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3 février 2008

Le christianisme est un humanisme

Le Christ est-il un philosophe qui aurait mieux réussi que les autres ? Le directeur du Monde des religions, Frédéric Lenoir, livre une conception controversée de la nature et de l’histoire du christianisme

« Le christianisme est un humanisme »   par Henrik Lindell

Comment comprendre le titre de votre livre : Le Christ philosophe ?
C’est un titre un peu provocateur. Le Christ n’est pas un philosophe au sens où on l’entend dans la tradition universitaire. La philosophie fait référence à la raison et non à la foi. Mais dans le message du Christ, il y a aussi un message rationnel. Bien entendu, Jésus fait constamment référence à Dieu et se présente comme l’envoyé de Dieu. Mais les grands principes évangéliques sont si fondés en raison et universels qu’ils vont jouer un rôle déterminant dans l’histoire de l’Occident. Érasme, le grand penseur de la Renaissance, disait qu’il faudrait enlever tout le fatras théologique qui alourdit le message du Christ pour retenir la substantifique moelle des grands principes évangéliques qu’il appelait « la philosophie du Christ ». Les Évangiles sont ainsi devenus l’une des principales sources de l’humanisme moderne.

À qui destinez-vous ce livre ?
D’abord aux non-chrétiens, à tous ceux qui ne connaissent pas le christianisme mais qui pensent qu’il s’oppose à la modernité. Mais aussi aux chrétiens qui ont jeté le bébé avec l’eau du bain, qui ont confondu l’institution catholique avec le message évangélique.

Les évangiles sont-ils humanistes ?
Le message du Christ est un humanisme fondé sur une Transcendance. Lorsqu’il abolit toutes les différences entre les hommes, quelles que soient leurs classes sociales, et lorsqu’il montre qu’il faut aller vers les plus défavorisés, il fonde un humanisme radical. Même s’il agit au nom de Dieu, on peut très bien garder la vision humaniste sans forcément croire en Dieu. Le message – amour du prochain, justice sociale, non-violence, pardon – peut être vécu par les non-croyants. Le Christ, par son message, n’appartient pas qu’aux croyants.

N’avez-vous pas peur de faire une lecture trop humanocentrée des évangiles, qui, eux, parlent du Christ comme fils unique de Dieu ?
Je ne crois pas. Le christianisme explique comment on peut vivre de manière vraie, juste et bonne. C’est une sagesse. Jésus ne cherche pas d’abord à définir qui il est théologiquement. En revanche, il montre qu’il faut passer par lui et que la relation avec sa personne est essentielle. Il indique aussi que le salut passe par l’amour du prochain. Dans l’évangile de Matthieu chapitre 25, on apprend qu’on est sauvé parce qu’on a donné à boire à ceux qui avaient soif, etc. et non parce qu’on a bien fait les rituels religieux. Le salut est donc le fruit d’une pratique éthique, d’une relation à l’autre. Le lien au Christ peut être implicite. « Celui qui aime est né de Dieu », dit Jean dans sa première épître.

Beaucoup de chrétiens pensent que nous sommes justifiés par la foi en Dieu et non par nos actions. In fine, c’est Dieu qui sauve par sa grâce.
Oui mais Dieu peut sauver des personnes qui n’ont pas la foi. l’Église catholique le reconnaît clairement depuis le concile Vatican II. Bien entendu, la foi explicite en Jésus-Christ est une aide précieuse parce qu’il donne vraiment une nourriture spirituelle, une foi qui motive et qui éclaire. Mais la grâce est donnée à tous les hommes de bonne volonté. Sinon on serait devant un Dieu sectaire. Seuls les baptisés seraient sauvés. Il est vrai que les choses sont plus complexes dans le protestantisme. S’inspirant de l’épître de Paul aux Romains et de la pensée augustinienne, Martin Luther a développé une théologie autour du salut par la foi seule. Érasme, comme humaniste chrétien, lui a reproché, à juste titre je crois, de nier la liberté humaine et de sous-estimer la place de l’amour qui est plus importante que la foi. Comme le dit Paul aux Corinthiens : « si j’ai une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour je ne suis rien. »

Vous insistez beaucoup sur le fait que le christianisme a joué un rôle déterminant dans l’identité européenne. Faut-il reconnaître cette influence officiellement dans un éventuel futur traité européen, par exemple ?
Non, cela ne me paraît pas important. Mais il faut reconnaître intellectuellement le rôle déterminant du christianisme dans la construction de l’identité européenne. Le nier, c’est nier l’histoire, soit par méconnaissance, soit pour des raisons idéologiques.

Faut-il mieux enseigner les religions dans les écoles publiques en France ?
Il faut insister particulièrement sur notre héritage. Comment comprendre l’histoire de l’art, de la littérature et de la pensée qui est imprégnée de références et de symboles chrétiens sans un minimum de culture religieuse ? Il est par ailleurs utile de connaître les autres religions. Ceci pour éviter des préjugés sur les autres.

Est-ce un problème typiquement français ?
Sans doute. La laïcité s’est imposée en France dans un combat contre l’Église. Cela a laissé des séquelles très fortes. Toutes les valeurs modernes ont été imposées contre l’Église catholique. Certains ont toujours peur d’une reprise du pouvoir par l’Église. C’est notamment le cas dans le corps enseignant. Il y a toujours la peur que le catéchisme revienne et que ce soit la fin de la laïcité. C’est un fantasme et il faut qu’on en sorte. Dans le monde protestant, il n’y a pas eu la même violence. Au fond, la modernité s’est développée en lien avec les Églises. Elles étaient plus souples, plus adaptées à l’individualisme, à l’interprétation de la Bible et à la laïcité.

Les droits de l’homme sont nés en Occident. Est-ce parce que nous avons une culture chrétienne ?
Oui. Il faut le dire sans complexe. Pourquoi les droits de l’homme ne sont-ils pas nés en Chine ? Ou en Inde ? Ou dans le monde musulman ? Parce que l’enseignement des évangiles a mûri, d’abord dans les Églises, et s’est épanoui ensuite en dehors sous une forme laïcisée. Marcel Gauchet disait que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion ». Le christianisme, avec son humanisme, portait les droits de l’homme. Prenons l’exemple de l’égalité. Toutes les sociétés antiques et traditionnelles étaient hiérarchisées. Chez les Grecs, par exemple, il y avait des différences fondamentales entre les êtres humains, entre les hommes et les femmes, entre les citoyens et les esclaves, entre les Grecs et les barbares. L’idée selon laquelle tous les êtres humains sont égaux n’existait pas. Le Christ va l’affirmer et la mettre en œuvre, en prenant comme disciples des femmes, des prostitués, des publicains, etc. Il montre que tous sont fils de Dieu. Il affirme l’égale dignité de tous les êtres humains. Les droits de l’homme reposent sur cette idée-là. Il y a simplement eu un transfert de légitimité : ils ne sont plus fondés en Dieu mais en raison. Autre notion majeure : l’autonomie du sujet. Cela n’existait pas dans l’Antiquité. L’individu était toujours plus ou moins soumis au groupe. Lorsqu’il dérangeait la tradition, il devait être condamné. Socrate a ainsi accepté de mourir. C’est une vision holiste. Le Christ a cassé ce modèle. Il a mis l’individu en relation directe avec Dieu. Les protestants l’ont très bien compris. Jésus est le fondateur de l’émancipation de l’individu par rapport au groupe. C’est une révolution extraordinaire que les humanistes modernes ont dû imposer à une Église catholique qui était alors intolérante et oppressive.

Vous êtes très dur à l’égard de l’Église catholique. Mais depuis Vatican II, elle a beaucoup changé. Doit-elle encore se réformer ?
L’Église catholique a deux mille ans. Elle s’est progressivement hiérarchisée dans une société qu’elle a longtemps dominée. Elle est l’héritière de l’Empire romain. En tant qu’institution, l’Église catholique est dogmatique. Elle insiste sur l’autorité du magistère. C’est pourquoi elle est sans cesse attaquée par la modernité, l’autonomie du sujet et la raison critique. Certes, dans les pays du tiers monde qui n’ont pas encore franchi le cap de la modernité critique, on aime parfois le côté hiérarchisé et dogmatique. Mais quand ces pays auront franchi le cap de la modernité, l’Église catholique aura moins d’influence. Cela dit, il y a des communautés catholiques vivantes. Si beaucoup d’églises sont vides aujourd’hui, les hôtelleries des monastères sont pleines. Les gens vivent leur catholicisme autrement. Au lieu d’aller à la messe le dimanche et de respecter les commandements du pape, ce que font très peu de catholiques, ils vont vivre leur christianisme de manière plus personnelle, en faisant par exemple une retraite spirituelle ou un pèlerinage.

Les discours de Benoît XVI ne peuvent-ils pas avoir une influence importante sur nos sociétés ?
Ils font autorité pour une petite minorité de fidèles. Mais la grande masse des catholiques lisent plutôt Paulo Coelho ou Dan Brown que Benoît XVI. C’est un fait.

Après avoir lu votre livre, j’ai envie de savoir finalement, qui est Jésus pour vous personnellement.
Depuis l’âge de 19 ans où j’ai découvert les Evangiles, je me considère comme chrétien. J’adhère évidemment à l’humanisme chrétien des évangiles que je décris dans mon dernier livre. Mais je ne peux pas dire « Jésus fils de Dieu » ou « Dieu incarné ». Je trouve que ces mots ne veulent rien dire. D’ailleurs, tous les mots sont limités pour parler de quelque chose d’aussi incompréhensible que l’Absolu. En revanche, Jésus est pour moi « l’image du Dieu invisible » comme dit Paul. Il est l’être humain qui me permet un peu de voir, de goûter et d’entendre quelque chose de l’Indicible.

http://www.temoignagechretien.fr/index.php
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Commentaires
L
Un certain nombre de points de vue de Lindell me paraissent faux, notamment sur la laïcité, qui est une idée bien peu hégélienne, et par conséquent bien peu marxiste.<br /> C'est un vieux débat, mais je crois qu'il n'est pas très difficile de prouver que Marx est un héritier de Hegel beaucoup plus que de Feuerbach. Engels lui-même a écrit que son enthousiasme et celui de Marx pour Feuerbach est vite retombé. Tandis que l'enthousiasme de Marx pour Balzac ne s'est jamais démenti.<br /> <br /> En revanche il y a une remarque fondée, c'est le rapprochement avec Erasme et l'humanisme de la Renaissance en général, un humanisme que Benoît XVI rejette assez catégoriquement en passant par un argumentaire… janséniste.
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B
Je viens de terminer l'ouvrage de Frédéric Lenoir, "Le Christ philosophe". Il est remarquable. Il permet de bien percevoir à quel point, finalement, à travers sa philosophie, le Christ "travaille" notre monde et nos esprits, et que ses valeurs (amour du prochain, justice, non violence et même laïcité) peuvent être le socle d'un humanisme moderne.
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