Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A l'indépendant
Publicité
  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 420 648
9 octobre 2008

Vers une modernité métisse

Après avoir mis à nu sa foi dans "Comment je suis redevenu chrétien"? publié en 2007, Jean-Claude Guillebaud, dans la lignée de "La Trahison des Lumières" de "la Refondation du Monde" de "La Force de conviction" nous entraîne, au fil de son dernier ouvrage, sur les chemins escarpés mais qui méritent d'être empruntés, de ce qu'il appelle "une modernité métisse". Le "commencement d'un monde" ne règle pas son compte à l'Occident; il le remet à sa place comme "une province du monde" avec des accents de vérité dont nos gouvernants pourraient parfois s'inspirer- on pense à certain discours prononcé à Dakar- et il propose à la délibération de tous, citant le philosophe allemand Habermas, la vision qu'on se fait de l'universel.

@qui! : La venue de Benoît XVI en France, l'empressement du pouvoir français à son égard, cette revendication des valeurs de la chrétienté participent-ils, selon vous, de" cette réapparition de la religion comme sujet d'avenir"? Singulier acte de foi alors que la "fille aînée de l'Eglise" s'éloigne chaque jour un peu plus de la pratique religieuse.

Le commencement d'un monde - JC Guillebaud


Jean-Claude Guillebaud : Une chose est sûre : la "question religieuse" est devant nous, et non derrière. Cela peut être pour le pire avec la virulence des fondamentalismes de tous ordres qui prennent, aujourd'hui, le relais de fondamentalismes idéologiques (et athées) du siècle dernier. Mais cela peut-être aussi pour le meilleur, c'est-à-dire une exigence de sens, de transcendance et de bienveillance partagée. Pour prendre un exemple américain, le candidat démocrate Barack Obama est sûrement plus fermement chrétien que son adversaire républicain. On avait trop pris
> l'habitude, chez nous, de monter en épingle la "droite chrétienne" en Amérique. Le succès d'Obama nous rappelle qu'il y a aussi, en Amérique, des chrétiens résolument "à gauche", du moins selon les critères américains. Concernant la France, c'est vrai que la pratique
> a beaucoup diminué. Mais d'une part cette diminution semble bien avoir cessé; la pratique est désormais stationnaire. Et puis, surtout, il faut perdre l'habitude d'évaluer la sensibilité chrétienne d'un pays comme on compte les entrées dans les cinémas. Crise de la pratique et des vocations ne signifie pas disparition annoncée du christianisme.
Des formes nouvelles se cherchent, dans l'Église comme ailleurs. Enfin, je suis frappé par le fait que la Russie, soumise pendant trois quarts de siècle à une éradication volontaire et parfois violente du
> religieux, la Russie où la plupart des Églises avaient été désaffectées ou transformées en étables dans les années 1920 et 1930, s'est rechristianisée à très grande vitesse depuis 1980. Il y a aujourd'hui 400 monastères en activité et les églises sont pleines.

@! : Votre analyse se fonde, à la fois, sur la fin du primat de l'Occident et le constat qu'un monde nouveau et multiple émerge de façon irrésistible...

J-C. G. : Pendant quatre siècles, la culture européenne, puis euro-américaine, a été hégémonique. Vers la fin du XVIe siècle, elle a commencé à rattraper le grand retard qu'elle avait par rapport aux autres grandes civilisations, par exemple chinoise ou indienne. Les Chinois ont inventé l'imprimerie huit siècles avant nous et les astronomes indiens ont découvert la réalité du mouvement des astres plusieurs siècles avant Galilée. Dès le milieu du XVIIe siècle la culture européenne avait effacé ce retard et même distancé les civilisations concurrentes. Ainsi a-t-elle pu devenir la véritable "organisatrice" du monde. Elle a régné par la conquête coloniale, la supériorité économique et militaire, mais aussi par le rayonnement culturel. De ce point de vue, on peut dire que le monde entier est déjà bien plus occidentalisé qu'on ne le croit. Même la Chine. Même l'Inde. Mais ce qui s'achève aujourd'hui, c'est cette "séquence" purement occidentale. Les autres civilisations se réveillent et accède, à leur façon, à la modernité. Cette dernière ne pourra plus se confondre avec le seul "Occident". La modernité devra intégrer ces apports venus d'ailleurs.
C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les faits.

@! : Vous nous proposez en quelque sorte d'entrer joyeusement et de façon volontariste vers cette "modernité métisse" qui correspond au"commencement d'un monde". Et de le faire par le biais de la délibération de tous. Faut-il comprendre, quand on considère l'état de la démocratie dans le monde, qu'il y faudra beaucoup de temps encore et que ce sera au prix d'inévitables et graves convulsions?

J-C. G. : Quand je parle de modernité métisse, je ne veux pas dire par là que l'Occident devra renoncer aux valeurs qu'il porte (droits de l'homme, démocratie, etc.), même s'il est souvent le premier à les trahir. Cela veut dire que ces valeurs, ces concepts, ce rapport au monde seront désormais "pluriels", pourront être enrichis, complétés, transformés par des approches venues de la périphérie. Prenons un exemple simple. Au milieu des années 1980, l'Afrique a élaboré une "Charte africaine des droits de l'homme" qui reprend à son compte le concept occidental de "droits individuels" mais lui ajoute une valeur trop négligée chez nous : la solidarité. Je vois cela comme un enrichissement. Deuxième remarque. Ce que j'appelle une modernité "métisse", ne signifie pas que le monde va s'uniformiser, bien au contraire. Nous devons garder nos racines particulières, notre identité mais apprendre à l'ouvrir au reste du monde, à refuser la clôture angoissée, le barricadement. Je pense souvent à cette très belle phrase du Portugais Miguel Torga, aujourd'hui disparu : l'universel, c'est le "local" moins les murs. Et puis, voyez comme chez nous, les plus jeunes ont déjà pris l'habitude d'évoquer la "world music" ou la "world littérature", c'est-à-dire des formes "métisses" de création. Dernière remarque : quand je parle de "modernité métisse", cela ne doit pas être confondu avec "société métisse". Si vous prenez le cas du Japon, il s'agit d'une société non métissée, ou très peu, mais d'une modernité qui, elle, l'est beaucoup. Le Japon a su concilier ses traditions avec une modernité venue d'Occident, et qui s'en est trouvée transformée.
Pour répondre à la fin de votre question, je suis optimiste sur le long terme mais je ne suis ni irénique ni béat. Dans le court terme, cette marche des civilisations les unes vers les autres, cette "rencontre" inévitable, va continuer à susciter des réactions de replis, des refus, des crispations identitaires et fondamentalistes. Autrement dit, en passant ce "cap des tempêtes", nous devrons certainement affronter des violences, des menaces dont le terrorisme est un bon exemple. Il faudra faire face, mais avec sang froid.


"Le commencement d'un monde", Jean-Claude Guillebaud, Le Seuil, www.seuil.com

Propos recueillis par Joêl Aubert

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Cet ouvrage de Guillebaud me fait penser à celui de Roger Garaudy (Pour un dialogue des civilisations 1977). Les deux hommes ont une sensibilité commune. <br /> Différentes rencontres de civilisations se sont produites au cours de l'Histoire. Pour ces deux hommes, réfléchir sur celles-ci nous permettra de mieux définir les conditions de possibilité d'une nouvelle rencontre, les moyens de la favoriser et l'enrichissement humain qu'on peut en attendre.
Répondre
Publicité