Le moins que l’on puisse dire en Français facile au soir de 2008, avec un clin d’œil malicieux en direction de Noël, c’est que Wall Street clôture l’année magnifiquement avec cet autre scandale monumental, sans précédent, qui porte sur une fraude colossale de 50 milliards de dollars : excusez du peu ! Il s’agit en l’occurrence de bien plus qu’une énorme indélicatesse historique perpétrée par une “ légende ” parfaitement établie de la place financière newyorkaise. Ex maître-nageur en 1960 sur les plages de Long Island, chez les richards déjà. Reconverti on saura comment sous peu en courtier génial, et anciennement président du Nasdaq : la plate-forme boursière dédiée aux transactions sur les titres des entreprises de haute technologie à Wall Street. Soit le self made man comme on les aime tant au pays étoilé du Just do it ! Bernard Madoff, Bernie pour les intimes, était le conseiller financier chouchou des uns et des autres en Richistan : c’est ainsi qu’un espiègle auteur américain a baptisé l’archipel global des très grandes fortunes d’aujourd’hui. Bernie était la coqueluche des nababs en tout genre du monde entier qui veulent faire fructifier leurs matelas de fric oisif, dépourvu d’allocation économique stricto sensu. Et qui sont donc en quête de rendements, non moins strictement financiers, sûrs.
Le pépé Bernie avait donc le vent de la réussite en poupe depuis quelque quarante ans. On découvre maintenant que le scintillant édifice qu’il avait “ bâti ” n’était qu’un gigantesque bluff. Un montage pyramidal et fallacieux rattrapé comme d’autres montages scabreux par la cascade des effets cumulatifs de la crise des subprime. Ce que voyant, le Bernie a jeté l’éponge et anticipé l’opprobre public en avouant d’abord à des proches son crime. Jérome Kerviel de la Société Générale, à côté, c’est carrément du pipi bleu ciel de chat, c’est trois fois rien. 50 milliards de dollars ! On se pince grave quoi, encore et encore ! On s’en pincerait même jusqu’au sang ! Comment ? Tant d’argent ? Tout ce temps-là ? Sans que personne ne s’en aperçoive avant aujourd’hui ? 50 milliards de dollars convertis en monnaie de singe FCFA, c’est tout bonnement une somme à dormir debout longtemps avant de se réveiller un jour de pluie avec le désert reverdi. Le vent a tourné foutrement aigre pour le septuagénaire Bernie, sa firme qui avait pignon sur rue à Manhattan est en liquidation express, et une foule d’investisseurs ont perdu de l’argent dans ce grotesque château de cartes. Bonjour les dégâts…

Luxe et volupté
Ils auront donc perdu à trop vouloir gagner, Spielberg et quelques autres grossiums. Benoît XVI vient de stigmatiser la recherche immodérée, insensée, dévastatrice, du profit. Et partant cette culture devenue mondiale du lucre, de l’argent pour l’argent. Elle ne voit en effet l’être humain, homme, femme ou enfant, sous toutes les latitudes aujourd’hui, que comme un rouage parmi d’autres voués à la production de valeur ajoutée économique et à la création de valeur financière pour quelques actionnaires discrètement tapis dans des paradis de luxe et de volupté qui font fantasmer les myriades n’y ayant pour sûr pas accès. L’être humain n’est plus qu’une très banale pièce détachée dans le mécanisme lubrifié et à couacs quand même de la Big Machine à Sous du capitalisme fou, archi déraisonnable. Une pièce qui peut se détériorer et qu’on remplacera alors sans plus de souci que cela. Pourvu qu’il y en ait en stock, des pièces détachées. De fait, il y aura toujours du stock garanti et de quoi effectuer des réparations tant que les Terriens enfanteront : quelques milliards de pièces détachées réparties sans prorata sur les terres, pour le moment encore, émergées du globe. En attendant demain la montée des eaux avec le réchauffement climatique. Soit 80% de la population terrienne prise en otage par une minorité de 20% qui contrôle la production de richesses, qui lève des forces de répression quand ça lui chante, quand elle sent sa position impériale en péril de déstabilisation.
S’agissant de luxe et de volupté, les Pdg de Ford, Chrysler et General Motors, les Big Three, qui souhaitent que l’Etat fédéral leur vienne en aide, ont été vertement sommés par les représentants du peuple américain de vendre les jets privés qu’ils utilisent pour leurs déplacements, à la faveur des mesures de restructuration des entreprises dont ils ont la charge. Vertement sommés également, ces messieurs aux chemises blanches immaculées faites sur mesures et portant des montres à complications suisses follement onéreuses, de revoir à la baisse leurs étourdissantes rémunérations, ainsi que les avantages financiers collatéraux de leurs fonctions, à l’instar des si décriées stock-options. Ou comment réduire de beaucoup la voilure de l’arrogance criarde sur une planète fiévreuse, où les écarts de revenus n’arrêtent pas de se creuser et deviennent des gouffres sans fond, vertigineux. C’est à cette violente iniquité sociale que s’alimente désormais certain extrémisme exhalant ouvertement de forts relents religieux par ailleurs. Ou la rage de la jeunesse ici et là comme en Grèce. Le récent assaut terroriste sur Bombay n’a pas pris par hasard pour cible des établissements hôteliers de prestige où ce beau monde descend dans des suites royales, tandis que des enfants meurent pas loin comme des rats crèvent, dans le plus grand bidonville du monde.

Dangereuse futilité
Question à zéro franc : est-ce que lire l’heure à une Rolex Blue Oyster, mettre ses pieds dans des Weston en cuir d’autruche, s’habiller en diable ou diablesse chez Prada, voire prendre trois jours de vacances dans la station spatiale internationale : le nouveau must des happy few, empêche en quoi que ce soit de finir un jour en ossements deux mètres sous terre ? Réponse triviale : non, évidemment ! Sauf qu’il y’en a quand même qui se figurent le contraire et continuent à faire de la futilité une valeur esthétique, donc sociale, culturelle, et bien entendu un ordre politique qui ne dit pas clairement son nom. La glamourisation globale avancée et sur papier glacé du monde, est une machine soporifique de haut niveau, une manigance à endormir et blouser les consciences sur Terre pendant que les Richistanais la consument sans vergogne avec leurs acolytes. Dangereuse futilité qui ignore les utilités cruciales de notre temps. Notre ? Est-ce que nous vivons tous dans le même temps, au fait ?
Jean Marc Ela aurait répondu illico : “ Non ! ” et se serait lancé tout aussi presto dans une argumentation de sa position. Le prêtre engagé s’en est allé rejoindre tous ceux qui se tiennent depuis le commencement des sociétés humaines du côté des faibles, des écrasés, des désespérés. Du Che Guevara à Don Helder Camara, l’évêque iconoclaste qui prônait dans l’église, au grand dam de Rome, une théologie de la libération, en passant par Paulo Freire, théoricien de la pédagogie des opprimés, Frantz Fanon, Ossende Afana. Et ce Jésus-Christ que la Chrétienté va encore célébrer. Le défenseur intellectuel du monde paysan de chez nous ne verra pas le cataclysme économique qui arrive en 2009. Une grande conscience du Fiasco de la post-Indépendance retourne au Père. Son exil, autant dorénavant que sa mort, pointera pour toujours les collusions compromettantes du clergé africain et vert rouge jaune avec les fossoyeurs de l’humain au sud du Sahara.

Lionel Manga