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Interview de Jean-Michel Vernochet (publiée sur http://www.toutsaufsarkozy.com), coordinateur de Manifeste pour l'Europe des peuples, ouvrage collectif.
R&A - Considérant les dérives de l’actuelle Union Européenne certains auteurs qui s’expriment dans « Le Manifeste », proposent d’en revenir au texte fondateur du Traité de Rome signé en 1957. Pourtant, la relecture des Pères fondateurs pourrait laisser penser que, dès le départ, les dés étaient pipés ?
JMV - Toute la construction européenne s’est faite autour d’un non-dit. Malentendu pour les uns, arrière-pensée pour les autres. Il est clair que la construction a été lancée sur un a-priori implicite : la destruction des États nations. L’idée même de nation étant devenue odieuse aux nouvelles classes dirigeantes dans un monde occidental dominé, au lendemain de la guerre, par un modèle démocratique à prétentions universalistes, exporté par l’Amérique. La nation est depuis accusée de tous les maux, la responsabilité de toutes les guerres passées, présentes ou futures. Cela était évidemment mensonger, mais le propre des idéologiques dogmatiques n’est-il pas qu'elles soient admises et imposées comme Vulgate, sans le moindre examen critique. Intelligentsia et politiques réunis ont tous communié dans la volonté de détruire l’idée même de communauté nationale. Notion toujours méprisable lorsqu’il s’agissait des peuples de la vieille Europe, mais exaltée lorsqu’il s’agissait de soutenir les mouvements exotiques de libération nationale. Attitude schizophrénique, mais en surface seulement puisque la logique inavouée était une guerre sans limites contre la souveraineté des anciennes nations appelées à se satelliser puis se fondre dans l’espace marchand et sécuritaire euratlantique.
Loin de s’affaiblir avec le temps cette haine de l’État national (c’est-à-dire incarnant une communauté et une continuité de destin historique, ethnoculturel), s’est exacerbée jusqu’ à produire une guerre de sept ans en Europe même avec pour but le démantèlement de la Fédération yougoslave. Processus non encore achevé malgré l’épuration ethnique qui a frappé les Serbes dans leur foyer historique du Kossovo et qui pourrait nous réserver des surprises tant la poudrière balkanique mérite bien son nom !
Notons que cette guerre intra-européenne, la première depuis septembre 1939, se déclenche alors que la construction communautaire a pris un tournant décisif avec la signature du Trait de Maëstricht le 7 février 1992, intervenu alors que le processus de désintégration de la Yougoslavie vient de commencer avec la sécession, soutenue par l’Allemagne, de la Slovénie le 25 juin 1991. Cette guerre européenne n’a en fait été rendue possible que par la signature le 17 février 1986 de l’Acte unique européen qui, en matière de sécurité collective, associait le destin de l’Union de l’Europe occidentale à celui de l’Otan qui portera au printemps 1999 le coup de grâce à la Fédération yougoslave au cours de deux mois de bombardements intensifs notamment sur des objectifs civils, soit autant de crimes de guerre.
Les guerres balkaniques ont ainsi révélé la vraie nature de l’Union européenne dans sa vocation à servir les objectifs politiques et militaires de la puissance atlantique au cœur même de l’Europe. Pour mémoire, je rappellerais en raccourci que le Kossovo abrite aujourd’hui la plus grande base américaine à l’Ouest du continent, que d’autres sont en cours d’aménagement chez les derniers arrivants, Roumanie et Bulgarie ; que la Pologne, supplétif des anglo-américains en Irak (où à contre sens du mouvement général de désengagement, renforce son contingent à l’heure de la débâcle !), va installer des batteries de missiles anti-missiles qui n’ont évidemment pas vocation à bloquer d’éventuelles frappes iraniennes, mais bien à contenir, au sens d’encercler, une Russie qui poursuit son effort de reconstruction nationale. Je rappelle enfin, que la guerre du Kossovo a été conduite par les Européens sous la houlette du Grand frère - Big Brother – américain, hors de toute légalité internationale, c’est-à-dire sans l’aval du Conseil de Sécurité, mais sous la bannière du Pacte atlantique !
Plusieurs États, membres de l’Union ce sont aujourd’hui associés aux Etats-Unis dans leur guerre d’agression contre d’autres États souverains, en Irak, par exemple, l’un de ce derniers verrous de souveraineté qui bloquent l’intégration des peuples au sein d’un vaste espace de pillage économique – ce que d’aucun nomment le marché global – au profit de minorités oligarchiques, lesquelles ont théorisés la concentration des pouvoirs d’argent entre leur main au nom d’une prétendue liberté : celle du renard libre dans le poulailler libre ; étant entendu que les volailles s’interdisent de battre des ailes pour échapper à leur sort. À ce titre, les peuples ne sont plus aujourd’hui, à mes yeux, que du bétail taillable et corvéable à merci au seul profit des prophètes d’un ultralibéralisme dont la seule foi et la seule loi, tiennent dans la concentration sans limites de puissance entre leurs mains, celle d’une poignée d’élus régnant sur l’univers.
R&A - Pourtant un argument souvent martelé est que, malgré ses imperfections, la grande réussite de l’Europe c’est la paix ?
JMV – Plus c’est énorme et mieux ça marche. Plus le mensonge est phénoménal et plus il devient incontestable. D’ailleurs qui peut répondre, et où, et comment ? La grande presse est aux mains d’analphabètes recrutés spécifiquement pour leur ignardise et leur absence de jugement personnel, qui tournent très vite menteurs professionnels parce qu’enfin, ils ont quand même des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. L’exemple des guerres balkaniques est exemplaire et l’affaire n’est pas terminée ; après la Yougoslavie, une fois le Kossovo indépendant, ce sera au tour de la Macédoine. Pendant ce temps l’on nous serine « l’Europe, c’est la paix ». Du pur Orwell. Je signale au passage que pour constituer la Légion arabe qui participa à la guerre de Bosnie sous les auspices de la CIA, Oussama Ben Laden bénéficia d’un passeport diplomatique bosniaque qui lui fut remis à Vienne ! Cela en dit long sur les dimensions cachées des conflits d’Europe orientale et des manipulations qui les accompagnent…
Pour ne pas conclure sur ce chapitre, je note que l’Union participe aux côtés des É-U à sa Guerre sans limites contre l’aire civilisationnelle islamique : n’est-ce pas l’Otan qui conduit les opérations sur le théâtre afghan ? L’Otan, jusqu’à plus ample informé, c’est essentiellement l’Europe. De jeunes européens font donc actuellement la guerre au profit des oligarques et des néo-conservateurs américains. Double conclusion : l’Europe américaine sous tutelle de l’Otan, c’est la guerre ; les politiques et leurs sbires médiatiques nous prennent pour des imbéciles.
R&A – Dans le domaine économique, l’idéologie officielle de l’Union est celle du libre-échangisme intégral. Cela nous a-t-il finalement permis de créer un espace de coprospérité viable ?
JMV - Évidemment non. La liberté des échanges, des personnes, des biens, des idées fonctionne, la plupart du temps, à sens unique. En ce qui concerne les personnes essayez donc d’immigrer illégalement n’importe où dans le monde, vous m’en direz des nouvelles. Il n’y a que dans l’Espace Schengen où l’on puisse entrer comme dans un moulin, s’installer et faire prévaloir des droits exorbitants du sens commun. Quant aux É-U, la Chine, l’Inde, ils protègent jalousement leurs frontières et ces superpuissances ne se privent pas de recourir à des mesures protectionnistes que nous nous interdisons au motif de respecter un carcan de règles infernales qui dévastent nos économies les transformant littéralement en friches industrielles sous l’effet du tsunami des délocalisations vers les pays sans coûts sociaux. La dérégulation générale de l’économie, et ce n’est là qu’un paradoxe apparent, s’accompagne en outre d’une division internationale du travail voulue par les sorciers planétaristes qui décident de nos destinées dans les enceintes du le G8, de l’Otan, de l’OMC. En fait de co-prospérité, l’élargissement démentiel de l’Union à l’Est, tire nos économies vers le bas, nous appauvrit, stérilise nos énergies. Et parce que les nouveaux entrants sont étroitement inféodés aux É-U - à l’Est Washington ne se gêne pas de pratiquer une politique clientéliste avec ses nouvelles démocraties bananières - l’Union élargie à vingt-sept constitue à l’évidence un vrai danger dans l’actuelle conjoncture de guerre. Je veux parler du conflit qui peut intervenir à tout instant contre l’Iran.
R&A - Le protectionnisme ne serait-il pas un choix économique suicidaire pour l’Europe ?
JMV – C’est ce que l’on a voulu nous faire croire pendant des décennies. Cela fait partie de l’arsenal ordinaire du terrorisme intellectuel. Il n’y a pas que les hommes qui soient diabolisés, les idées aussi. Cela permet d’interdire des champs sémantiques essentiels à la compréhension du monde et sans lesquels il ne saurait y avoir de liberté de pensée et d’action. Ce ne sont pas seulement des mots qui sont retranchés du vocabulaire, mais des idées qui sont interdites : s’il vous manque des pièces dans le mécano vous permettant de construire une vision cohérente du monde, vous construisez autrement, de façon bancale, incomplète, faussée.
L’interdit qui frappe certains mots dans cette Novlangue, tels ceux de nation, d’identité – on vient de le voir dans la campagne des présidentielles – ou son corollaire ethnicité, rend impossible de penser la réalité et par conséquent canalise l’action à sens unique. Nous sommes peu à peu enfermés dans des labyrinthes sémantiques qui cassent la logique du vivant – comme dans les nouveaux plans de circulation de la Capitale - et interdisent l’action ; nous sommes prisonnier d’une matrice logique qui nous coupe du réel comme l’avait imaginé George Orwell. De façon générale, le protectionnisme linguistique est essentiel à notre survie en tant que peuple. Nous devons œuvrer contre toutes les tendances à la déstructuration linguistique, tous les abâtardissements anglomaniaques ou créolisant.
Il est clair qu’en matière économique, un certain protectionnisme relève du plus élémentaire bon sens, notamment dans les secteurs où nous devons en aucun cas ne pas dépendre des importations. L’agriculture en est un parmi d’autres : l’éventualité très présente de crises internationales engendrant une rupture des approvisionnements extérieurs, crée une insupportable dépendance. Idem pour l’énergie, ceux qui prônent l’abandon du nucléaire sont, au mieux, des imbéciles.
R&A - Douze millions de paysans sont portés manquants en Europe, les mines, la sidérurgie, le textile ont presque disparu, maintenant les secteurs de haute technologie comme Airbus, paraissent menacés. Quel doit être notre destin dans un monde dominé par la grande finance apatride ?
JMV – Ne plus avoir de destin du tout puisque nous n’existerons plus en tant que peuple doué d’une conscience et d’un imaginaire collectif. Les champs de ruines industriels, mille ans de terroirs effacés par l’agrobusiness, la mémoire effacée des paysages et les jeunes cervelles lessivées par le système de formatage idéologique qui se nomme par antiphrase « Éducation nationale », la déculturation et la zombification universelle, seront notre destin. Celui d’un bétail humain producteur et consommateur et, le cas échéant, chair à canon destinée à l’abattoir dans des guerres perpétuelles opposant le Nord au Sud, l’Ouest à l’Est. Notre destin se situe quelque part entre la matrice des frères Wachowski et « 1984 ».
Je précise que cette façon de voir n’est pas outrancièrement pessimiste ; nous y sommes déjà et la meilleure preuve en est que nous n’en avons que peu ou pas conscience du tout ! Nous ne décidons plus de rien, nous le peuple réputé souverain, car ladite démocratie est depuis longtemps totalitaire à bas-bruit, tout est prohibé et les rares choses autorisées le sont très explicitement (et non le contraire comme l’avait bien noté Coluche). Nous sommes caporalisés, enfermés dans un monde de sens unique, de panneaux d’interdiction, suspects de naissance... N’êtes-vous pas d’accord ?
R&A - Plusieurs contributeurs au « Manifeste » se rattachent à la mouvance souverainiste. Si nous partageons avec eux la conscience aiguë du danger lié à une construction européenne supranationale, a contrario, le refus de l’Europe ne constitue-t-il pas un autre danger ? Celui d’un repli sur le bastion national menacé de n’être plus à terme qu’un ghetto hexagonal ? L’espace géopolitique européen n’est-il pas notre dernière chance ?
JMV – Cela ne se discute pas. Face aux « empires » émergents d’Asie et la surpuissance de la thalassocratie anglo-américaine, notre seule issue est dans la construction d’une Europe-puissance où chacun conservera ses atouts. À nous d’inventer un modèle qui saura associer les prérogatives de la souveraineté avec le jeu coordonné de l’ensemble. Il est clair que certains États auront une voix prépondérante ; la France, l’Allemagne, ou les deux réunis, si la convergence de vue et d’intérêt est atteinte. Pour tout orchestre, il faut un conducteur, le reste est bavardage. De toute façon, seuls, nous ne faisons pas le poids, surtout en traînant le fardeau des droits de l’homme et d’une dette pharamineuse… Quant aux dits souverainistes, permettez-moi de douter de la pureté de leurs intentions : n’ont-ils pas épousé la rhétorique mortelle du Choc des civilisations dont la traduction ici sera la guerre civile ? N’étant pas totalement des sots, j’imagine que leur conception de la souveraineté n’est pas du tout en rupture avec l’atlantisme ; la seule ligne de clivage politique ayant un sens - à présent que droite et gauche sont mortes ou quasiment - est entre indépendance ou satellisation. Les avez-vous entendu dénoncer l’Otan ? Non ? Bon alors !
R&A - Qu’est-ce que l’Europe ?
JMV – Vaste question. L’Europe des peuples préexiste à son concept. La réalité précède l’idée et le mot. L’Europe est une réalité née de l’histoire. Elle existe parce que tous autant que nous sommes, sortons d’une matrice ethno-culturelle commune. Il a les négateurs de l’Europe réelle, ceux qui effacent délibérément les origines et font la guerre à notre mémoire collective ; ceux qui voudraient exclusivement des Européens de papier selon ce qu’ils appellent des critères de convergence. À ce titre, n’importe qui peut se déclarer européen s’il remplit le cahier des charges établi par les eurocrates. Évidemment, il faut d’urgence revenir à la réalité, sortir du rêve éveillé et rebâtir un monde pour des hommes de chair et d’os. L’utopie européiste, meurtrière comme toutes les utopies, nous conduit droit au chaos économique et social. À nous de changer ce funeste destin. À nous de retrouver les chemins de la liberté.
R&A : Le « Manifeste » appelle à une refondation du projet européen comme préalable à renaissance des peuples. Comment vous situez vous idéologiquement par rapport à la ligne de notre revue ouvertement identitaire, grande européenne et révolutionnaire ?
JMV - Rien de ce qui est humain, et particulièrement français et européen, ne m’est étranger. La France est ma terre natale, l’espace culturel et linguistique qui a façonné ma personnalité et modelé ma façon de penser, d’être au monde. Nous faisons corps avec la terre nous vivons. Peut-être peut-on aller jusqu’à dire que nous sommes imprégnés ou possédés par l’esprit de la terre où nous vivons. Toujours est-il que, si aujourd’hui nous ne réagissons pas, nous sommes des condamnés à mort. Mort économique, culturelle, nous disparaissons en tant que peuple porteur d’une haute culture ; nous nous fondons dans un magma humain aux couleurs de la world culture, autrement dit le néant culturel.
Certains ont pu parler encore dans un passé récent de la mission spirituelle de la France, sans aller jusque-là, disons que nous avons un devoir de survie ; or nous ne survivons que dans et par nos enfants dans la mesure où ils nous ressemblent ; ceci suppose la préservation du terreau où ils poussent, c’est-à-dire le support existentiel, territoire matériel, géographique, qui est aussi espace spirituel et culturel. Nous avons également un devoir de fidélité à l’égard de nos aïeux, de nos ancêtres qui ont tant sacrifié, souffert et espéré pour bâtir cette France qui est nôtre d’héritage et de droit ; une entité physique réelle, charnelle, organique et pas seulement une idée pouvant être frappée d’obsolescence. Ne varietur. Cette conscience et cette volonté d’être nous-même, de transmettre ce que nous avons reçu à ceux qui viennent et qui sont nos fils, qui donc, par filiation sont porteurs et vecteurs des destinées anciennes, cela est notre droit et notre devoir.
Si revenir au réel est une attitude révolutionnaire et bien oui, je me déclare comme tel. Je milite pour la révolution du vivant contre les idéologies de mort qui vouent les hommes et les cultures au suicide collectif. Seul l’homme enraciné peut prétendre à l’universalité. Il faut être pleinement soi-même, inscrit dans une lignée cohérente, venant du passé pour aller vers l’avenir. La seule façon d’être humain est d’être pleinement soi-même, conscient et libre de ses choix. La société que nous devons bâtir devra permettre cette assomption de l’homme. Dans le cas contraire, elle est son pire ennemi.
28/04/99
"L'arme du développement contre les bombes : un testament posthume"
Ces lignes d'explication, de tristesse et de supplique sont proposées ici en forme de testament posthume imaginé de Paul-Marc Henry, Ambassadeur de France, fondateur du PNUD, ancien président du Comité de développement de l'OCDE, ancien secrétaire général adjoint des N.U., infatigable éclaireur et volontaire pour les missions les plus difficiles (le Liban de 1983). Mort en mars l'année dernière de retour d'une mission dans les Balkans, auxquels il a totalement donné son intelligence et sa force de paix, et où il présidait le "Centre Européen pour la Paix et le Développement"-ECPD, établi à Belgrade dés 1984 par l'Université de la Paix des Nations Unies. Aujourd'hui, un an après, il est trahi par cette dynamique bancale, mortifère, et de l'aveu de presque tous, stupidement contre-productive.
Aujourd'hui les bombes sacrent Milosevic, lui qui quelques mois auparavant était voué aux gémonies des municipalités yougoslaves. Aujourd'hui et pour la deuxième fois, le monument érigé à la France dans un jardin de Belgrade ("aimons la France comme elle nous a aimés") est recouvert d'un voile noir : Rambouillet aux deux volets était pipé ; c'était l'oukase, non la diplomatie.
Les bombardements sous influence américaine ne régleront pas le problème qu’ils sont censés régler, bien au contraire : ils cristallisent les haines et radicalisent les oppositions. De surcroît ici, le régime des "2 poids- 2 mesures" est patent : A-t-on jamais bombardé pour les kurdes, les tibétains, les palestiniens ? ; quels furent les empressements internationaux et communautaires vers les milliers de réfugiés de Krajina, de Croatie, de Bosnie; ailleurs et au gré de stratégies fugitives et variables, Arafat, Hossein, Saddam, Assad, Khadafi adulé par Mandela, Pinochet adulé par Thatcher, n’ont-ils pas revêtu la peau de l'Adolphe...)
Quels seraient donc les buts cachés de l'opération OTAN : Une escalade volontaire et réfléchie pour certains de ses membres ? Une fuite en avant irréfléchie pour d'autres? L'effet est si opposé au but annoncé -réduire Milosevic pour assurer le Kosovo- qu'un autre dessein semble se cacher derrière la préoccupation humanitaire... affaiblissement de l'Europe à moyen terme ? introduction d'influences extra européennes ? stratégies commerciales d'un nouvel ordre hégémonique ?
Le problème, à l’évidence, nécessite un engagement au sol, tout le monde le dit, peu y consentent encore... Mais quel engagement ? un engagement d’armées punitives chargées d’oukases partisans, instituant pour longtemps un Viêt-Nam en Europe? ou un engagement constructif pour l’organisation prochaine d’une harmonie encore et toujours possible ?
N’aurait-il pas été plus avisé, plus positif de proposer de mettre sur le terrain une armée française (pour la sensibilité serbe) et une armée italienne (pour la sensibilité albanaise) en force d’interposition d’abord, puis de médiation ensuite.
N’aurait-il pas été plus avisé encore, il y a dix ans, d’inviter une Yougoslavie intacte avec toutes ses rétives républiques, au banquet commun de l’Union Européenne ? A cette table, elle aurait enfin appris aujourd'hui, par l'exercice de la démocratie véritable, à mieux se tenir, et à surmonter les tentations ethnicistes. Malheureusement, les égoïsmes de l’Europe de Bruxelles réduisaient notre petit bout d'Europe à jouer au monopoly de sa monnaie commune, puis de sa monnaie unique, avec son noyau dur de financiers nantis et satisfaits, opaques à la "Maison Commune" d'une grande et généreuse Europe où le partage aurait été la règle, sur fond conscient ou inconscient de chrétienté.
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Mais en dépit de cette coupable absence, dans ces Balkans telluriques, quelques rares organisations tenaces, comme ECPD, bien que sans moyens financiers mis à part les fonds privés de leurs membres, s'efforçaient, par la conception et la mise en œuvre de programmes interrégionaux de développement, de réduire les dangers des tremblements. Tremblements d'autant plus prévisibles qu'un embargo, un long blocus, injuste parce que non sélectif, interdisait le développement du pays, à un moment critique où l'accueil des réfugiés de Krajina aurait au contraire nécessité une aide extérieure peu empressée pour ces réfugiés serbes des confins...
Voilà ce qui, sous l'autorité du président académique du "Centre Européen pour la Paix et le Développement"-ECPD, a été fait ou était sur le point d'être réalisé dans ces Balkans mortifiés. Quelques exemples :
Avec la "Fondation de l'Académie de la Mer Noire", dont le siège est à Bucarest et dont le président est l'académicien Mircea MALITSA, lui-même vice-président de ECPD, nous avions travaillé à la promotion des nouveaux potentiels du Danube et au redéploiement de son bassin agricole en prévision des débouchés à l'Est vers les régions plus lointaines. Un congrès avait réuni à Bucarest les autorités roumaines, hongroises, allemandes et françaises en vue d'un Traité d'Amitié Roumano-Hongrois sur fond d'amitié retrouvée entre France et Allemagne, traité signé quelques semaines après...N'aurait-on pas pu extrapoler à d'autres pays, avec l'aide internationale et communautaire ? Et le Danube ne sera-t-il pas lui aussi bientôt sous les bombes ?
D'autres rencontres à Podgorica et en Albanie étaient organisées entre autorités yougoslaves et albanaises, dans le cadre de programmes inter-régionaux de développement. Notre interlocuteur principal et ami était le Premier ministre d'alors, Milo Djukanovic, actuel président du Monténégro, ainsi que son ministre des affaires étrangères, maintenant décédé, Janko Jeknic.
Le premier de ces programmes, d'intérêt commun, était particulièrement apte à l'apprentissage des bons voisinages : il s'agissait d'abord de l'aménagement de l'immense lac de Shkodër-Skandar-Scutari, commun aux deux pays RFY et Albanie .Il s'agissait encore de la mise en oeuvre du projet "d'Etat Ecologique du Monténégro", initiative ambitieuse décidée par cette république de RFY lors de la Conférence de Rio de Janeiro de 1990. Le plan était au point. Le blocus en retardait la mise en oeuvre, comme les tentatives d'investisseurs avides et douteux s'infiltrant par les voies de la privatisation -panacée bien connue peu scrupuleuse de l'avenir harmonieux des régions qu'ils investissent, bétonnent, abusent. C'est ainsi que déjà des séducteurs poussaient à la sécession du Monténégro. Encouragés par l'OTAN, ces opportunistes ne tarderont pas à réapparaître le jour de l'accalmie...
Pourtant ces efforts d'innovation étaient prometteurs : En octobre 1996, lors de la "Conférence de Kotor” "(Monténégro) réunissant les pays méditerranéens et balkaniques, nous avions proposé et rédigé le dernier paragraphe de la Déclaration Finale dont voici le texte :
“La Conférence enfin s’honore des initiatives de coopération inter-régionale qui ont été mentionnées et dont certaines se manifestent et se concrétisent aujourd’hui, notamment entre Albanie et Monténégro quant à la mise en valeur de la région commune du Lac de Shkodër-Skandar : en marge des mesures restrictives internationales, et coordonné par le “Centre Européen des Nations-Unies pour la Paix et le Développement” - ECPD, ce type d’initiative constitue par excellence l’exemple à multiplier dans nos régions méditerranéennes et balkaniques, et à faire connaître au monde, en gage de notre volonté d’harmonie, de paix et de fraternité.”
Dans ces conditions, comment peut-on ne pas être outragé d'un tel retour, d'un tel recours à la double barbarie - exode et bombardements - qui se nourrit d'elle même et se multiplie par réciprocité causale ! N'est-ce pas un acte de trahison de ceux qui, avec Paul-Marc Henry, albanais, monténégrins, serbes, roumains, hongrois, allemands, français, tous "jardiniers de l'enfer"1 s'efforçaient dans le désert de prévenir les désastres - et commençaient à réussir sur ces terrains d'espoir et de désespoir, à faire fructifier "la Force des Faibles"2 .
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Dés 1989, nous fondions "Euroskopia". L'objectif de cette association de droit belge était précisément d'être "un outil pour une Europe ouverte au monde", dans le cadre de l'interdépendance dont on ne voit que les effets négatifs et qu'il fallait humaniser en lui donnant une âme, la solidarité. Dés 1991, nous nous rendions en Albanie, pays traumatisé, rendu schizophrène par un chef paranoïaque. Il fallait tenter, encore une fois dans l'indifférence générale, d'y promouvoir un comportement apte au développement, pour éviter que ce pays ne sombrât ou dans la dangereuse dépendance de l'aide caritative, et c'est le cas, ou dans les griffes avides des séducteurs et profiteurs étrangers, et ce fut le cas !. Les partenariats sollicités manquent encore, quel que soit le secteur d'activité économique considéré. Les événements actuels n'arrangeront rien.
Dés cette époque, nous avions pris acte des risques liés au Kosovo, au Sandjak, à la Voïvodine comme étant les futurs chantiers de destruction prévisibles, voire prévus par les stratèges géopolitiques bien connus, qui utilisent ces fragiles terrains humains pour asseoir leur hégémonie politique et commerciale : Aujourd'hui la Voïvodine est coupée du reste de la Serbie par les bombardements, en prévision de la suite, comme sans doute l'entrée en scène de la Hongrie, à dessein otanisée depuis 15 jours... Et, conscient des dangers, sans flatterie ni langue de bois, avec tout le respect dû à ces pays si longtemps meurtris, si nouvellement humiliés, Paul-Marc Henry les mettait en garde d'une trop naïve espérance dans un Occident salvateur à long terme : "Il n'y aura pas de Plan Marshall, ne vous leurrez pas; il n'y a même pas de statut quo, chaque jour qui passe marque l'accélération de la chute, dès lors la seule issue se trouve dans votre travail de reconstruction autonome. Ne vous bercez pas des discours illusoires sur le marketing, ou le free market, ou la privatisation, et quelles privatisations ? Avant tout comptez sur vos efforts consentis dans le sacrifice et le courage, pour assurer par vous-mêmes et selon des plans imaginatifs, souples et adaptés les besoins de base de toute communauté humaine : alimentation, éducation, santé, logement, etc."
Quand donc enfin aurons-nous le courage du recul désintéressé, au vu des désordres et désastres annoncés, proclamés, mais ignorés ou repris toujours trop tard par la presse, de promouvoir ceux qui, interdits de médias de facto, oeuvrent en prévention, par le développement, principal garant de la paix, principal formateur aux réflexes démocratiques ? C'est tout le sens et le but de ECPD et c'était bien le combat de son président académique, auquel nous resterons fidèle.
Mitterrand n'avait pas raison quand il disait aux Africains : "démocratisez d'abord, on vous aidera après"; il fallait plutôt dire : "aidons les initiatives populaires de développement, d'elles naîtra la démocratie". C'est le monde volontairement mis à l’envers. Ainsi n'avais-je pas entendu ce professeur de Washington (Howard Wachtel), lors d'un congrès au Conseil Economique et Social de Paris en 1995, réunissant des personnalités de tous les pays de l'ex-Yougoslavie, distiller un très cynique et perfide conseil sur le thème des "perspectives économiques des nouveaux micro-états dans les Balkans et le sud-est européen". Il disait en substance : " S'il y a des géants géographiques qui sont des nains économiques, le Congo, le Bangladesh, il y a en revanche des nains géographiques qui sont des géants économiques, Hong Kong, Singapour...Alors vous, petites républiques ex-yougoslaves, voilà tracé votre challenge !".
La division fait la force, le diable le sait bien. Voilà la stratégie : Diviser, provoquer, diaboliser, punir, détruire, investir, endormir, niveler, asservir en libérant par le bas.
Alors après avoir vanté et suscité les divisions (ô ce terme "délitement" confectionné sur mesure, et apparu dans la presse précisément en même temps que la dislocation de la Yougoslavie), l'Occident scandalisé vient en "moraliste omnipotent", comme le rappelle J.P. Chevènement, faire la guerre aux seuls démons dirigeants autour desquels à l'évidence les peuples victimes ne tardent pas à se souder. Et ces peuples punis à leur tour sont, après les coups, soignés avec une bien trouble attention. "Ante bastonare, post curare ". C'est le package parfait des armes projectiles modernes : la balle, la poudre, l'amorce, et le tampon mercurochrome. Sinistre blague de premier-avril à accrocher au dos de l'éthique internationale. Mais cette nuit encore, les bombardés accrocheront à leur coeur la cible du courage. Comportement "furtif", n'est ce pas ?
Et que dire de la Turquie qui se blanchit en Occident, qui d'un côté bombarde les serbes et de l'autre les Kurdes. Milosevic contre Öcalan. .../.
Supplions d'arrêter tout de suite cette fuite en avant, ce bombardement insensé, totalement contraire à ses buts déclarés; ce sera moins difficile aujourd'hui que demain, car le mal s'aggrave, se burine et se creusera toujours plus profond dans les mémoires...Il grandit et grossit la sinistre cohorte des réfugiés, des hébétés, il trahit tout le monde et accuse ses auteurs. Il est injustifiable, mais il est justiciable. N'oublions pas l'horreur en Irak qui, à l'ombre des médias, parfait aujourd'hui son oeuvre par ses effets secondaires.
Y aurait-il donc des bons et des mauvais expulseurs, selon qu'ils seraient serbes, congolais, chypriotes, turcs, israéliens ou cingalais ? Tous les expulseurs se ressemblent, ces videurs vulgaires ont toujours de bonnes raisons, pas ceux d'à côté...
Y aurait-il donc des bons et des mauvais réfugiés, selon qu'ils seraient serbes, polonais, kosovars albanais, soudanais ou palestiniens ? Tous les réfugiés du monde se ressemblent, car ils n'ont rien sinon l'humiliation. On leur promet le retour; les palestiniens attendent depuis 51 ans. Et l'Occident musclé ici, se fait penaud là-bas et réclame l'ajournement de leur Etat !
Rappelons nous aussi les réfugiés de Croatie, de Bosnie, ceux du Congo, les autres passés par pertes et profits, perdus dans les déserts et dans le temps, comme ceux de Krahina, mais ce n'était que des Serbes qui "rentraient chez eux"; ils sont maintenant sous les bombes. Oui, les réfugiés, se valent tous, tous sont les mêmes, exactement les mêmes, quoiqu'on les oublie au gré de nos affinités, de nos convictions, de nos intérêts. Mais ces cohortes fugitives, ces damnés du diable, ces "déshérités sur la terre" comme on dit en Islam, ne nous oublieront pas...Pas plus, pas moins que ceux qui se terrent, les bombardés.
La saddamisation des Serbes, qui perce sous celle de Milosevic, n’est-elle pas le symptôme d’une Europe qui ne veut plus négocier, parce qu'elle ne s’appartient plus ou pas encore, et surtout d’une France ré-otanisée, sous influence, oublieuse de de Gaulle, une France qui, à reculons, "sort de l’Histoire", comme l'exprime le Général Gallois3, profondément meurtri par l’actuelle et mortelle impéritie.
Le développement est mort de n'avoir pas été soutenu pour éviter l'irréparable. Que d'efforts de longue durée trahis en si peu de temps, en si grand nombre de bombes, de victimes et de réfugiés ! Que d'argent en fumée qui aurait pu préventivement être utilisé à nourrir les initiatives de construction de ces pays trompés ! Avec son pipeau technocrate, le preneur de rats de Hameln était passé hier sans être payé; aujourd'hui sans se payer, il repasse, contemplant la noyade générale, dans l'exode et les flammes.
Le seul moyen d'en terminer sainement et de remettre le monde sur son socle d'équilibre, c'est l'arrêt des bombardements et l'engagement au sol pour l'arrêt de l'exode. Mais un engagement d'interposition, de médiation, d'initiatives et de réaménagement, dans le respect des intérêts à court et moyen terme de tous les habitants du Kosovo. Ensuite, promouvons le développement.
Rappelons que MILOSEVIC avait accepté le premier volet politique de Rambouillet sans accepter la "carambouille" imposée du volet de l'OTAN. Cette approche serait d'autant acceptée qu'il s'agirait de l'armée française (si toutefois le crédit de la France tient encore un peu dans le peuple serbe) et de l'armée italienne (acceptable en tout cas par les deux peuples serbe et albanais). L'ONU, seule légitime, ne devrait-elle pas confier à l'OTAN le soin de transmettre délégation à ces deux armées ?
Nous sommes en devoir d'une attitude gaullienne propre à éviter non seulement le désastre actuel, mais aussi les prochains programmés : au Sandjak, en Voïvodine, en Macédoine...
Puisse notre cher président académique, Paul-Marc HENRY veiller d'où il est, et guider les dirigeants qui s'opposent aujourd'hui sur la voie de la vérité, de la justice et de l'harmonie à venir. Ces lignes n'engagent que moi.
Gonzague HUTIN
Représentant ECPD (Evropski Centar za Mir i Razvoj)