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26 décembre 2007

Il y aurait deux France ? Par Patrick Braouzec

Monsieur le Président,

Le 11 décembre, à Vandœuvre-lès-Nancy, vous avez prononcé un discours sur la question du logement. Ma réaction ne concernera pas les propos que vous avez tenus sur ce thème. Non ! Je m’arrêterai aux trois premières phrases de votre intervention. Je vous cite : «Je suis heureux de me trouver parmi vous en Lorraine, parce que la Lorraine, c’est la France, la véritable France, telle que je la connais, telle que je la ressens, telle que je l’aime. Ici, c’est la France dont on parle peu, parce qu’elle se plaint peu. Ici, c’est la France qui croit au mérite, à l’effort, c’est la France qui veut qu’on la respecte.»

Dire que ces propos m’ont profondément choqué est bien en deçà des sentiments qui m’ont traversé à leur lecture : révolte et honte.

A vos yeux, il y aurait donc deux France : «la véritable», et par conséquent la fausse, l’illégitime ; celle que vous aimez, et celle que vous n’aimez pas ; celle que vous ressentez, et celle que vous ne calculez pas ; la France qui se tait, et celle qui revendique ; celle qui veut le respect (et qui le mérite), et celle qui ne le veut sans doute pas (et qui ne le mérite donc pas). Vous devriez, Monsieur le Président, être le président de toute la France. Vos propos prouvent le contraire.

Quelle est cette France que vous n’aimez pas, que vous ne ressentez pas, qui se plaint (à juste titre ?), qui parle fort, qui ne croit ni à l’effort ni au mérite et, qui ne veut pas «être respectée» ? Pourquoi vouloir diviser la France de cette façon-là ? Peut-être est-ce tout simplement parce que, comme vous l’avouez, la France que vous aimez est la seule que vous connaissez, et que l’autre vous est «étrangère». Avec votre déclaration, nous voilà revenus à La Fontaine et à l’opposition entre le rat des villes et le rat des champs. (Rassurez-vous, je ne fais même pas allusion ici au récent livre d’Alain Badiou De quoi Sarkozy est-il le nom ?)

J’ai cru comprendre (sans doute à tort) que cette «autre France», l’illégitime (reconnaissons que ce n’est pas encore l’anti-France), est justement celle que je connais de près, celle que je côtoie au quotidien, celle des banlieues populaires.

Cette France qui carbure au mélange ; celle qui se lève tôt (celle des sociétés de nettoyage), ou qui se couche tard (celle des sociétés de gardiennage). Cette France qui travaille dur pour gagner peu. Cette France originaire d’Afrique (au nord comme au sud du Sahara) ou d’Europe du Sud. Qui meurt trop tôt de ne pas s’être assez plaint. Cette France des salariés des services publics : les cheminots, les RATPistes ; les salariés des collectivités locales comme ceux du «privé», lève-tôt eux aussi et dont on ne remarque le travail que quand ils sont en grève. Cette France des «sans» (emploi, papiers, logement) toujours levés car toujours sur le «qui-vive comme on peut», dont on ne parle qu’au-dessous de zéro degré et qui revendiquent dignité et respect même au printemps, même en été, même en automne.

Mais, n’ayez crainte, Monsieur le Président, je ne tomberai pas dans le piège d’opposer les «p’tits gars d’Aubervilliers» à ceux de «Vandœuvre-lès-Nancy», car il n’existe pas objectivement de conflit d’intérêts entre eux. Le mal-être, celui notamment des jeunes, les peurs que vous entretenez sont les mêmes à Guéret ou à La Courneuve, même s’ils s’expriment de manière différente. Ici une voiture brûlée, là un silence résigné, ailleurs un suicide prématuré. La division artificielle que vous entretenez s’inscrit dans la nuit des temps de ceux qui veulent asseoir leur pouvoir : diviser pour mieux régner.

Et s’il y a bien deux France, la ligne du clivage n’est ni topologique, ni géographique, ni ethnique, ni culturelle, ni cultuelle. La seule ligne de fracture est sociale et économique, c’est celle que vous voudriez nous faire oublier pour surtout ne rien changer à l’ordre des choses.

Patrick Braouzec

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