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2 mars 2009

Eric Hobshawn: Marx et l'histoire

par Michel Lapierre

Les années 1989-1991, marquées par la chute du bloc soviétique, représentent pour Eric Hobsbawm une nouvelle perception du XXe siècle et même de tous les temps. L'intellectuel britannique, né en 1917, avoue qu'il a soutenu «une cause qui a manifestement échoué: le communisme...» Mais il assure que «rien n'aiguise l'esprit de l'historien comme la défaite». C'est insinuer qu'en apprenant de l'erreur la science revigore la conviction.

L'union du souffle révolutionnaire et du positivisme alimente Marx et l'histoire, recueil d'inédits qui ont fait l'objet d'une dizaine de conférences prononcées par Hobsbawm. Selon l'historien, «l'existence simultanée d'éléments perturbateurs et stabilisants» constitue l'essentiel du marxisme authentique. Ce qui différencierait cette pensée de ce qu'il appelle les «versions marxistes-vulgaires».

On songe à la boutade de Karl Marx (1818-1883): «Tout ce que je sais, c'est que, moi, je ne suis pas marxiste.» Aux yeux de Hobsbawm, l'oeuvre marxienne, à ne pas confondre avec le marxisme des innombrables disciples, n'est guère doctrinaire et surtout pas figée. L'historien admet que les «opinions» de l'auteur du Capital «n'ont cessé d'évoluer jusqu'à sa mort».

Malgré cela, Hobsbawm persiste à croire que la pensée marxienne «est aujourd'hui encore la seule qui nous permet d'expliquer l'histoire humaine tout entière». L'affirmation a beau s'inspirer de la comparaison d'Engels entre Marx, père de la loi de l'évolution historique, et Darwin, inventeur de la loi de l'évolution de la nature, elle garde par son intransigeance un relent de religiosité, dont le vif déni ne ferait que confirmer la présence.

L'anachronisme

Associer les sciences de l'interprétation, sphère à laquelle appartient de toute évidence la pensée marxienne, aux sciences exactes tient de l'outrecuidance. Hobsbawm a trop d'honnêteté intellectuelle pour donner libre cours à ce penchant. Sa manière de juger l'érudition, en particulier l'historiographie marxiste, semble empreinte d'indulgence. «Le plus courant des abus idéologiques de l'histoire repose, affirme-t-il, sur des anachronismes plutôt que sur des mensonges.»

En réalité, la découverte de l'anachronisme obéit chez lui à des exigences qui font passer la recherche de la vérité avant l'orthodoxie soviétique. Hobsbawm rappelle que le «destin» de la révolution russe de 1917 a été, durant la première phase, «déterminé par les masses». Après la mort de Lénine (1924), le stalinisme aura eu raison de l'élan populaire. L'intellectuel le reconnaît.

L'anachronisme, «le plus grand danger qui menace l'historien» d'après Hobsbawm, n'est-il pas l'erreur de Staline et l'explication du déclin de l'esprit bolchevique jusqu'à l'effondrement de 1989-1991? Le marxiste britannique n'ose le supposer.

Néanmoins, le rapprochement qu'il fait entre Staline, maître absolu de la Russie, et l'un de ses prédécesseurs, le tsar Pierre le Grand (1672-1725), nous pousse à réfléchir. Il est révélateur que Hobsbawm se sente obligé d'évoquer un autocrate d'une époque lointaine pour définir celui qui, à ses yeux, «a modernisé une bonne partie d'un pays arriéré».

L'autoritarisme dénature le progrès. L'histoire d'un mouvement de masse, comme le communisme, achoppe sur le seul nom d'un despote enchaîné au passé: Staline. Voilà pourquoi la sérénité de Hobsbawm, masque d'une amère déception, relève du défi.

***

MARX ET L'HISTOIRE

Eric Hobsbawm, Demopolis, Paris, 2008, 208 pages

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