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10 janvier 2008

Daniel Donnet: croyances païennes et dogmes chrétiens

Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006

   Croyances ‘païennes’ et dogmes chrétiens :

   aspects comparés du cheminement de l’imaginaire

   par

   Daniel Donnet

   Professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain

On trouvera ci-après le texte, revu pour la publication, d'une conférence donnée le 5 octobre 2006, chez Les disciples de Voltaire, Société de Libre-Pensée siégeant à Gilly) [1]

[Déposé sur la Toile le 8 novembre 2006]

   Résumé : Il est fréquent que les adeptes des diverses religions tiennent leurs mythes fondateurs et les miracles connexes pour des réalités au sens strict plutôt que de les situer dans l’espace symbolique relevant de l’imaginaire. Dans la foulée, cette attitude engendra le dogmatisme et la rigidité doctrinale.

   Or une banale application de la méthode comparative conduit à relativiser le contenu des ‘dogmes’ : leur confrontation à des récits relevant d’une grande variété de courants de pensée révèle que l’esprit humain, face à un vécu perçu, à tort ou à raison, comme ‘extra’ordinaire, sécrète les mêmes schémas, qu’il puise dans les immenses ressources de l’imaginaire.

   La comparaison pourrait balayer un terrain très large : les catégories de mythes ou de faits ‘miraculeux’ sont nombreuses, et multiples sont les courants ou cultures qui les font éclore. Mais j’ai pleine conscience de mes limites, et, outre celles qui restreignent ma compétence, je dois m’en imposer pour des raisons de concision.

   L’exposé se concentrera donc sur le Nouveau Testament (Évangiles, Actes des Apôtres) et une brochette de textes ‘païens’ de l’Antiquité gréco-romaine. Parmi ces derniers seront privilégiés les parallélismes que fournit le pythagorisme. Autour de ces pivots s’ajouteront des témoignages anciens d’origines diverses. Les thèmes abordés se répartiront entre ceux qui émargent à la ‘carte d’identité mythique’ ou ‘état civil’ du héros célébré (notamment sa conception virginale et sa victoire sur la mort), et ce qui relève de son activité prétendument miraculeuse.

   

Plan

Introduction

Première partie : La carte d'identité mythique

A. La venue au monde

      I. Traits mythiques liés à la conception

          1. Apollonius de Tyane et Jésus
         
2. Pythagore
         
3. Platon

      II. Traits mythiques relatifs à la naissance

  B. La victoire sur la mort

      I. Un préalable nécessaire

      II. Fonctionnement comparé de l'imaginaire

          1. Au niveau du schéma global

             a) Premier schéma
             
b) Second schéma

          2. Au niveau des composantes formelles des récits

              a) En survolant l'ensemble des récits
             
b) Ressemblances plus précises

Deuxième partie : l'activité miraculeuse

  A. Vues d'ensemble

     I. Prouesses intellectuelles miraculeuses

       II. Les miracles relatifs à la nature inanimée

       III. Les miracles de guérison

  B. Présentation de quelques parallélismes

    I. Les miracles relatifs à la nature inanimée

          1. Transgression des lois de la physique
         
2. Commander aux éléments déchaînés

      II. Les miracles de guérison

          1. Guérison de troubles de possession démoniaque
         
2. Résurrection

Pour conclure

Notes

   

   Introduction

   Le terme ‘imaginaire’ a plus d’une signification. On l’entend ici au sens de cette faculté mentale très productive, sans laquelle il n’y aurait ni poésie ni peinture, ni autres arts ou autres littératures. Et l’on pourrait poursuivre cette énumération.

   Dans cette acception, l’imaginaire sécrète des représentations imagées, symboliques, qui transfigurent la réalité pour rendre l’impression de plénitude que l’on éprouve à son contact. L’imaginaire confère aux êtres et aux objets une résonance plus dense, plus profonde qu’on ne le perçoit dans la vie courante.

   Dans le même ordre d’idées, face à un vécu perçu comme hors du commun - et ce peut être le rayonnement d’un personnage -, l’être humain eut souvent recours à un tissu d’images, lourd de symbolique, pour rendre ce qui s’écarte, à ses yeux, du cours habituel de l’existence.

   Et la structuration de ce type de langage ainsi que son appropriation par une collectivité aboutissent à l’éclosion et à la diffusion de mythes... tels que ceux que nous allons envisager [2].

   Imaginaire, images, mythes... Mais il y a aussi ‘dogme’ dans mon intitulé !

   Dans le cas présent, le dogmatisme, c’est le faux pas dans l’interprétation qui conduirait à décréter : « chez nous, les choses se sont effectivement passées comme cela ». Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une rétroversion de la voie symbolique vers la matérialisation [3].

   Je comparerai principalement des schémas mythiques qui auréolent la biographie de personnages perçus comme extraordinaires, à des titres d’ailleurs différents, dans le noyau initial du christianisme [4], et dans le pythagorisme. Pour ce dernier courant, j’invoquerai bien sûr Pythagore (6e s. a.C.), mais davantage encore Apollonius de Tyane, prédicateur pythagoricien du même siècle que Jésus, à propos de qui une tradition orale, colportée par des disciples et adeptes, et renforcée, paraît-il, par des écrits [5] - actuellement perdus -, a abouti à une abondante biographie en 8 livres, rédigée par Flavius Philostrate (2e-3e s. p.C.) [6].

   De façon incidente, j’ajouterai l’une ou l’autre illustrations de schémas mythiques tirés d’autres contextes.

   Les textes dont je ferai état concernant les pythagoriciens sont des témoignages recevables de ce qu’on professait dans les couches les plus crédules du mouvement. Mais les récits nous sont généralement livrés par des intellectuels qui racontent ce que croyaient les adeptes, et assez souvent, ils prennent eux-mêmes une distance critique ou cherchent une explication rationnelle. Pour moi, ce qui importe, c’est qu’ils attestent l’existence des croyances qui sont l’objet de mes analyses.

   Les écrivains du Nouveau Testament, par contre, ne font pas profession d’esprit critique ; s’ils rapportent ce que des chrétiens des premiers temps [7] imaginèrent concernant Jésus et certains de ses proches, c’est dans le but de convertir ; et ils épousent sans réserve le contenu de leurs récits, dont la substance fut, par après, entérinée par leurs Autorités, notamment dans divers conciles, pour devenir des dogmes. Je dis bien ‘la substance’, écartant par là les éléments accessoires que sont notamment les ornements littéraires des récits.

   L’éventail des schémas mythiques est bien large ; j’ai dû opérer des choix.

   Je vais vous présenter les schémas retenus, selon deux grandes catégories que l’on observe un peu partout. D’une part, ce qui relève de l’état civil, de la carte d’identité du héros. Pour en rester à ce qui est le plus frappant : ils ne viennent pas au monde et ils ne le quittent pas, comme le commun des mortels. D’autre part, les activités qui imprègnent et appuient leur ministère : c’est ce qu’on appelle les miracles.

   Première partie
La carte d’identité mythique

A. La venue au monde

   La venue au monde se nimbe de mêmes traits mythiques en ses deux moments clés : la conception et la naissance.

I. Traits mythiques liés à la conception

   On comparera d’abord ce qui concerne Apollonius de Tyane et Jésus. Ensuite on remontera dans le temps vers Pythagore lui-même ; et l’on terminera par Platon.

1. Apollonius de Tyane et Jésus

   Nous lisons, en substance, dans la biographie d’Apollonius de Tyane [8] : « alors que sa mère l’attendait, elle eut une apparition divine ; il s’agissait du dieu égyptien Protée, dont parle Homère, Protée qui lui dit qu’elle allait accoucher de lui ».

   Et le biographe d’opérer un rapprochement entre la description de ce dieu par les poètes, et ce qu’allait représenter Apollonius, sur le plan de l’omniscience et de la prescience, et par son aptitude miraculeuse à la mobilité et au changement.

   Que lit-on dans les récits des chrétiens à propos de Jésus ?

   Comme pour Apollonius, on trouve une annonciation, avec une divergence entre les évangélistes. Pour Luc (1, 26-38), c’est Marie qui en est l’objet par l’entremise de l’ange Gabriel, et c’est d’elle-même que vient l’affirmation de sa virginité, par l’étonnement marqué à l’idée de concevoir ; « comment est-ce possible ? je ne connais point d’homme » ; et l’ange de répondre : le Saint-Esprit te couvrira (= fera le nécessaire). Selon Matthieu (1, 18-25) , par contre, la démarche vise Joseph : un ange du Seigneur, dont il a la vision durant son sommeil, vient le rassurer après qu’il eut découvert que sa fiancée était enceinte et surtout... qu’il n’y était pour rien.

   Quant au personnage annoncé, il est, par référence aux prophètes d’Israël, décrit de la sorte : « le fils du Très Haut, successeur de David [9], devant régner sans fin sur Israël (Lc, 1, 32-33) ; c’est de plus le sauveur de tout un peuple » (Mth, 1, 20-21).

   On relève déjà dans ces deux brefs récits d’identiques composantes fondamentales : la conception, de référence divine, se passe de géniteur masculin, ce qui implique une information ; l’information s’actualise dans une apparition porteuse d’une prédiction sur ce que sera le personnage annoncé : on n’annonce pas seulement l’arrivée d’un personnage, mais le type de personnalité.

   Analogies de structure et de constituants, mais aussi particularités.

   Bien entendu, même si le mythe présente de part et d’autre de frappantes analogies, on note aussi que l’enracinement culturel des deux protagonistes imprime sa marque dans le récit : d’un côté, le cadre du monothéisme juif et l’évocation des prophètes (Mth, 1, 23 ; 2, 6), ainsi que la référence à David ; de l’autre, le cadre du polythéisme, l’allusion à Homère et aux poètes grecs, et la valorisation d’un idéal intellectuel comme le prônent les sages de la Grèce, et plus spécialement les Pythagoriciens.

   En résumé : des images semblables mais que le transit par des patrimoines culturels différents revêt d’une coloration particulière.

2. Pythagore

   Il existait déjà à propos de Pythagore une antique tradition, qui lui était très proche dans le temps [10] ; elle remonte à Épiménide, théologien et thaumaturge crétois (fin VIe s. et Ve s. a.C.).

   On y trouve les ingrédients suivants : une conception miraculeuse effectuée par le dieu Apollon, qui a l’inspiration dans ses attributions (cf. le Saint-Esprit). Une annonciation par Apollon, qui se chargea d’informer le futur père [11], via son oracle, qu’était la Pythie de Delphes [12]. Comme pour Jésus et Apollonius, ce n’est pas seulement la naissance qui est annoncée, mais ce que sera le personnage annoncé : « en beauté et en sagesse, il serait supérieur à tous, et, sa vie entière, serait un immense bienfait pour le genre humain ».

   On pourrait pousser plus loin les rapprochements avec les récits chrétiens : certaines sources, dont Flavius Philostrate, soulignent que Pythagore est à la fois le fils d’Apollon et un envoyé de Zeus. Or Apollon a l’inspiration dans ses attributions ; quant à Zeus, il est, çà et là chez les Grecs, qualifié de Zeus pater. Quant à la mère de Pythagore, - avant que son nom ne soit changé en Pythaïs par référence au dieu pythien (Apollon) - elle s’appelle Parthenis ; ‘Parthenos’, en grec, signifie ‘vierge’. On a ainsi un même triptyque que : Dieu le Père / Saint Esprit / Vierge d’Israël. De nouveau, dans des contextes culturels qui marquent leur empreinte propre, on découvre un même fonctionnement de l’imaginaire religieux.

   Cette tradition relative à Pythagore fut relayée par plusieurs auteurs au fil des siècles.

   Mais il est intéressant d’observer l’attitude de Jamblique [13] (4e s. p.C.), un adepte de la spiritualité grecque ‘païenne’. Il ne peut pas gommer une croyance que la tradition a imposée depuis plus de huit siècles, mais il cherche une explication rationnelle de la formation de cette croyance. Et il conclut à une manière symbolique de rendre compte des affinités intellectuelles et spirituelles existant entre Pythagore et Apollon. Jamblique adopte, en quelque sorte, le mode d’interprétation qui sera, à l’époque du modernisme, celui de la théologie libérale.

3. Platon, philosophe ayant des liens avec les courants ésotériques

   Platon également serait issu des relations de sa mère avec Apollon et la tradition évoque une annonciation fournie au père sous forme de vision dans son sommeil [14], selon le schéma qu’imagina pour Joseph l’évangéliste Matthieu.

   J’aime citer cet exemple parce qu’un des historiens qui en fait état, Plutarque (+ 40-120 p.C. = maturité à l’époque des premières rédactions de textes du N.T.), s’interroge sur l’aptitude qu’auraient les dieux à féconder une mortelle. Le problème est posé par le truchement d’un personnage des Questions de banquet [15] : « Je ne vois rien d’extraordinaire à ce qu’un dieu séduise une mortelle et l’emplisse de semence divine, mais bien sûr en s’en approchant non à la manière humaine mais par recours à d’autres voies de contacts et d’attouchements ». Et il reprend à son compte une distinction attribuée aux Égyptiens : « il est possible à l’esprit (πνεῦμα : au souffle ?) d’un dieu d’inséminer chez une femme des principes de procréation, mais un homme ne pourrait avoir commerce et union corporelle avec une déesse ».

   Ces échos, qui nous parviennent d’auteurs étrangers au christianisme, sont typiques d’une époque et de milieux où le merveilleux fait partie intégrante de la vie. Ils révèlent aussi qu’à l’époque de la rédaction du Nouveau Testament et de la prédication d’Apollonius de Tyane, ce problème de la conception virginale était d’actualité - à nouveau -, qu’il retenait l’intérêt des discussions érudites, et que certains, dans divers milieux, acquiesçaient à la vraisemblance de la fécondation d’une humaine par un dieu. Et cela au moment où l’imaginaire des chrétiens et celui des « païens » semblent tourner à plein régime. 

   Le temps me manque pour m’attarder à d’autres exemples, notamment : dans le monde grec, Alexandre le Grand [16] ; en dehors du monde grec : le Bouddha [17] ; dans la religion égyptienne, le pharaon [18] ; en Perse : Zarathoustra, etc.

   Mais revenons à la confrontation Apollonius / Jésus pour les traits mythiques relatifs à la naissance.

II. Traits mythiques relatifs à la naissance

   Celui qui vient au monde, pour les adeptes, c’est un envoyé de l’au-delà. C’est déjà pour cela qu’on lui attribue une conception par intervention divine.

   Dès lors, pour dire par le langage ce qui est censé transcender la nature humaine, ce qui excède le naturel humain, on puise dans des schémas mythiques qui traduisent un fonctionnement hors norme de la nature elle-même [19].

   Dans le cas de Jésus, c’est l’étoile qui guide les rois mages, c’est une lumière qui resplendit en pleine nuit ; c’est la nature qui s’arrête, tout se figeant, y compris les oiseaux, pour accueillir un envoyé de l’Éternel [20].

   Pour Apollonius, c’est l’éclair de la foudre qui semble devoir tomber au sol mais s’élève dans les airs pour y disparaître [21].

   En quelque sorte, les phénomènes anormaux liés à la naissance correspondent à la face externe du schéma mythique, dont la partie interne est l’anomalie de la conception : de même que la conception contredit les lois de la biologie, ainsi la physique est mise en échec lors de l’accouchement.

   Donc, de part et d’autre, l’imaginaire suit une pente tout à fait comparable [22].

   * * *

   Mais pour éclairer les récits chrétiens, il y a peut-être plus que « la réserve naturelle » ancrée dans le psychisme, plus que le cheminement spontané de l’imaginaire.

   On peut se demander si les premiers chrétiens, pour décrire l’arrivée de leur enfant-dieu, n’auraient pas subi l’influence d’une légende dans laquelle les Grecs racontent la naissance d’un de leurs dieux, Asklépios, dieu de la médecine honoré à Épidaure, le Lourdes de l’Antiquité. Cette légende est relatée par un auteur du 2e s. p.C., Pausanias, qui décrit des monuments, des usages, des faits anciens.

   En d’autres termes, les premiers chrétiens auraient trouvé du ‘clef sur porte’, un modèle préfabriqué, qu’ils auraient adapté. C’est, en tout cas, une hypothèse qui peut être formulée car la question se pose aussi à propos de certains récits de miracles.

   Lisons d’abord le récit de cette légende, rapportée par Pausanias [24] :

    Les gens d’Épidaure disent que Phlégyas vint dans le Péloponnèse (...), et que lorsqu’il y vint, sa fille l’accompagnait (...). Elle était enceinte des oeuvres d’Apollon. Lorsqu’elle accoucha sur le territoire d’Épidaure, elle exposa l’enfant sur la montagne qu’on appelle (...). À l’enfant qui était exposé, une des chèvres qui pâturaient en circulant dans la montagne donna son lait, tandis que veillait sur lui le chien gardien du troupeau. Comme Aresthanas - tel était le nom du berger - ne retrouvait plus le nombre exact de ses chèvres et qu’en même temps le chien était absent du troupeau, il poussa, dit-on, ses recherches jusqu'à leur terme. Il trouva l’enfant et voulut le prendre dans ses bras. Comme il l’avait tout près de lui, il vit s’en dégager une lumière resplendissante et, pensant que c’était un être divin - ce qui était le cas -, il se détourna. Cet enfant fut aussitôt annoncé sur toute la terre et toutes les mers, ainsi que les nouvelles trouvailles par lesquelles il voulait soulager les malades, et sa capacité de ressusciter les morts.

   Ce ne sont pas tellement les divers clichés [25] contenus dans ce texte qui frappent l’attention. C’est leur concentration sur un espace restreint qui interpelle. On peut se faire une idée concrète des analogies avec le récit chrétien par le tableau suivant, pour la lecture duquel les personnes qui n’ont jamais rien lu des évangiles peuvent s’aider efficacement du ‘folklore de la crèche de Noël’.

   

Pausanias, Periégèse (= Parcours descriptif), II, 26, 3-5 Qualification thématique Récits chrétiens. Cf. la célébration de Noël
1. Les gens d’Épidaure disent que Phlégyas vint dans le Péloponnèse (...) et, lorsqu’il y vint, sa fille l’accompagnait (...) Lorsqu’elle accoucha sur le territoire d’Épidaure... L’accouchement survint quand la future mère est en voyage. L’accouchement survint alors que Joseph et Marie, en vue d’un recensement, sont partis de Nazareth pour se rendre en Judée, à Bethléem (Lc, II, 4).
2. Elle était enceinte des oeuvres d’Apollon. Conception virginale par intervention divine. Marie a conçu par l’œuvre de l’esprit saint, annoncé par l’ange Gabriel.
3. Elle exposa l’enfant sur la montagne (...) ; à l’enfant, une des chèvres qui pâturaient en circulant dans la montagne donna son lait, tandis que veillait sur lui le chien gardien du troupeau. La fuite dans la montagne pour Asklépios, l’absence de place parmi les hommes pour Jésus, entraînent la même conséquence : accueil dans le monde des animaux. ‘Elle le coucha dans une crèche parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie’ (Lc, II, 7). Accouchement dans une étable.
4. Comme Aresthanas - tel était le nom du berger - ne retrouvait plus le nombre exact de ses chèvres et qu’en même temps, le chien était absent du troupeau, il poussa ses recherches... Il trouva l’enfant et voulut le prendre dans ses bras... Contexte rustique de troupeaux, et de berger(s) qui cherche(nt) et trouve(nt) l’enfant. « Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux » (Luc, II, 8). Les bergers sont informés de la naissance par un ange, et ils partent à la recherche de l’enfant, qu’il trouvent (résumé de Lc, II, 9-16).
5. cf. n° 3 :  une des chèvres donna son lait, tandis que veillait sur lui le chien... En plus de l’accueil, notion de protection de l’enfant, par deux animaux protecteurs : d’un côté, la chèvre et le chien ; de l’autre, l’âne et le bœuf. Dans l’étable, entre le bœuf et l’âne...
6. (le berger) poussa, dit-on, ses recherches jusqu'à leur terme... il trouva l’enfant et voulut le prendre dans ses bras. Empressement d’un ou des bergers. « lorsque les anges les eurent quittés... les bergers se dirent les uns aux autres : ‘allons jusqu'à Béthléem’... ils y allèrent en hâte » (Lc, II, 15-16).
7. Comme il l’avait tout près de lui (...) pensant que c’était un être divin - ce qui était le cas -, il se détourna. L’enfant, perçu comme divin (l’) les impressionne au plus haut point. «[l’ange s’adressant aux bergers] : il vous est né un Sauveur (qui est)... le Seigneur... ; [les bergers se dirent]  voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître (...) ; après l’avoir vu (...) ils s’en retournèrent, louant et glorifiant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, et qui était conforme à ce qui leur avait été annoncé » (Lc, II, 11, 15, 17, 20).
8. comme il l’avait tout près de lui, il vit s’en dégager une lumière resplendissante. Allusion à une lumière resplendissante. « il y parut une lumière si grande que les yeux ne pouvaient la supporter » (Jacques, 29, 2).
9. Cet enfant fut aussitôt annoncé sur toute la terre et toutes les mers, ainsi que les nouvelles trouvailles par lesquelles il voulait soulager les malades et sa capacité de ressusciter les morts. Large communication qu’un sauveur est né. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant [cf. + haut : ‘il vous est né un sauveur’]. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers (Lc, II, 17-18).

B. La victoire sur la mort

I. Un préalable nécessaire

   On traite de l’imaginaire. Mais d’aucuns tiennent la résurrection du Christ pour un fait historique [26]. Faut-il rappeler que Jean-Paul II, par exemple, après s’être écrié, à Pâques « Il est ressuscité » se plaisait à ajouter : « Il est historiquement ressuscité ». Et il ne fut pas seul à tenir ce langage. Historique ou relevant de l’imaginaire ? Je ne désire pas éluder cette question.

   Depuis longtemps, la qualification de l’événement comme historique m’embarrasse, nullement en fonction d’une prise de distance par rapport aux convictions religieuses, mais du point de vue de la déontologie de l’historien.

   En effet, si l’on croit que Jésus est ressuscité, on est nécessairement chrétien, et si on le dit, on se prononce en tant que chrétien. Donc l’historien qui écrirait dans son œuvre d’historien : « Jésus est ressuscité » serait nécessairement un chrétien, qui parle en tant que chrétien.

   Or, s’il est vrai que la neutralité parfaite est un leurre, il reste que l’idéal et le devoir de l’historien lui commandent, en tout domaine, de se déprendre au mieux de ses conditionnements, de ses attaches philosophiques, patriotiques et autres encore, pour évaluer les événements d’un regard qui soit le plus objectif possible.

   Est-ce que pour autant il n’y a rien d’historique dans l’événement ? Je ne dis pas cela non plus. Mais pour résoudre l’aporie, il faut, me semble-t-il, distinguer trois niveaux d’approche : historique, mystique, mythique.

   Ce qui est un fait historique1, c’est la conviction qu’eurent plusieurs disciples d’avoir revu et entendu Jésus après son inhumation. L’historien - qu’il soit le plus pieux des dévots, ou le plus ardent des athées, cela n’a rien à voir - prendra acte du surgissement de ce fait d’opinion et de son influence dans l’histoire. Par contre, ce qui n’est pas de l’ordre de l’historicité, c’est la source de cette conviction, sa pertinence ; en d’autres termes, la réalité de la résurrection. On évolue ici dans le monde mystique des visions, des auditions de voix, dont on tiendra la consistance pour une réalité ou pour une illusion, selon que l’on y croit ou que l’on n’y croit pas.

En préparant ma causerie, pensant aux auditions de voix, j’ai eu la curiosité d’ouvrir le Dictionnaire Robert des noms propres à la rubrique : Jeanne d’Arc (1er tiers du 15e s. [1412-1431]. La guerre de 100 ans). Je lis :

Selon son témoignage, elle entendit à 13 ans des voix surnaturelles (St Michel, Ste Catherine, Ste Marguerite) qui lui ordonnaient de délivrer le France occupée par les Anglais appuyés par les Bourguignons. Elle persuade le roi (Charles VII) de la réalité de sa mission, se fit confier une armée, et obtint quelques succès militaires.

   Eh bien, il est historique que Jeanne d’Arc avait la ferme conviction d’entendre des voix surnaturelles. Sa conviction est d’autant plus un fait historique que l’impact en fut tangible sur le cours des événements. Mais l’historien ne peut pas dire : « Oui, Jeanne d’Arc entendait des voix surnaturelles ». Il ne peut pas dire davantage : « Jésus est ressuscité : les disciples l’ont vu et entendu après sa mort ». Le niveau historique doit donc être bien cadenassé [27] et circonscrit à un fait d’opinion.

   Quant au niveau mystique (2e niveau), qui vise le terreau où s’enracine cette conviction, l’interprétation sera différente pour le chrétien et pour celui qui ne l’est pas. Le non-chrétien parlera d’illusion ou d’hallucination [28]. Pour  le chrétien, il s’agit d’une expérience spirituelle véritable. Il ne m’appartient pas de prendre position dans le cadre d’un exposé de caractère descriptif, mais il m’incombe de souligner que les deux points de vue ont leur logique.

   Le non-chrétien ne manque pas d’arguments pour réduire le phénomène à sa dimension psychologique. Combien de personnes, après la perte d’un être cher, ne pouvant s’accommoder de son absence, continuent à vivre avec lui, à lui parler ! De plus, le milieu néotestamentaire baigne dans un climat où les visions et auditions de voix n’ont rien d’exceptionnel. Ainsi, lorsque Jésus est baptisé dans le Jourdain, « une voix se fait entendre dans les cieux : ‘Tu es mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances’ » [29]. De façon plus précise encore, trois témoins des apparitions et auditions de Jésus après sa mort, auraient, à les en croire, vécu une scène analogue précédemment : lorsque Pierre, Jacques et Jean se retirent avec Jésus sur la montagne pour prier [30], ils voient Moïse et le prophète Elie et entendent à nouveau « une voix qui sort des nuées, disant ‘Tu es mon fils bien-aimé’ ». S’ils ont cru voir des personnages qui leur sont distants de 13 et de 9 siècles, a fortiori ont-ils pu s’illusionner de la vision d’un être proche qui vient de mourir et avec qui ils continuent à vivre mentalement, parce qu’ils ne veulent pas admettre l’échec que constitue sa mort. Ils veulent qu’il vive encore, avec une ferveur telle qu’ils finissent par y croire, par le voir, par l’entendre...

   Le chrétien ne devrait pas, me semble-t-il, écarter ces données psychologiques, qui sont patentes. Mais il considérera que, par le biais de ce vécu, Dieu a insufflé aux disciples de Jésus la conviction que ce dernier, malgré sa mort, vit près de lui. Cette conviction s’inscrit dans la logique d’une foi proclamant non seulement l’existence de Dieu, mais surtout celle d’un Dieu qui se révèle, c’est à dire qui parle aux hommes. Au demeurant, de tout temps des croyants ont prétendu que Dieu leur parlait, qu’ils le rencontraient dans la méditation, dans la prière. On en pense ce que l’on veut mais, en tout état de cause, cela permet de comprendre, dans sa cohérence, l’interprétation des chrétiens.

   Cependant, même pour ces derniers, Dieu ne parle pas aux hommes par les voies que les évangélistes prêtent à Jésus : en surprenant ses interlocuteurs sur la route comme pour les disciples d’Emmaüs, en leur donnant rendez-vous à tel endroit, en mangeant avec eux, en jouant les passe-muraille quand ils sont en réunion : cela, même pour le croyant, c’est le MYTHE, c’est la transposition par l’imaginaire, du choc émotionnel ressenti dans le fors clos de l’intériorité.

   Illusion ou expérience spirituelle véritable, les disciples de Jésus ont voulu dire ce qui est indicible, conter ces expériences très personnelles, qui relèvent, en fait, de l’incommunicable.

   Et la diffusion des récits imagés à l’intérieur des collectivités, avec un évident phénomène de contagion, qui fait que finalement chaque responsable bénéficie d’une vision (elle les authentifie comme chefs de communauté, ils en tirent une légitimité, etc.), et la propagation à travers la durée (30 à 60 ans après les faits) vont provoquer des amplifications épiques. Et cela non plus n’a rien d’extraordinaire : c’est ainsi que se forment la plupart des légendes, car telle est bien la qualification que méritent ces récits censés confirmer la résurrection. Et j’aime citer ici deux théologiens, qu’à dessein j’ai choisis dans la famille catholique :

● le théologien Hans Küng : « récits d’apparition dont la composition apparaît si légendaire » [31] ;

● un collègue de l’UCL, aujourd’hui décédé, l’Abbé Adolphe Gesché : « la théologie emprunte (...) ces voies de l’imaginaire en recourant au récit (...). Elle raconte (...) : ‘Il était une fois, sur un chemin d’Emmaüs’ (...) l’Écriture parle en inventant et en réinventant sans cesse des récits » [32].

   Du reste, s’il fallait prendre ces récits pour « historiques », on serait bien embarrassé des contradictions internes qu’ils affichent :

Relevons, sans prétendre à l’exhaustivité : selon Mth, 28, 2, un ange roule la pierre en présence des femmes ; selon Mc, 16, 4 et Jn, 20, 1 et ss., la pierre est déjà roulée lorsqu’elles se présentent. Jean fait état de la visite au tombeau, de Pierre et du « disciple que Jésus aimait » [Jean], tandis que, selon Luc (24, 12), seul Pierre est concerné, et que Marc et Matthieu taisent cet épisode. Matthieu (28, 2) évoque un tremblement de terre, ignoré des autres évangélistes, ce qui, vu l’importance de l’événement, a de quoi intriguer. Il est également seul à impliquer les gardiens (ib., 3 et 11 et ss.). D’après le récit de Luc, 24, 9-10, le groupe des femmes qui découvrent le tombeau vide serait plus important que chez les autres évangélistes. Divergences aussi dans la destination et la localisation des apparitions : selon Mth, 28, 16 et ss., Jésus apparaît aux onze en Galilée, en plein air, sur la montagne qu’il a désignée (cf. v. 8-9) ; Mc, 16, 14 fait état de la même apparition, mais les onze sont à table ; à ce moment aurait lieu l’ascension. Lc, 24, 36 et ss. raconte, après l’épisode d’Emmaüs, une apparition aux onze, mais à Jérusalem ; ensuite Jésus conduit les apôtres à Béthanie où a lieu l’ascension. Selon le même auteur, mais dans les Actes, ch. 1, 3 et 9, c’est après quarante jours qu’a lieu l’ascension. Enfin, chez Jn, 20, 19 : malgré les portes closes, Jésus « joue les  passe-muraille » pour apparaître ; il revient huit jours plus tard pour confondre Thomas (v. 26 et ss.) ; puis c’est l’apparition au lac de Tibériade.

   Divergences et contradictions embarrassantes ? Si on tient les récits pour historiques, assurément. Mais puisqu’il s’agit du fonctionnement de l’imaginaire, il n’y a pas lieu de s’étonner.

II. Fonctionnement comparé de l’imaginaire

   Le rêve de la victoire sur la mort a hanté les païens autant que les chrétiens. Et de part et d’autre, on a sécrété des schémas mythiques qui témoignent d’un cheminement analogue de l’imaginaire. En saine méthode, il convient de distinguer, d’une part, la structure globale des schémas, d’autre part, le détail des éléments formels qui s’y trouvent exploités.

1. Au niveau du schéma global

   D’emblée, deux schémas se font jour : ou bien le héros trépasse réellement, mais il affirme sa victoire sur la mort par des apparitions ; ou bien il se joue de la mort, il la contourne et disparaît « dans les airs », avec ou sans apparitions probatoires. Dans le monde chrétien, le premier schéma s’applique bien entendu à Jésus, le second correspond au mythe de l’assomption de la vierge Marie [33]. Les deux schémas permettent des parallélismes avec le monde païen. Mais on y rencontre davantage le second schéma.

a) Premier schéma

   Une illustration du premier schéma se lit chez Hérodote (IV, 14-15), qui nous conte l’étrange destin du poète mystique et visionnaire qu’était Aristéas. Laissons-lui la parole :

Il entra un jour à Proconnèse dans l’atelier d’un foulon, et il y décéda. Le foulon, après avoir fermé la porte, alla prévenir la famille. Tandis que se répandait la nouvelle du décès, un citoyen de Cyzique en contesta le bien-fondé, prétendant qu’il venait de rencontrer dans cette ville le soi-disant défunt, avec qui il s’était entretenu. Les membres de la famille venus pour la levée du corps durent se rendre à l’évidence : Aristéas n’était plus là, ni mort ni vivant. Après six ans, il réapparut à Proconnèse, réalisa son œuvre épique, puis disparut à nouveau. Il fit également une apparition à Métaponte, ordonnant l’érection d’un autel en l’honneur d’Apollon et d’une statue à son propre nom. La Pythie, consultée à ce propos, confirma l’apparition et engagea, pour leur bien, les consultants à se conformer aux prescriptions d’Aristéas.

   On note, dans ce récit, plusieurs similitudes avec « l’affaire Jésus », que met en lumière ce tableau :

   

Hérodote (Ve s. a.C.), IV, 14-15 : résumé du contenu Éléments du Nouveau Testament
1. Aristéas, mystique visionnaire, est déclaré mort, mais, tandis que la nouvelle du décès se propageait, un témoin la conteste, affirmant l’avoir revu vivant et lui avoir parlé. Mth, 28, 11 : quelques hommes de la garde annoncèrent aux principaux sacrificateurs tout ce qui était arrivé... ; Mc 16, 9-13 : ... il apparut à Marie-Madeleine... elle alla en porter la nouvelle... (les disciples d’Emmaüs) revinrent l’annoncer aux autres, etc.
2. Son cadavre avait été enfermé, mais, lorsqu’on vint pour la levée du corps, le cadavre avait disparu. le tombeau vide [34] : cf. supra, 1e partie.
3. On lui prête des apparitions en plusieurs endroits. cf. le relevé des apparitions de Jésus, supra, 2e partie.
4. À ces occasions, il formule des recommandations. cf. Mth, 28, 19 : « allez, faites de toutes les nations des disciples, en les baptisant... enseignez-leur... » ; Mc, 16, 15 : « prêchez la bonne nouvelle... » ; Actes des Apôtres, ch. I, 4 : « il leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, et d’attendre ce que le Père avait promis... ».

b) Second schéma

   Le second schéma, qui, dans le monde chrétien, correspond au mythe de l’assomption de Marie [35], est fréquemment attesté.

   Il s’applique notamment à la fin de vie que connut Apollonius, dans la version que semble privilégier Philostrate [36], et dont je pointe l’essentiel : « Se rendant volontairement dans un temple à une heure indue, il y fut fait prisonnier par les gardiens. Vers minuit, il défit ses liens et les appela pour qu’ils fussent témoins : les portes s’ouvrirent miraculeusement, et des voix féminines l’appelèrent au ciel » (VIII, 30). L’assomption de Marie a aussi, en la personne des apôtres [37], des témoins oculaires, et, comme pour Apollonius, son envol répond à un appel : celui de son fils, qui est dans les cieux [38]. Oedipe aussi, sans passer par la mort, est appelé par un dieu (Soph. O.C., vv. 1626-29), pour disparaître au ciel (v. 1649). Empédocle (selon une des versions relatées par Diogène Laërce, VIII, 68), après une réunion conviviale, est porté disparu au petit matin. Et tandis qu’on s’affaire à sa recherche, un témoin déclare l’avoir entendu appeler, durant la nuit, par une voix très puissante. De plus amples recherches tournant court, on en conclut que l’événement répondait à ce que l’on pouvait souhaiter de mieux, et qu’il fallait offrir à Empédocle des sacrifices, comme à un dieu. Et de Bérénice, Théocrite [39] déclare, s’adressant à Aphrodite : « ...la belle Bérénice n’a pas traversé l’affligeant Achéron, mais tu l’enlevas, pour la déposer dans un temple, avant qu’elle n’empruntât la sombre nef et n’abordât le nocher, toujours odieux, des affligés. »

   Dans chacun de ces cas, il s’agit de consacrer, par l’ascension au ciel [40], soit une divinisation (Bérénice, Empédocle), soit un accès au monde divin (Marie, Apollonius, Oedipe) [41].

2. Au niveau des composantes formelles des récits

a) En survolant l’ensemble des récits

   Indépendamment de la distinction des deux types de schémas, on voit s’articuler des éléments analogues, qui semblent en phase directe avec le soubassement psychologique. En substance, il s’agit, dans plusieurs récits, d’un climat de frayeur et d’un éclat fait de lumière ou de blancheur, et, dans tous, de voix qui se font entendre.

   La frayeur est palpable dans les récits chrétiens et concernant Oedipe : « La peur et le trouble saisissent les saintes femmes », lit-on dans les textes relatifs à Jésus [42] ; « un coup de tonnerre et un effrayant vacarme se firent entendre, tandis que les disciples priaient en préparation du départ de Marie vers le ciel » [43] ; « les cheveux des filles d’Oedipe et de ses accompagnateurs se dressent de frayeur », « spectacle effroyable », déclare Sophocle [44].

   Mais des voix appellent du ciel [45] : un choeur des jeunes filles pour Apollonius ; une voix très puissante sans autre précision pour Empédocle ; un dieu pour Oedipe ; les anges (ou de jeunes hommes) dans les évangiles, avec pour destinataires les disciples ; Jésus lui-même pour sa mère, dans le mythe de l’assomption.

   Enfin, la lumière ou la blancheur, parfois éclatantes, voire aveuglantes, constituent une autre élément récurrent [46], pour Oedipe, pour Empédocle, pour Marie, pour Jésus.

   Ces traits mythiques correspondent vraisemblablement à des symboles dotés de sens. Ils témoignent d’un transfert, fût-il inconscient, sur les héros du sacré, de sentiments obscurs qui hantent notre conscience : ce qui a trait à la mort fait peur, notamment parce que c’est l’inconnu, mais cette frayeur, qui est palpable, est conjurée par des voix qui, en créant le contact, dissipent l’impression d’inconnu. Et l’on verra volontiers dans les allusions à la lumière et à la blancheur [47] des antidotes de « l’inconnu ».

   Une fois de plus, on prend acte d’un même fonds d’images dans les récits chrétiens et dans les autres textes.

b) Ressemblances plus précises entre la biographie d’Apollonius et les récits relatifs à Jésus

   De part et d'autre, il est question de gardiens et de mise en échec de leur surveillance [48].

   Dans chaque récit également, on trouve un incrédule. Thomas, selon l’évangile de Jean (20, 24 et ss.) ne veut pas croire que Jésus est apparu aux autres en son absence. Un jeune philosophe, sans autre précision, déclare dans le récit de Philostrate (VIII, 31) « voici dix mois que, sans arrêt, je prie Apollonius de me révéler la vérité sur la nature de l’âme, mais il est si réellement mort qu’il ne ressuscite pas à ma demande et ne me donne aucun argument pour croire en son immortalité ». Des deux côtés, le sceptique est confondu par le héros du sacré, qui y va d’une apparition.

   * * *

   Soulignons, pour clore cette rubrique, que, devant la pluralité des versions qui circulaient sur la mort d’Apollonius et sur la résurrection de Jésus, Philostrate et les évangélistes rééditent la différence d’attitude que trahissait déjà l’analyse du Mythe de la naissance [49] : esprit critique chez le premier, qui fait part des diverses versions ; conviction sans réserve chez les seconds, chacun d’entre eux parlant comme si seule existait la version de son choix [50].

   Deuxième partie
l’activité miraculeuse

   Pour des raisons de concision, je vais recentrer mes comparaison sur l’axe Pythagorisme / Christianisme. Mais soyons clair : toutes les sociétés, toutes les civilisations, toutes les religions ont droit à leur part de miracles [51] ! Je présenterai d’abord les vues d’ensemble qui se dégagent des textes que j’ai confrontés. Je m'attacherai ensuite à mettre en évidence quelques confrontations suggestives.

A. Vues d’ensemble : un cheminement analogue de l’imaginaire à travers une route marquée par des particularités idéologiques

   L’imaginaire emprunte trois chemins, qui permettent de classer les miracles en prouesses de l’esprit, en exploits permettant de contrer la nature inanimée, en actes de guérison extraordinaire avec, pour point d’orgue dans cette catégorie, les réanimations, tenues en l’occurrence, puisque miraculeuses, pour des résurrections. Ces voies de l’imaginaire sont attestées de part et d’autre, avec toutefois d’importantes nuances liées à la ‘philosophie’ de base.

I. Prouesses intellectuelles miraculeuses

   Les prouesses de l’esprit sont précoces chez nos deux héros. Apollonius manifeste très tôt, pour la concentration et la mémorisation, valorisées par le pythagorisme, un don particulier qui sort de l’ordinaire (Phil., Ap., I, 7). Et quand, à 16 ans, il embrasse la vie pythagoricienne, c’est comme sous l’impulsion d’une force supérieure (ibid.). De plus : « encore éphèbe il fait œuvre de philosophe dans le temple » (I, 11, fin). Ce dernier exploit fait penser à Jésus qui, à 12 ans, en remontre aux docteurs du temple (Lc, 2, 46-47). Le pseudo-Matthieu renchérit, relatant d’autres performances « qui n’ont rien de commun avec les hommes » [52].

   Mais, une fois de plus, des tendances particulières s’affirment en fonction des patrimoines culturels respectifs. L’importance, pour les pythagoriciens, de la vie intellectuelle entraîne une prédominance du miracle de l’esprit : c’est surtout par la pertinence de ses prédictions et la justesse de sa voyance qu’Apollonius assoit son prestige. Il prédit l’identité d’un nouveau hiérophante (IV, 18) et la mort que connaîtra Titus (VI, 32). Il a la voyance d’une impureté cachée d’un adepte du temple (I, 10) et, en sens inverse, celle de l’innocence d’un condamné (V, 24) ; il voit un trésor enfoui dans un champ (VI, 39) ; il décèle dans un lion l’âme du roi Amasis (V, 42), dans un vieillard, un démon déguisé (IV, 10) ; d’Éphèse, il a, à longue distance, la vision du meurtre de Domitien (VIII, 26), etc.

   Peu de textes des évangiles soutiendraient la comparaison avec le style des prédictions d’Apollonius [53] ; éventuellement Mc, 16, 12-17, où Jésus prédit une rencontre [54]. Comparativement donc, le miracle intellectuel apparaît comme un thème mineur dans le ministère de Jésus, et quand il s’y adonne, c’est sur un mode plus sobre que la manière prêtée à Apollonius. Après sa mort cependant, ses adeptes n’auront pas la même retenue, comme l’attestent les Actes. Mais il s’agit de vision plutôt que de voyance. Il y a ainsi, dans les Actes des Apôtres, un miracle récurrent : une vison transmet l’ordre d’aller à tel endroit en vue d’une rencontre, et celle-ci a bien lieu ; ou pour d’autres missions, qui, elles aussi, se vérifient (chapitres 8, 26 ; 9, 10-12 ; 10, 1-8, 17-33 [repris en 11]; 16, 8-10 ; 18, 9-11 ; 27, 23-24, etc.). Les acteurs de ces expériences ont pour nom Pierre, Ananias, Philippe et d’autres encore, mais il faut sortir du lot Paul de Tarse (saint Paul), qui est à la vision ce que le paratonnerre est à la foudre : après que, tombé de son cheval sur la route de Damas, il eut une vision décisive (Actes, ch. 9), on a l’impression qu’il lui suffit, la nuit, de s’allonger pour que se répète l’expérience (cf. 4 passages : Actes, ch. 16, 6-10 ; 18, 9-11 ; 23, 11 ; 27, 23-24).

   Mais j’ai bien dit « vision ». Or la vision, dans le Nouveau Testament, est perçue comme un don de Dieu, tandis que la voyance, thème de miracle pythagoricien, est une performance intellectuelle dont le mérite incombe à l’être humain. Ainsi donc, jusque dans les nuances du miracle intellectuel, l’orientation idéologique incline le schéma qu’adopte l’imaginaire.

II. Les miracles relatifs à la nature inanimée

   C’est aussi une manière d’affirmer la supériorité du « surnaturel » que de le confronter victorieusement aux normes de la  nature. De là, la transgression des lois de la physique, notamment en fait de mobilité ; l’autorité sur le déchaînement des éléments ; et enfin, les transformations inattendues de la matière.

   L’imaginaire semble avoir, sur ce point, fonctionné avec une intensité comparable dans les deux courants qui nous occupent. J’aurai l’occasion de présenter, dans la seconde partie de l’exposé, des rapprochements que permettent des miracles relevant des deux premières rubriques. Pour ce qui est de la transformation inattendue de la matière, il s’agit plutôt d’un même principe : nous relevons pour Jésus le miracle de Cana (Jn, 2, 3-12) : transformation de l’eau en vin ; et pour Apollonius l’effacement, non moins miraculeux, d’un acte d’accusation le concernant (IV, 44).

   La transgression des limites de la mobilité s’illustre, de part et d’autre, par une capacité de déplacement extraordinaire (j’y reviendrai infra).

   Mais un autre prodige de mobilité, qui trouve un précédent chez Euripide [55], se prête à une comparaison entre la Vie d’Apollonius et le Nouveau Testament : la délivrance miraculeuse d’un prisonnier enchaîné. Apollonius enlève lui-même ses chaînes, déclarant à son disciple Damis (VII, 38) : « Je t’ai fait la démonstration de ma liberté (...). Alors, Damis déclare avoir saisi nettement, pour la première fois, que la nature d’Apollonius était divine et supérieure à l’humanité ». Et dans une autre circonstance, il disparaît miraculeusement du tribunal (VIII, 5). On ne trouve pas d’équivalent pour Jésus, mais les Actes en fournissent pour ses successeurs. Pour les apôtres, nous lisons : « Un ange du Seigneur, ayant ouvert pendant la nuit les portes de la prison, les fit sortir... (ch. 5, 19). Pierre, lié de deux chaînes, dormait entre deux soldats ; et des sentinelles devant la porte gardaient la maison. Et voici, un ange du Seigneur survint et une lumière brilla dans la prison. L’ange réveille Pierre (...). Les chaînes tombèrent de ses mains » (ch. 12, 6-7). À propos de Paul et de Silas : « Ils les jetèrent en prison en recommandant au geôlier de les garder de façon sûre. Le geôlier, ayant reçu cet ordre, les jeta dans la prison intérieure et leur mit les ceps aux pieds. Vers le milieu de la nuit (...), tout à coup, il se fit un grand tremblement de terre (...) ; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent et les liens de tous les prisonniers furent rompus » (ch. 16, 23-26).

   Et pour ce thème aussi, les idéologies apposent leur sceau propre sur un schéma semblable. Pour les chrétiens, c’est l’action divine qui opère. Mais chez Apollonius, c’est son propre pouvoir qui est mis en valeur : Philostrate précise d’ailleurs qu’il ôte ses chaînes, sans le secours d’aucune prière ni sacrifice (VII, 38).

   Ajoutons que Jésus marche sur les eaux (Mc, 6, 48 ; Mth 14, 26 ; Jn, 6, 19), prouesse qui échappa aux biographes de Pythagore et d’Apollonius, et qu’il serait captieux d’imputer à Xerxès sur base d’une allusion, de tour métaphorique, qu’on lit chez Isocrate [56]. Ajoutons qu’elle fait partie de la légende du Bouddha [57].

III. Les miracles de guérison

   Apollonius libère des maladies, mais, dans la majorité des cas, le ‘miracle’ consiste à découvrir l’explication qui s’était jusque là dérobée [58]. Il dénonce le régime alimentaire d’un hydropique et le conseille à ce sujet. Il trouve la cause d’une épidémie dans la présence d’un démon malfaisant déguisé en mendiant, qu’il fait éliminer. Il fait lécher la blessure occasionnée par la rage. C’est donc encore, dans un certain sens, une démarche rationnelle conforme à l’idéal des pythagoriciens. Apollonius, d’autre part, ‘ressuscite’ une jeune fille ; le récit est structurellement comparable à un passage de l’évangile de Luc (j’y reviendrai) ; mais, dans le récit du biographe, on perçoit la recherche d’une explication rationnelle [cfr infra]. Au total, seul un exorcisme soutient vraiment la comparaison avec le Nouveau Testament [cfr infra].

   Car la situation y est bien différente : « Pour Jésus, les miracles sont d’abord le signe du surgissement (...) du Royaume de Dieu dans notre monde de misère et leur rayonnement immédiat sur le corps de l’homme... » [59]. Jésus vient libérer l’homme du mal, terme à entendre tant au plan physique qu’au plan moral. Cette place centrale du miracle de guérison dans la motivation de Jésus explique que l’imaginaire lui donne une extension qui défie toute vraisemblance. Voici ce qu’il en est sur une durée inférieure à trois ans :

       ● infirmités désignées avec précision : Aveugles : à Jérusalem, Jn 9, 7. Deux guérisons à Jéricho, Mth 20, 29-34, Mc 10, 46-52. À Bethsaïde, Mc 8, 22-27. Deux à Capharnaüm, Mth 9, 27-30. Muet : Mth 9, 32-33. Sourd-muet : Mc 7, 32. Paralytiques : à Capharnaüm, Mth 9, 1-8, Mc 2, 1-12. Le serviteur d’un centenier, Mth 8, 5-13. Lépreux : en Galilée, Mth 8, 1-4, Mc, 1, 40-45 . Dix guérisons en Samarie : Lc, 17, 12-19. Fièvre : Mth 8, 14-15, Mc 1, 29. Main desséchée : Mth 12, 13, Mc 3, 1-6. Hydropique : Lc, 14, 1-6. Perte de sang : Mc 5, 25 et ss. Épileptique : Mth 17, 14-21, Mc, 9, 14-27. Femme vivant courbée : Lc, 13, 10-17. // En Mth, 15, 30-31, en Décapole, on enregistre en vrac : des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés et beaucoup d’autres maladies.

       ● infirmités non identifiées. À Cana, Jn, 4, 46-54. À Capharnaüm, Mc 1, 32, Lc 4, 40.

       ● trois résurrections : (miracles de guérison en tant que réanimation inattendue) : Lazare (cf. Jn, 11, 17-46) ; la fille de Jaïre (Mth, 9, 18-26 [idem : Mc 5, 22-43, Lc 8, 41-56]) ; le fils de la veuve de Naïm (Lc, 7, 11-17).

       ● très fréquent : l’apaisement, par l’exorcisme, des cas psychopathologiques, où l’esprit du temps voyait des possessions démoniaques (cf. Mth 8, 16-17, 28-34 ; Mc, 1, 23-27, 32, etc.).

   Par rapport à Apollonius, le contraste se creuse tant au plan quantitatif que pour la façon de procéder. Il ne s’agit nullement de chercher une explication médicale dissimulée, mais d’un contact où la foi joue un rôle indispensable [60].

   Enfin, comme pour le mythe de la naissance, la question d’un emprunt littéraire mérite d’être posée, même si la psychologie peut aussi justifier une production parallèle spontanée : je renvoie à deux exemples mis en parallèle dans la seconde partie de l’exposé.

B. Présentation de quelques parallélismes

I. Les miracles relatifs à la nature inanimée

1. Transgression des lois de la physique, notamment en matière de mobilité

    Pythagore (Jamblique, Vie de P., §§ 134-135) : « sur une seule journée tous affirment qu’il se trouva à (...) et à (...) alors que cette distance peut difficilement être couverte même en plusieurs jours ».

    ● Apollonius de Tyane (Phil., Ap., IV, 10 ; VIII, 10) : en un éclair, il se transporte de Smyrne à Éphèse (IV, 10) ; il se trouve à Rome l’avant midi, et, l’après-midi, à Pouzzoles (VIII, 10).

    ● Parmi les proches de Jésus : On lit dans les Actes que Philippe est transporté en un instant à longue distance par le Seigneur (ch. 8, 39-40) ; et les apôtres ou les disciples se targuent du même prodige, à en croire le récit de l’assomption de Marie (§§ 12, 14, 17 à 24, 32...).

2. Commander aux éléments déchaînés (les vents, la mer...)

    Pythagore (Jamblique, Vie de P., § 135) : « il existe à son propos des récits unanimes et concordants d’innombrables actions encore plus divines et plus miraculeuses : (...) l’apaisement immédiat des flots violents et des pluies de grêles, le retour au calme des flots, sur les fleuves et en mer... ». 

    Apollonius de Tyane (Phil., Ap., IV, 13) : « le vent soufflait (...) ; tous voulaient voyager dans le même bateau qu’Apollonius, car (...) la mer était peu sûre ; ils voulaient s’embarquer avec lui, dans la conviction qu’il commandait à la tempête, au feu et à toutes les puissances de la nature ».

    Jésus (Mc, 4, 35-39) : « Jésus leur dit ‘passons sur l’autre rive’ (...) ; ils l’emmenèrent dans la barque (...) ; il s’éleva un grand tourbillon, et les flots se jetaient dans la barque, au point qu’ils la remplissaient déjà (...) ; ils le réveillèrent (...). S’étant réveillé, il menaça le vent, et dit à la mer : ‘Silence, tais-toi’. Et le vent cessa, et il y eut un grand calme ».

II. Les miracles de guérison

   Je vais maintenant proposer à la comparaison deux récits de guérison. Le premier, parce qu’il reflète la mentalité de l’époque : les troubles psychopathologiques y sont tenus pour l’œuvre du démon ou d’un démon. Le second, parce qu’il représente un point culminant dans la catégorie de la guérison miraculeuse : le thaumaturge, en effet, est censé opérer une résurrection. Pour chacun des deux récits mis en parallèle, je cite d’abord le texte, balisé en vue de sa reproduction dans un tableau qui met en valeur d’évidentes analogies.

   Récits de guérison de troubles de possession démoniaque (Phil., Ap., IV, 20 ; Luc, 8, 26-39)

● Apollonius : 

« Tandis qu’il discourait sur les libations, assista à l’entretien un jeune homme

(1) tenu pour impudique dans le monde des efféminés (...) ;

(2) il déversa sur les propos d’Apollonius une bordée de rires épais et inconvenants (...) ; il ignorait sa possession par un démon ; il éclatait de rire hors de propos, passait ensuite aux pleurs sans raison, parlait et chantait tout seul.

(3) (Apollonius le fixant du regard), le démon émit des sons de colère et de peur à la manière des suppliciés que l’on brûle et torture (...).

(4) Apollonius ordonnant au démon de donner un signe de son départ : « je vais, dit-il, renverser cette statue » (...) ; lorsque la statue, d’abord ébranlée, tomba, qui pourrait décrire le fracas ?

(5) le jeune homme, comme au sortir du sommeil, se frotta les yeux (...), s’attirait le respect de tous (...), et ne paraissait plus impudique ni déréglé. Renonçant à (1) ses vêtements d’efféminé (...),

(6) il se prit à aimer l’austérité et le port de vêtements qui s’y accordaient, et il adopta les moeurs d’Apollonius ».

● Jésus : 

« Vint à sa rencontre un possédé (...),

(1) qui circulait sans vêtement et habitait les cimetières.

(2) Voyant Jésus, il cria : quoi de commun entre toi et moi ?

(3) ... ne me torture pas (...).

(4) Il y avait là un troupeau de cochons (...) ; quand les démons sortirent de l’individu, ils entrèrent dans les cochons, et le troupeau fut précipité de la pente escarpée, et se noya dans le lac (...).

(5) On trouva Jésus assis près de l’ex-possédé, qui était vêtu et avait l’esprit assaini (...) ;

(6) cet homme de qui il avait chassé les démons  lui demanda de pouvoir être des siens ».

Analyse thématique Apollonius de Tyane Jésus
1. Le possédé perturbe par des attitudes incongrues. tenu pour impudique dans le monde des efféminés (...) ; il éclatait de rire hors de propos, passait ensuite aux pleurs sans raison, parlait et chantait tout seul (...) ; ses vêtements d’efféminé. qui circulait sans vêtement et habitait les cimetières.
2. Le possédé provoque l’exorciste. il déversa sur les propos d’Apollonius une bordée de rires épais et inconvenants. Voyant Jésus, il cria : quoi de commun entre toi et moi ?
3. Puis il est tourmenté ou redoute les tourments de l’exorciste. le démon émit des sons de colère et de peur à la manière des suppliciés que l’on brûle et torture. ne me torture pas.
4. Un signe fracassant marque l’expulsion du démon. Apollonius ordonnant au démon de donner un signe de son départ : « je vais, dit-il, renverser cette statue » (...) ; lorsque la statue, d’abord ébranlée, tomba, qui pourrait décrire le fracas ? Il y avait là un troupeau de cochons (...) ; quand les démons sortirent de l’individu, ils entrèrent dans les cochons et le troupeau fut précipité de la pente escarpée et se noya dans le lac (...).
5. Le retour au calme est signalé. le jeune homme, comme au sortir du sommeil, se frotta les yeux (...), s’attirait le respect de tous (...), et ne paraissait plus impudique ni déréglé. On trouva Jésus assis près de l’ex-possédé, qui était vêtu et avait l’esprit assaini.
6. L’ex-possédé est gagné à son guérisseur et veut devenir son disciple. il se prit à aimer l’austérité et le port de vêtements qui s’y accordaient, et il adopta les moeurs d’Apollonius. cet homme de qui il avait chassé les démons lui demanda de pouvoir être des siens.

   

         Récits de résurrection : la résurrection d’une jeune fille qui allait se marier, par Apollonius (Phil., Ap., IV, 45) ; du fils de la veuve de Naïm, par Jésus (Lc 7, 11-17)

● Apollonius :

« Une jeune fille passait pour morte au moment de se marier.

(1) Le fiancé suivait le brancard, en se lamentant du non-accomplissement du mariage,

(2) et la ville de Rome s’associait à ses pleurs, car la jeune fille appartenait à une très haute famille.

(3) Apollonius mis en présence de cette cérémonie de deuil :

(4) Posez le lit funèbre, dit-il.

(5) Je vais faire cesser les larmes que vous versez pour cette jeune fille. (.....).

(6) Mais lui ne fit rien d’autre que de la toucher et de lui murmurer quelques mots indistincts, et il la réveilla de sa mort apparente.

(7) La jeune fille émit un son et

(8) retourna dans la maison de son père. »

● Jésus :

« (3)... Lorsqu’il fut près de la porte de la ville, voici qu’on portait en terre un mort, fils unique de

(1) sa mère qui était veuve ; et

(2) il y avait avec elle beaucoup de gens de la ville. Le Seigneur

(1) l’ayant vue, fut ému de compassion (1) pour elle et lui dit :

(5) Ne pleure pas ! Il s’approcha et

(6) toucha le cercueil.

(4) Ceux qui le portaient s’arrêtèrent.

(6) Il dit : jeune homme, (6) je te le dis, lève-toi ! Et le mort s’assit et

(7) se mit à parler.

(8) Jésus le rendit à sa mère. »

Analyse thématique Apollonius de Tyane Jésus
1. Le décès touche plus particulièrement une personne. Le fiancé suivait le brancard, en se lamentant. un mort, fils unique de sa mère qui était veuve (...). Le Seigneur l’ayant vue, fut ému de compassion pour elle.
2. Au chagrin de cette personne s’associe la foule des gens de la ville. et la ville de Rome s’associait à ses pleurs. il y avait avec elle beaucoup de gens de la ville.
3. Le thaumaturge croise le cortège. Apollonius, mis en présence de cette cérémonie de deuil... Lorsqu’il fut près de la porte de la ville, voici qu’on portait en terre un mort...
4. Le thaumaturge provoque l’arrêt du cortège. Posez le lit funèbre, dit-il. Ceux qui le portaient s’arrêtèrent.
5. Il déclare faire cesser les larmes. Je vais faire cesser les larmes que vous versez pour cette jeune fille. et (Jésus) lui dit : Ne pleure pas !
6. Son action se limite à la parole et au toucher. Mais lui ne fit rien d’autre que de la toucher et de lui murmurer quelques mots indistincts, et il la réveilla de sa mort apparente. Il s’approcha et toucha le cercueil. (...) Il dit : jeune homme, je te le dis, lève-toi ! Et le mort s’assit.
7. La réaction est immédiate : le miraculé se met à parler. La jeune fille émit un son. et il se mit à parler.
8. L’ex-défunt est remis à qui de droit. (elle) retourna dans la maison de son père. Jésus le rendit à sa mère.

   

   Même si la psychologie peut expliquer une production parallèle spontanée, les ressemblances formelles qu’attestent ces deux récits de guérison soulèvent à nouveau la question qui se posait à propos du Mythe de la naissance ; le recours à des modèles ‘préfabriqués’ n’est pas à exclure.

   On notera, d’autre part, dans les récits de résurrection, l’attitude différente des auteurs à l’égard du miracle : Luc raconte avec foi et sans recul critique. Par contraste, Philostrate prend de la distance : il ouvre par ses mots le récit des funérailles de la jeune fiancée : « une jeune fille passait pour morte (ἐδόκει τεθνάναι) » ; et il le clôture en atténuant le caractère miraculeux du prodige : « il la réveilla de la mort apparente (τοῦ δοκοῦντος θανάτου) » ; enfin, il exprime en ces termes son souci d’une explication rationnelle : « Découvrit-il en elle quelque étincelle de vie qui avait échappé à ceux qui lui rendaient les derniers hommages (on dit, en effet, qu’il tombait une fine pluie et qu’un voile de vapeur rayonnait de son visage), ranima-t-il la vie qui était en voie d’extinction, il est impossible d’en décider (...) ; cela reste mystérieux... »

   Et pour conclure...

   Malgré une raisonnable concision, j’espère en avoir dit assez pour pouvoir conclure par cette citation de l’écrivain spiritualiste Amin Malouf [61] :

ce sont souvent les mêmes récits qui se colportent sur divers personnages comme si les mythes appartenaient à un fonds commun où l’on puise d’un siècle à l’autre, d’un peuple à l’autre, d’une croyance à l’autre.

   Si j’ai pu contribuer à l’illustration de cette conviction, je m’estimerai bien récompensé de mon travail. Car - croyant ou incroyant - cette conviction est indispensable à la pratique de la tolérance.

   

   Notes

   [1] Je remercie vivement mon ami J. Poucet de son invitation à publier dans les FEC ce texte, qui est une version remaniée de ladite conférence. Le remaniement, qui vise les aspects formels de la communication, a pour but de la conformer aux us et coutumes de la publication scientifique. Mais pour ce qui est du fond, tout ce qui fut dit se retrouve ici. [Retour]

   [2] Cette précision a son importance, car le genre littéraire qu’est le mythe est très diversifié, et multiples en sont les définitions. [Retour]

   [3] On trouve une illustration de cette tendance dans la résurgence actuelle du ‘fondamentalisme’ appliqué, entre autres, à l’Ancien Testament. Un autre exemple de cette rétroversion du ‘symbolique’ au ‘matérialisme théologique’ peut être tiré, dans la doctrine catholique, de la formulation, sur une base physiologique (sine semine virili), de la conception de Jésus (cf. notamment H. Denzinger & A. Schönmetzer, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, nombreuses rééditions [j’ai consulté : 34e éd., 1967], p. 59, 64, 92-93, 102 à 105, etc. [Retour]

   [4] Je me fonde essentiellement sur les quatre Évangiles canoniques (abréviations : Lc : Luc ; Mc : Marc ; Mth : Matthieu ; Jn : Jean) et les Actes des Apôtres. Il m’arrivera aussi de faire état de schémas mythiques attestés par les évangiles dits apocryphes. Souvent il ne s’agit pas d’apocryphes au sens où on l’entend en philologie. Ce sont, dans plusieurs cas, des témoins authentiques de l’enfièvrement imaginatif des communautés chrétiennes des premiers siècles ; l’évangile de Jacques notamment - que j’invoquerai - y était très populaire. Que l’Eglise disqualifie ces textes au plan doctrinal (encore que l’assomption de Marie ne figure pas dans les écrits canoniques, mais dans les apocryphes) est sans incidence sur l’analyse de l’imaginaire ; la distinction a, par contre, son importance pour la qualification de ‘texte dogmatique’, et j’y serai attentif. -- Voici, pour les apocryphes, les éditions et traductions auxquelles j’ai eu recours : E. de Strycker, La forme la plus ancienne du protévangile de Jacques (Subsidia hagiographica, 33), Bruxelles, 1961 [sans mention particulière dans les citations, c’est de cette édition qu’il s’agit] ; Évangiles apocryphes. I. Protévangile de Jacques, Pseudo-Mathieu. Évangile de Thomas. Textes annotés et traduits par Ch. Michel, Paris, 1911 ; Le Protévangile de Jacques et ses remaniements latins. Introduction, textes..., par A. Amann, Paris, 1910. Pour l’assomption : G. Bonaccorsi, Vangeli apocrifi. T. I. Florence, 1948 : De transitu Mariae, pp. 260 à 289. [Retour]

   [5] Cf. Fl. Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, I, 3 : « Il y eut un homme instruit, dénommé Damis, qui jadis habitait Ninive. Il appartenait, comme disciple en philosophie, au cercle d’Apollonius ; il laissa le récit de ses voyages, auxquels il prétend avoir pris part, et il fait rapport de ses pensées, de ses propos et de ses prophéties (...) des tablettes contenaient ses mémoires... ». Fl. Philostrate signale également l’existence « d’un livre de Maxime d’Aegae, comprenant tout ce qui, dans cette ville, se rapportait à Apollonius », et d’un testament du prédicateur pythagoricien en personne. Enfin, le biographe jette le mépris sur Moeragénès, qui aurait consacré quatre livres à Apollonius malgré son ignorance du sujet. [Retour]

   [6] Désormais je citerai sous l’abréviation : Phil., Ap. [Retour]

   [7] Grosso modo à partir des premières rédactions des évangiles (+ dernier tiers du 1er siècle). On notera que, dans des écrits antérieurs, Paul déclare Jésus « né d’une femme », et non d’une « vierge » (Epître aux Galates, 4, 4), ce qui suggère que le mythe de la parthénogenèse n’est pas encore constitué ou diffusé. De même, il ignore, dans l’importante épître aux Corinthiens sur la résurrection (I Cor., 15), l’argument tiré du constat du tombeau vide, alors qu’il « a vécu un an dans la communauté d’Antioche, puis qu’il a rencontré Pierre et Jacques, le frère du Seigneur, à Jérusalem, pendant quinze jours » [N.D.L.R. soit donc des acteurs impliqués dans les récits évangéliques de la résurrection] : voir M. Delespesse, Paroles déconcertantes. Pour un christianisme laïcisé, Éd. L. Pire, 2002, p. 46. Comment tenir pour plausible que ces prétendus témoins eussent été à ce point discrets si l’événement était réel ? Il est plus raisonnable de tenir ‘le facteur tombeau vide’ pour « une allégorie tendant à matérialiser (...) le fait du ‘relèvement’ de Jésus » (ibidem). [Retour]

   [8] Phil. , Ap., I, 4. [Retour]

   [9] Soulignons, au passage, que la référence de filiation, de Jésus à David, a suscité la fiction de la naissance à Bethléem plutôt qu’à Nazareth. [Retour]

   [10] Cf. notamment Jamblique, Vie de Pythagore, ch. II [ou §§ 5-8]. [Retour]

   [11] Une autre tradition fait état d’une révélation, par Apollon, de la divinité de Pythagore à l’intéressé lui-même (cf. notamment Phil., Ap., I, 1). [Retour]

   [12] Les Grecs ne connaissent pas les anges, comme le judaïsme, le judéo-christianisme et d’autres courants du Moyen-Orient. [Retour]

   [13] Vie de Pythagore, ch. II [§ 8]. [Retour]

   [14] Cf. Plutarque, Questions de Banquet, 717 d-e, et Diogène Laërce, Vies des Phil., III, 2. [Retour]

   [15] ibid., 718a-b. [Retour]

   [16] La conception miraculeuse d’Alexandre le Grand, d’après Plutarque (Vie d’Alex., ch. 2-3) :  « Avant la nuit où les époux furent enfermés dans la chambre, la fiancée eut l’impression que, par un coup de tonnerre, la foudre lui tomba sur le ventre... Peu de temps après son mariage, Philippe se vit en songe apposer un sceau sur le ventre de son épouse ; l’empreinte dessinait un lion ». Et un des devins consultés par Philippe d’en déduire que sa femme était enceinte et qu’elle mettrait au monde un enfant plein d’ardeur. Quant à la filiation divine, elle est chuchotée par la mère elle-même prenant congé de son fils en partance pour une expédition : « lui confiant à lui seul le secret de sa naissance, elle l’engagea à s’en montrer digne », et l’interprétation est confirmée par l’historien latin Justin (Abrégé de Trogue-Pompée, XII, 16, § 1) :  « l’enfant... n’était pas le fils d’un mortel». [Retour]

   [17] Le Bouddha également se vit attribuer une conception exempte de géniteur humain. Voici comment les choses se passèrent pour sa mère, Mâyâ (je cite A.F. Herold, La vie du Bouddha d’après les textes de l’Inde ancienne, Paris, réédition de 1926, pp. 11 et ss. Cf. aussi A. Foucher, La vie du Bouddha d’après les textes et les monuments de l’Inde, Paris, Payot, 1949, pp. 35 et ss.) : « Elle vit un jeune éléphant qui descendait du ciel. Il était blanc comme la neige des montagnes, et il avait six fortes défenses. Mâyâ vit qu’il entrait dans son sein ». Deuxième étape, l’annonciation : le père en est l’objet : « Une grande voix retentit dans le ciel : « Sois heureux...Celui qui cherche la science suprême doit naître parmi les hommes ; c’est ta famille qu’il a choisie pour la sienne »... [Retour]

   [18] Résumons la pensée de E. Brunner-Traut, « Die Geburtsgeschichte der Evangelien im Lichte ägyptologischer Forschungen », dans Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, XII, 1960, pp. 98-99 : Pharaon est fils de Dieu, en même temps homme et Dieu. Lorsqu’il faut prévoir la succession au trône, le dieu Amon s’approche, sous les traits du roi, de la reine-vierge et engendre avec elle le nouveau roi-homme-dieu. Il y a également une annonciation due à Toth, messager jouant un rôle comparable à celui de l’ange. Il y a reconnaissance du caractère royal de cet enfant, comme pour Jésus. [Retour]

   [19] Voir les récits de la naissance de Jésus : dans les évangiles canoniques, Luc, 2, 6-20 ; Matthieu, 2, 1-15 ; en dehors des canoniques : Jacques, Protévangile, 28, 2-3 ; Pseudo-Matthieu, 13-14. Pour la naissance d’Apollonius : Phil., Ap., I, 5. [Retour]

   [20] Ce dernier thème se lit dans le Protévangile de Jacques (parfois appelé Évangile de l’enfance), qui connut un grand succès assez tôt dans les premiers temps du christianisme. Voici donc ce texte qui est parmi les plus insistants à ce sujet : « Et moi, Joseph, je marchais et je ne marchais pas. Et je regardai vers la voûte céleste et la vis figée, et je fixai l’éther et le vis raidi de stupeur, et je vis immobilisés les oiseaux du ciel. Et je regardai à terre et vis un plat et des ouvriers étendus pour manger, et leurs mains étaient dans le plat. Et ceux qui mâchaient ne mâchaient pas (...). Et je vis des brebis que l’on conduisait, et elles restaient sur place. Et le berger levait la main pour les frapper et sa main se maintenait en l’air. Et je regardai le torrent du fleuve où j’aperçus des chèvres : leurs bouches effleuraient l’eau mais elles ne buvaient pas. Et subitement tout fut à nouveau emporté par le courant (de la nature) ». [Retour]

   [21] Il vaut la peine de citer ce texte dont les premiers mots suggèrent, comme j’en ai fait état, une prise de distance critique de l’écrivain, contrairement à l’attitude des évangélistes : « ‘les indigènes affirment’ qu’au moment de l’accouchement, un éclair de la foudre sembla vouloir tomber sur le sol, mais qu’il fut happé par l’éther et disparut dans les hauteurs, les dieux manifestant et prédisant le caractère extraordinaire de l’événement, sa transcendance par rapport à toutes les réalités terrestres et sa proximité par rapport aux réalités divines » (Phil., Ap., I, 5). [Retour]

   [22] Cf. aussi le fonctionnement hors norme de la nature lors de la naissance du Bouddha  : « La terre trembla. Dans le ciel on entendit des chants et des danses. Les arbres de toutes saisons se couvrirent de fleurs épanouies et de fruits mûrs. Des rayons d’une pureté sereine illuminèrent le ciel. » (A.F. Herold, loc. cit.). Quand on sait que l’intervention du surnaturel dans les destinées répugne au bouddhisme, on mesure la puissance d’imprégnation de ces schémas dans le psychisme. [Retour]

   [24] Periégèse (= Parcours descriptif [de la Grèce]), II, 26, 3-5. Des théologiens protestants ont fait état du rapprochement de ce texte avec les récits évangéliques. De même le théologien catholique E. Drewermann en fait grand cas pour éclairer la « scène de Bethléem » (De la naissance des dieux à la naissance du Christ, Trad., Seuil, 1992 [original : 1986], pp. 139-140). Si sa lecture prend des libertés avec l’original grec, les écarts sont vraiment véniels (localisation de la lumière ; origine de la proclamation). [Retour]

   [25] Sur ces clichés, et davantage encore sur leur extension à l’enfance, on lira avec intérêt l’analyse de A. Motte, « Le thème des enfances divines dans le mythe grec », LEC 64, 1996, p. 109-125, et les orientations bibliographiques qu’il fournit (p. 124). [Retour]

   [26] J’adopte, en ce point de mon exposé, une démarche pédagogique dont j’avais perçu l’efficacité dans le cadre d’un cours d’Explication d’auteurs grecs (UCL). À l’inverse, j’avais ressenti comme source de complications d’invoquer, d’entrée de jeu, les acceptions différentes que revêt le terme « historique », même s’il y a là matière à un débat en épilogue. Peut-être s’agit-il, de ma part, d’une maîtrise insuffisante. Mais je constate que les auteurs allemands, qui disposent de deux termes distincts (historisch, fait comme tel, attesté par l’histoire ; geschichtlich, fait marquant l’histoire, fait qui nous interpelle, etc.), n’ont pas pour autant éclairci l’approche de problèmes tels que celui qui est traité maintenant : voir, dans ce sens, pour l’ensemble des questions émargeant à la théologie, le témoignage de J.P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l’histoire. I. Les sources, les origines, les dates (Traduit de l’anglais par J.-B. Degorce, Ch. Ehlinger et N. Lucas), Paris, Cerf, 2004, pp. 32-37. [Retour]

   [27] On peut, sans tomber dans l’anachronisme, tirer confirmation de ce point de vue, d’une déclaration de l’apôtre Pierre lui-même à un officier romain (Actes, ch. 10, 40-41) : « Dieu l’a ressuscité (...) et il a permis qu’il apparaisse non à tout un peuple mais aux témoins choisis d’avance par Dieu ». Comment l’historien pourrait-il reconnaître son champ d’exercice dès lors qu’est professée une telle conception du témoignage ? Pierre ne dit-il pas, à sa façon, qu’on évolue à mille lieues d’une démarche qui serait redevable de la critique historique ? [Retour]

   [28] Il est possible que la portée de ce genre de phénomène ne fut pas ressentie d’une façon aussi péjorative qu’à l’heure actuelle, dans un milieu où, répétons-le, le merveilleux s’incorpore de plain-pied au naturel de l’existence. [Retour]

   [29] Mc 1, 10-11 ; Mth 3, 16-17 ; Lc 3, 21-22. [Retour]

   [30] Lc 9, 30-35. [Retour]

   [31] Cf. « Jésus en débat » dans Verse et Controverse, 19, 1979, p. 72. [Retour]

   [32] « Le mal et l’imaginaire en théologie », dans Imaginaires du mal. Études réunies par M. Watthée et P.A. Deproost, UCL, PUL, 2000, p. 14. [Retour]

   [33] Le Nouveau Testament canonique ne parle pas de l’assomption. Il en est question dans les textes déclarés apocryphes. Le ‘dogme’ en fut formulé en 1950 par Pie XII. Comme me l’a dit un collègue prêtre et pieux théologien, on s’attendait, en ce début de guerre froide, à une mise en garde significative pour le sort du monde, car de ‘sources vaticanes’, on avait annoncé une déclaration importante. On eut droit à la proclamation dogmatique de l’assomption... [Retour]

   [34] Sur le mythe du tombeau vide, bizarrement ignoré de Paul même quand il veut convaincre les Corinthiens de la résurrection : voir note 7. [Retour]

   [35] J’ai lu le récit de ce mythe dans l’édition de G. Bonaccorsi (voir note 4). [Retour]

   [36] Après avoir souligné qu’il évita devant son disciple Damis toute allusion à sa mort, ce qui creuse le contraste avec Jésus, Philostrate, plutôt que de la relater - contraste, cette fois, avec les évangélistes - laisse même planer un doute sur sa réalité et fait allusion à l’existence de plusieurs versions (Phil., Ap., VIII, 29). [Retour]

   [37] De transitu Mariae (éd. de G. Bonaccorsi, p. 272), §§ 25 et ss. [Retour]

   [38] ibidem, § 39. [Retour]

   [39] Éloge de Ptolémée, vv. 46-49. [Retour]

   [40] On pourrait, sur ce thème, élargir l’éventail des exemples ; notamment en exploitant des récits de Lucien : la croyance en la résurrection, suivie d’une ascension au ciel, professée à Byblos, concernant Adonis (De la déesse syrienne, 6) ; une résurrection, au vingtième jour, dont il fait état dans le Philopseudès, § 26. La religion égyptienne apporte également de piquants parallélismes avec les récits chrétiens : voir notamment H. Frankfort, La royauté et les dieux, Paris, 1951, pp. 163-164. Cf. aussi J. Schwartz, « Le voyage au ciel dans la littérature apocalyptique » dans L’Apocalyptique (ouvrage collectif). Études d’histoire des religions, 3, Paris, 1978, p. 91-126. [Retour]

   [41] Nombreux sont les héros qui connurent un accès au rang divin dans le contexte d’une ascension : Romulus (Plutarque, Rom., ch. 27, 7 et ss. ; et alii...) ; Héraklès (e.a. Soph. Phil., vv. 726-8), qui, contrairement à Apollonius, connut, comme Jésus, une mort douloureuse... [Retour]

   [42] Notamment Mth, 28, 2 et 4 ; Mc, 16, 5 et 8 ; Lc, 24, 5. [Retour]

   [43] De transitu Mariae, éd. citée, § 26. [Retour]

   [44] Oedipe à Colone, vv. 1624-25 et 1652. [Retour]

   [45] Voici, regroupées, l’ensemble des références : Phil., Ap., VIII, 30, fin. ; Diog. Laërce, VIII, 68 ; Sophocle, O.C., 1627-31 ; Mth, 28, 5-7 ; Mc, 16, 6 ; Lc, 24, 5-6 ; Jn, 20, 13 ; De transitu Mariae, § 26 et 45. [Retour]

   [46] Réf. : Sophocle, O.C., 1650-1652 ; Diog. Laërce, VIII, 68 ; De transitu Mariae, §§ 39, 44, 45 ; Mth, 28, 3 ; Mc, 16, 5 ; Lc, 24, 4 ; Jn, 20, 12. [Retour]

   [47] Notons au passage que la perception de la lumière est un élément important de la description de l’après-mort dans le bouddhisme tibétain. [Retour]

   [48] Mth, 27, 65-66 ; 28, 4 et 11 ; Phil., Ap., VIII, 30. [Retour]

   [49] Voir note 21. [Retour]

   [50] Philostrate, VIII, 30 et 31. Quant aux variantes concernant Jésus, je renvoie au relevé des contradictions internes des récits. [Retour]

   [51] Un exemple moderne : Simon Kimbangu : « Il a reçu de Dieu des pouvoirs exceptionnels : celui de guérir les malades, de faire marcher les paralytiques, de ressusciter les morts ». « Il tenait des séances de guérison. L’on accourait en foule de partout, on apportait des malades. La rumeur disait ensuite qu’ils s’en étaient retournés miraculés. » (R. Bastide, Les christs noirs, dans M. Sinda, Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Paris, Payot, p. 62-63). [Retour]

   [52] « Jamais nous n’avons entendu un enfant aussi jeune prononcer de telles paroles », fait-il dire aux Pharisiens (30, 3). Et de préciser, dans un autre contexte, que se trouve inversée la relation professeur-élève : « Car moi, je puis enseigner ce que tu dis », met-il dans la bouche de Jésus s’adressant au maître Lévi (31, 2), qui y va d’un aveu stupéfait : « Je ne puis soutenir la parole qui sort de sa bouche, mais mon cœur est stupéfait d’entendre de telles paroles. Car je pense qu’aucun homme ne peut les comprendre, à moins que Dieu n’ait été avec lui... Alors que je croyais avoir un élève, j’ai trouvé mon maître... tout cela ne paraît avoir rien de commun avec les hommes » (31, 3). -- On pourrait élargir ce constat à d’autres personnages, tels que Pythagore (Jamblique, Vie de Pythagore, ch. II [ou § 9-10] ; Porphyre, Vie de Pythagore, 1) ; Moïse (Flavius Josèphe, Ant. Juives, II, § 230 ; Philon, Vie de Moïse I, 5, §§ 18 et 2) et, en dehors du domaine religieux, un Alexandre le Grand (Plutarque, Vie d’Alexandre, IV, 8) ; et l’on pourrait aussi invoquer le Bouddha (A.F. Herold, op. cit., ch. 10, pp. 24-25 ; A. Foucher, op. cit., pp. 76 et ss) ainsi que Mahomet (T. Andrae, Mahomet, sa vie, sa doctrine, traduit de l’allemand par J. Gaudefroy-Demombynes [Initiation à l’Islam, 2], Paris, 1945, pp. 60-61). [Retour]

   [53] De Jésus, on connaît la prédiction : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours » (Mth, 26, 61 ; 27, 40 ; Mc, 15, 29 ; Jn, 2, 19), mais le symbolisme de cette prophétie en affaiblit l’impact. Il y a aussi la prédiction de la destruction de Jérusalem (Mth, 24, 2 ; Mc, 13,2 ; Lc, 21, 5-6). Quant à l’annonce du reniement de Pierre (Mth, 26, 34 ; Mc, 14, 30 ; Lc, 22, 34 ; Jn, 13 , 38), et de la trahison de Judas (Mth, 26, 21 ; Mc, 14, 18 ; Lc, 22, 21 ; Jn, 13, 18 et ss.), on y verra surtout de la sagacité. [Retour]

   [54] « Il envoie deux de ses disciples et leur dit : allez en ville et, à votre rencontre, viendra un homme porteur d’une cruche d’eau. Accompagnez-le et là où il entrera, dites au maître de maison (...) et les disciples trouvèrent la situation dont on leur avait parlé ». [Retour]

   [55] Bacchantes, vv. 446 et ss. : les liens de leurs pieds se sont défaits d’eux-mêmes, les verrous relâchés ont fait s’ouvrir les portes, sans qu’une main mortelle y vînt toucher. [Retour]

   [56] Panég., 89 : (il réalisa...) « de faire naviguer son armée à travers la terre et de la faire marcher à travers la mer ». [Retour]

   [57] A. Foucher, op. cit., p. 219. [Retour]

   [58] Cf. Ap., Phil., I, 9 ; IV, 10 ; VI, 43. [Retour]

   [59] J.M. Van Cangh, « Santé et salut dans les miracles d’Épidaure, d’Apollonius de Tyane et du Nouveau Testament », Gnosticisme et monde hellénistique, Louvain-la-Neuve, P.I.O.L., 27, 1982, p. 263. En relation moins proche avec notre sujet, voir, du même auteur : « Évolution du motif de la foi dans les miracles synoptiques, johanniques et apocryphes », dans Bibl. Ephem. Theolog. Lovan., 110, 1993, pp. 566-578. [Retour]

   [60] Voir, entre autres : Mt, 9, 22 ; 15, 28 ; Mc, 5, 34 ; 9, 22 ; 10, 52 ; Lc, 7, 50 ; 8, 48 ; 17, 19 ; 18, 42. [Retour]

   [61] Les jardins de lumière, éditions J.-Cl. Lattès, 1991, p. 299. [Retour]

FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006

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