Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A l'indépendant
Publicité
  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 420 533
24 novembre 2007

Individualisme et démocratie

ATTAC
Le Petit Alter
Sous la direction de Jean-Marie Harribey
Dictionnaire altermondialiste
Paris, Mille et une nuits, 2006

*****************************************

Individu
(pp.183-185)


Quand ils analysent la réalité sociale, certains penseurs partent des individus et font des phénomènes collectifs de simples agrégations des actions individuelles. C’est le cas du libéralisme économique avec la figure de l’Homo œconomicus. On parle d’individualisme méthodologique. Á l’inverse, d’autres partent du « tout » de la société, en tant qu’irréductible à ses composantes individuelles. On parle de holisme méthodologique. Mais une partie importante des sciences sociales a pris une voie différente : ce qui serait premier dans l’analyse ce ne serait ni les individus, ni la société, mais les relations sociales qui lient les individus. Dans cette perspective, l’individualité de chaque être humain ne serait pas un ensemble isolé, mais le produit de relations sociales, comme Marx en a eu l’intuition. Bourdieu a affiné cette voie avec la notion d’habitus, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions emmagasinées par un individu au cours des différentes phases de sa socialisation (famille, école, etc.). Pour Bourdieu, chacun serait la combinaison singulière, unique, de ses relations sociales. Relations sociales et singularité individuelle ne seraient pas opposées mais associées.
Les sociétés humaines ont toujours été composées d’unités individuelles, d’individus. Mais le statut de ces individus a varié. L’anthropologue Louis Dumont (1911-1998) a ainsi distingué les sociétés holistes et les sociétés individualistes. Dans les sociétés holistes, de loin les plus nombreuses dans l’histoire humaine, les individus sont sous dépendance hiérarchique du « tout » de la société ou de la communauté ; le « nous » prédomine sur le « je ». Dans les sociétés individualistes, plus récentes et propres aux civilisations occidentales modernes, l’individu, associé aux valeurs d’égalité et de liberté, est devenu la référence principale ; le « je » prime sur le « nous ». Le sociologue Norbert Elias (1897-1990) a ainsi amorcé l’étude du processus d’individualisation qui a caractérisé l’Occident depuis la Renaissance (fin XIVe-début XVIIe siècles) et a conduit au développement de sociétés plus individualistes et d’individus plus individualisés.
Dans la période actuelle, l’individualisme des sociétés occidentales, avec des effets sur les autres sociétés, s’est approfondi. Cet individualisme contemporain révèle une double face : des aspects déstabilisateurs pour les sociétés (affaiblissement du lien social et des repères collectifs) comme pour les individus (émergence de nouvelles pathologies narcissiques, dans la tyrannie de sa propre image, notamment), mais aussi des acquis émancipateurs (droits individuels et citoyenneté, élargissement des marges d’autonomie des individus dans la vie quotidienne, développement d’une intimité personnelle, etc.), en relation étroite avec la libération des cadres traditionnels de la famille patriarcale (mouvement de libération des femmes, nouveaux droits des enfants ou amorce de reconnaissance des modes de vie homosexuels). Sur le plan d’une action collective, cet individualisme contemporain développe de nouveaux enjeux : il a des effets perturbateurs sur l’engagement personnel dans des cadres collectifs, tout en poussant à l’invention de formes militantes plus respectueuses des rythmes individuels.
L’individualisme contemporain apparaît comme le produit d’une pluralité de logiques sociales en interaction : logique économique de l’individualisme marchand approfondie par le néolibéralisme et le management néocapitaliste de ces dernières années, logique politique de l’individualisme démocratique, dynamique juridique des droits individuels ou logiques sociétales associées aux transformations de la famille et de l’intimité. Une telle vue pluraliste de l’individualisme conduit à éviter les diagnostics simplistes : l’individualisme ne doit pas être réduit à un produit du néolibéralisme. Le néolibéralisme peut même être également critiqué au nom d’une certaine conception de l’individualité, une individualité non marchande.
Cette critique individualiste du néolibéralisme peut trouver des ressources chez Marx. Ce dernier n’a pas seulement pointé la contradiction capital/travail – privilégiée par les lectures « collectivistes » de son œuvre –, mais aussi une contradiction capital/nature ou une contradiction capital/individualité. Dans cette dernière perspective, le capitalisme participerait à une individualisation plus poussée, et donc à des désirs d’épanouissement personnel stimulés, mais, dans le même temps, il limiterait et tronquerait l’individualité par la marchandisation des désirs. La réduction commerciale de l’individualité ferait naître des aspirations à la réalisation individuelle qu’il ne pourrait pas vraiment satisfaire dans le cadre de sa dynamique d’accumulation du capital, générant alors des frustrations. Cette contradiction se trouverait exacerbée dans le capitalisme contemporain, insistant davantage sur « l’autonomie » et « la personnalité » des salariés, mais toujours au service d’une logique de profit.
Un des défis du mouvement altermondialiste est alors de politiser non seulement la contradiction capital/travail (par une politique de justice sociale), mais aussi les autres contradictions du capitalisme comme la contradiction capital/nature (par une politique écologiste) et la contradiction capital/individualité (par une politique de l’individualité).

Retour à l'accueil

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité