dont témoigne le futur saint.

John Tolan s’en remet alors à l’oeuvre de Bonaventure, ministre général de l’ordre franciscain, qui finit de placer « la mission de François en Égypte sous le signe de son amour brûlant pour Dieu ». Pour prouver la vérité du christianisme, François aurait proposé de pénétrer dans un feu avec les « prêtres sarrasins. Ceux-ci refusèrent l’épreuve et le saint proposa d’affronter seul les flammes, ce que le sultan refusa également. Ainsi, conclut Bonaventure, François aurait prouvé que la raison seule ne suffit pas à montrer la vérité du christianisme et que l’éclat du miracle est parfois nécessaire pour incliner les coeurs des infidèles vers la vraie religion ». Plus tard, François d’Assise sera, tour à tour, transformé - par Voltaire - en « fanatique face à un sultan sage et tolérant », et métamorphosé en « apôtre de la paix » par les auteurs des XXe et XXIe siècles. « Les paroles échangées dans la tente du sultan, écrit John Tolan, deviennent des pourparlers amicaux durant lesquels François aurait prêché la paix ; les deux hommes se seraient découvert une spiritualité commune et une complicité profonde et, à cette occasion, François se serait même initié au soufisme. Dans le contexte souvent sanglant de la décolonisation du Moyen-Orient et du Maghreb, de nombreux nationalistes arabes reprochent aux impérialistes d’Occident - Anglais, Français puis Américains - d’être les héritiers des croisés fanatiques d’antan. Certains auteurs occidentaux rêvent d’une alternative pacifique : si les croisés sont les précurseurs des impérialistes, François devient en quelque sorte l’ancêtre des pacifistes européens du XXe siècle, des opposants à la violence coloniale et aux guerres du Moyen-Orient - jusqu’à la guerre en Irak de George Bush ». En somme, derrière le prétendu « choc des civilisations », toujours l’irrésistible choc des mémoires.

(*) John Tolan, le Saint chez le sultan. La rencontre de François d’Assise et de l’islam. Huit siècles d’interprétation. Le Seuil, 2007.

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