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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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14 octobre 2008

Le prix du vent

« Je vais pour affaires pressantes, ainsi trêve de parade ; vous aurez soin du peuple ; plumez−le bien dans mon absence ; car nous dépensons beaucoup, et on ne sait pas ce qui arrivera » . (Samuel Beckford, Vathek)

« C’est du bon air, mais c’est du vent quand même » (Robert Bruses, FAO Economics, à propos du communiqué du G7 du 10 octobre)

***

Avec le feuilleton de ce qu’il est convenu d’appeler la « crise financière », on en apprend de belles, par exemple que : « le volume des transactions consacrées à l’économie réelle ne représente environ que 2% de la totalité des échanges monétaires » (Le Monde, 12 octobre 2008). Faut-il en déduire que 98% du pognon circulant dans le monde se trouve dans une autre sorte d’économie ? Virtuelle ? Irréelle ? Surréaliste ? Mafieuse ? Les journalistes qui emploient de semblables expressions ont probablement trop joué sur des consoles de jeux vidéos : ils croient que la fiction est un domaine de « réalité virtuelle » face à celui de la vie quotidienne. Cela signifie-t-il que 98% du fric existant sur la planète n’est en fait qu’un argent de fiction : autrement dit, une « monnaie de singe », un peu comme les billets de Monopoly® ? Mais alors qu’est-ce que l’« économie réelle » ?

Le mot « économie » vient du grec οικονομια, qui signifie « gestion de la maison ». Alors on comprend mieux : l’économie réelle, c’est celle de la maison. C’est la gestion du porte-monnaie. Ce qu’il faut acheter pour manger, se vêtir, se loger, en face de ce qu’on gagne. En Aquitaine, il y a fort longtemps, on mettait son argent dans un petit sac, appelé « bogette ». Les Anglais, qui occupaient à cette époque la région, ont retenu le mot qu’ils ont prononcé à leur façon et il est devenu : budget. C’est là qu’on mettait ses économies réelles et c’est devenu le mot pour désigner ce qu’on en fait. Chacun connaît les difficultés de l’équilibre "budgétaire", surtout lorsqu’il faut boucler les fins de mois. On connaît le prix des choses et les revenus qu’on a. L’équilibre entre les deux nous donne notre « pouvoir d’achat ». Il n’y a rien de très compliqué là-dedans.

L’argent vient du travail, c’est un secret de polichinelle. Sans production de richesses, pas de richesses, et sans richesse, pas d’argent. Il n’y a pas besoin d’être Karl Marx pour le comprendre. Mais l’argent, c’est aussi le Trésor des riches propriétaires, qui récupèrent une partie du travail des autres en ne le payant pas (en le rétribuant moins que ce qu’il rapporte). Quand on en a beaucoup, il ne sert plus à l’économie réelle, car on en a trop pour le dépenser quotidiennement. Alors on s’en sert pour autre chose. Comment faire de l’argent avec de l’argent sans travailler ? On spécule. Par exemple, on achète des denrées et on les revend plus cher. Pour que ce soit possible, on stocke et les prix montent. On peut aussi prêter de l’argent à intérêt et d’autres choses encore. C’est le métier des banques.

La source de la richesse, c’est évidemment le travail, c’est-à-dire la production de biens et de services. La source de la finance, c’est ce que les uns tirent du travail des autres. Pour en augmenter le profit, il faut augmenter la richesse produite ou diminuer le coût de sa production. Payer moins cher les producteurs en améliorant la productivité est le meilleur moyen d’augmenter la plus-value qu’on tire du travail. C’est devenu plus facile en globalisant mondialement l’économie, par exemple en vendant au prix du marché européen des marchandises fabriquées par des ouvriers payés au prix de la main-d’oeuvre sur le marché de l’emploi de pays pauvres. L’énormité des plus-values ainsi réalisées, s’ajoutant aux sommes fabuleuses réalisées grâce aux spéculations sur les sources d’énergie, comme le pétrole, a gonflé la masse globale d’argent bien au delà des possibilités d’achat, même de parts d’entreprises ou de stocks de matières premières. Autrement dit, les bénéfices accumulés par les propriétaires ont dépassé dans des proportions ahurissantes les limites réelles de l’économie. Même en achetant tout ce qui se trouvait à portée, il y en avait trop. Dans le même temps, évidemment, la grande masse des gens s’est trouvée réellement appauvrie. De plus en plus pauvre. Y compris ceux qui, dans un premier temps, avaient cru profiter des retombées financières de cette gigantesque augmentation des profits. Car c’est la loi du capitalisme : le faible est mangé par le fort. Et peu à peu, les petits profiteurs deviennent eux aussi des prolétaires comme les autres. Les « classes moyennes » rejoignent la foule de ceux qui n’ont que l’économie réelle à se mettre sous la dent. A chaque crise, les banques et les fonds d’investissement fusionnent pour ne laisser place qu’aux plus forts (logique célébrée par l’esprit de compétition). Les benêts, qui écoutent trop les médias, croient que c’est bon pour eux parce que ça augmente la « richesse nationale », sans voir que celle-ci leur échappe et qu’on fait de leur chair de dindon de la farce à garnir les beaux plats des festins auxquels ils ne participent pas.

La globalisation a été célébrée en son temps comme la « fin de l’Histoire » (Fukuyama), sorte d’aboutissement heureux du capitalisme triomphant. Les « économistes », agents de propagande qui font croire aux gens qu’il y a des « lois du marché » auxquelles on ne peut pas plus échapper qu’aux « lois de la nature », s’en sont donné à coeur joie pour expliquer que nous arrivions enfin dans le meilleur des mondes. Finies les crises et les aléas des cours du marché : désormais, grâce à la mondialisation de l’économie, la gestion optimum des affaires allait rendre tout le monde, chacun à son échelle, copropriétaire de la richesse mondiale. Ces fariboles, évidemment, n’avaient pas plus de fondement que les balivernes religieuses grâce auxquelles on promet pour l’au-delà le bonheur qu’on ne trouve pas ici-bas.

L’idéal pour les possédants est que le pauvre se croit riche tout en restant pauvre. Déjà, grâce à la religion, on avait fait du père une copie du vicaire de Dieu et de sa famille un petit monde à l’image des dynasties régnantes. Chaque papa était invité à soumettre femmes et enfants pour en faire des citoyens obéissants. Mais il fallait encore le transformer en propriétaire virtuel pour qu’il se croit investi de la mission de soutenir le système social qui profitait de lui. Comme il n’avait pas de capital - et pour cause ! - on allait lui en donner un, virtuel, en lui accordant un prêt garanti sur la valeur de la maison qu’il allait acquérir. Avec de la monnaie de singe, il allait acheter un titre imaginaire. Quiconque a souscrit à un crédit immobilier sait comment ça marche : on paie d’abord les intérêts, et c’est seulement si on arrive au bout qu’on devient propriétaire de la chose. « Les pauvres, disait Coluche, ne peuvent pas payer beaucoup, mais on peut les faire payer longtemps ». Et s’ils n’y arrivaient pas, la spéculation sur la valeur des biens permettait de revendre la maison plus cher. Tout bénéfice pour la banque. Encore mieux : on faisait de la dette du pauvre un titre négociable, garanti par l’hypothèque sur le bien dont la valeur ne cessait d’augmenter. Et ce titre, devenu une marchandise comme une autre, bien que complètement virtuelle, se revendait à plusieurs fois sa valeur dans des circuits financiers compliqués élaborés pour les nouveaux ingénieurs d’une science économique sans fondement.

10.299.050.083 $ : c’était au 11 octobre le montant affiché de la dette extérieure américaine. Pourtant, aucun pays n’est créditeur des dettes des pays riches. La compatibilité mondiale est un bilan truqué. En fait, les fabuleuses sommes qui sont comptées comme actifs des diverses institutions financières du monde entier sont effectivement de la monnaie de singe. A l’exemple des prêts hypothécaires (les fameux subprimes), il s’agit de lignes de crédit dans des listings qui oublient de mentionner qu’elles correspondent à des paris sur l’avenir, des dettes dont le remboursement est étalé dans le futur. Comme si, pour faire avancer le train, on brûlait les traverses de la voie qu’on enlevait plus loin, en espérant pouvoir les remplacer avant d’y arriver. Mais plus le train devient lourd, plus il faut du combustible, et plus le chemin de fer disparaît devant lui. Le capitalisme, pour progresser, doit faire de tout une marchandise : après les denrées extraites du sol, le travail humain, les produits fabriqués, les services rendus, maintenant l’air pur, l’eau potable, voici qu’il fait du temps futur une marchandise titrable sur le marché. L’argent comptabilisé n’est plus seulement celui qui vient de la richesse actuelle, mais celui de demain, sous forme de paris sur la plus-value escomptée. Pourtant, « sur l’avenir bien fou qui se fiera » : en accumulant des titres sur des biens qui n’existent pas encore, le chasseur de bénéfices a vendu l’ours avant de l’avoir tué. Et la bête est repartie dans la forêt.

L’Etat démocratique est la forme politique du capitalisme. Selon les périodes, il joue un rôle plus ou moins important dans la gestion de la finance. Pour les uns, dits ultralibéraux, il doit se contenter d’assurer aux possédants que la masse des pauvres est bien gardée. Pour les autres, dits keynésiens (du nom d’un théoricien de l’économie politique), il doit remplir une fonction de régulateur dans la circulation de la monnaie. Dans tous les cas, il n’est qu’un des rouages d’un système global qui assure la mainmise du capital sur l’ensemble des activités humaines. C’est dire qu’il ne peut guère porter remède aux dysfonctionnements de ce système. En accumulant de la monnaie de singe, le capital a parsemé le cours de son histoire à venir de trous noirs dans lesquels il ne peut que tomber, quelles que soient les mesures conjoncturelles prises pour pallier à telle ou telle de ses déficiences. Ce n’est pas la fin de l’Histoire à laquelle on assiste, mais à quelque chose qui ressemble à la fin de l’histoire du capitalisme, au moment même où les prophètes qu’il payait pour gruger le peuple lui annonçaient sa victoire définitive. Cette fin, n’en doutons pas, est aussi celle de toutes les idéologies qui ont servi de décor à ses différents avatars, comme le capitalisme d’Etat mensongèrement appelé communisme. S’il est une proposition alternative à faire quant aux possibilités pour l’humanité de tirer pour elle-même profit de cette crise, ce n’est certes pas dans les armoires aux vieilleries bolcheviques qu’il faudra les chercher. Le renforcement de l’Etat, notamment par des nationalisations, ne ferait évidemment que précipiter plus avant l’implosion du système financier.

De cette « crise », le monde malade du capitalisme peut sortir vacciné, plus fort, plus vivant, comme il peut succomber, à petit feu, dans une longue agonie, entretenue par les remèdes des docteurs Diafoirus venus à son chevet. Il me semble que le plus urgent serait de couper le cordon qui relie le travail au capital, en retirant aux actionnaires tout droit sur la gestion des entreprises, c’est-à-dire en globalisant la démocratie à toutes les activités sociales : le conseil d’administration de toute communauté humaine, notamment productive, doit être composé des gens qui y participent. Autrement dit, ce n’est pas aux investisseurs à prendre les décisions concernant le travail, mais aux travailleurs eux-mêmes, sur leur site de production, et non dans des institutions délocalisées. Cette piste était celle qu’en un temps on avait appelée « autogestion », et je n’en vois pas d’autre qui puisse servir d’alternative à la déroute généralisée du capitalisme. Le plus amusant est qu’elle est tout-à-fait compatible, pour ne pas dire plus, avec les désirs de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont le fondement du plaisir que les gens gardent, malgré tout, à vivre ensemble.

Paul Castella sur http://www.oulala.net/Portail/index.php3

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