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A l'indépendant
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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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13 mai 2008

La culture de l'exception

Lorsqu'il s'agit de faire une réforme, il y a deux choses à considérer : est-elle bonne? Et comment réussir à la mettre en place?

Ces deux questions font le tourment de nos hommes politiques; et la seconde davantage que la première, il faut bien l'avouer. A les entendre, ils ont toutes les solutions, mais les Français, ingouvernables, comme chacun sait, empèchent leur mise en place. D'ailleurs, au fond, les solutions sont simples, il suffit "d'avoir un peu de bon sens" et "de regarder ce que font nos voisins". A croire que les Français sont, dans leur majorité, des empécheurs de réformer en rond, des idiots, et même des idiots aveugles.

Qu'il y eût une majorité d'imbéciles dans le monde, cela ne nous étonnerait pas. A vrai dire, cela fait même assez longtemps que le soupçon en est porté. Mais que la France en soit une concentration exceptionnelle, cela sera pour moi assez difficile à admettre.

Car enfin, je crois avoir un peu de bon sens, et je pense savoir à peu près ce qu'il se passe à l'étranger. Or je ne crois pas qu'il y ait ici plus d'imbéciles que là-bas. Pourtant, ici, dit-on, nous résistons davantage aux transformations qui nous sont proposées. Admettons. Mais alors pourquoi? Plusieurs possibilités s'offrent à nous : soit nous sommes effectivement de plus grands imbéciles, soit nos dirigeants sont plus incapables que les autres, soit enfin les réformes qui nous sont proposées ne nous convainquent pas de leur valeur. En fait, cette dernière possibilité peut se ramener soit à la première, soit à la seconde. Car ou bien la réforme est bonne, et nous sommes idiots de la refuser, ou bien elle est mauvaise, et nos dirigeants sont bien des incapables puisqu'ils nous la proposent malgré tout.

Examinons un instant la première éventualité : la réforme proposée est bonne, mais nous la refusons, et cela empêche le gouvernement de la mettre en oeuvre. Cela me semble impossible. Pourquoi? Parce que le but d'une réforme est d'apporter une amélioration à une situation donnée. Or si cette réforme ne porte pas en elle les moyens de son application, elle ne peut rien améliorer du tout. Une réforme doit donc non seulement améliorer le domaine que l'on transforme mais, pour cela, elle doit avoir pris en compte très exactement les circonstances présentes, et donc proposer les moyens les plus adaptées pour réussir à opérer la transformation. Sans cela, elle ne peut pas être considérée comme bonne. Conclusion : si un projet de réforme est stoppé par les événements, c'est qu'il était inadéquat et donc mauvais. Pour autant, l'inverse n'est pas vrai. Il ne suffit pas qu'une réforme passe pour qu'elle soit bonne. Car il est également envisageable que les gouvernants et le peuple soient des idiots tous les deux.

Mais précisément, devons-nous en déduire que nos hommes politiques soient des incompétents? Il ne faut évidemment pas porter des accusations aussi graves. D'ailleurs, la plupart du temps, les politiques ne font jamais que suivre les indications des rapports que leur auront préparés certains spécialistes de l'économie, des relations internationales etc. Mais il faut bien constater que parfois les arguments qu'ils présentent, pour être de jolies formules, n'en sont pas moins tout à fait contestables.

De ce point de vue, en revenir sans cesse à la comparaison "avec ce qui se fait ailleurs" me semble être très significatif d'une certaine indigence de la pensée. Que reste-t-il à faire lorsque l'on n'a plus d'idée, sinon en effet d'"aller regarder sur la copie du voisin"? Certes, s'inspirer de "ce qui marche ailleurs", dit comme cela, peut paraitre une bonne solution, à défaut d'une autre. Mais enfin, on ne progresse pas beaucoup à fonctionner sur ce principe. Que serait l'humanité si elle s'en était tenu à cela? Et sur qui le voisin aura-t-il copié? Agir ainsi, c'est toujours agir en second, c'est s'empêcher d'inaugurer de nouvelles voies possibles, s'empêcher de se créer son propre destin et son propre progrès. Bref, c'est tout simplement l'abdication d'une pensée autonome et vivante.

Plus prosaïquement,àvoir la situation du monde, on peut encore douter que cette formule donne les résultats escomptés, même à titre transitoire. Car il faut encore s'assurer que les solutions d'ailleurs soient les bonnes! Or on constate deux choses : d'abord que les modèles que l'on nous propose se succédent rapidement, en fonction des désillusions (Américain, britannique, nordique, bientôt chinois) -ce qui tend à décrédibiliser tout modèle nouveau quel qu'il soit; et ensuite, et surtout, qu'aucun de ces pays ne semble avoir été épargné par la crise mondiale.

Certes, s'efforcer de "tirer ce qu'il y a de bon" dans toutes les politiques, c'est "de bon sens" et personne ne peut être contre. Et toute la reflexion politique, de Machiavel à Marx, en passant par Locke, dès lors qu'elle s'essaie à reflechir sur l'histoire, ne prétend jamais autre chose. Mais entre réfléchir à ce qui s'est fait et prétendre importer les "recettes d'ailleurs", il y a une grande différence, qui est finalement celle de la philosophie.

Cessons donc de crier haro sur "l'exception française". Elle nous a bien des fois empêché de tomber dans les mêmes erreurs que les autres - ce que les admirateurs des sus-dits pardonnent difficilement, il est vrai! C'est simplement qu'ils oublient que tout modèle nouveau a commencé par être une exception. Aurions-nous dû "faire comme nos voisins", en 1789? N'avions-nous par raison de suivre notre voie, en 1949? Il ne semble pas qu'aucune solution satisfaisante n'ait été trouvé jusqu'à présent des problèmes économiques et politiques qui nous occupent. Laissons donc parler les esprits chagrins, refusons les politiques de simple alignement.Demandons des comptes et des raisons! Continuons ainsi à faire ce que nous savons faire, en "bon français", et que, soyons-en rassurés, d'autres font aussi : ne nous contentons pas du copiage, cultivons notre exception!

Marc Lefrere

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