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19 avril 2009

Lettre ouverte à Benoît XVI

Théologie de la libération: lettre ouverte à Benoît XVI

Claude Lacaille    

Je t'adresse cette lettre parce que j'ai besoin de communiquer avec le pasteur de l'Église catholique et qu'il n'existe aucun canal de communication pour te rejoindre. Je m'adresse à toi comme à un frère dans la foi et dans le sacerdoce, puisque nous avons reçu en commun la mission d'annoncer l'Évangile de Jésus à toutes les nations.

Je suis prêtre missionnaire québécois depuis 45 ans; je me suis engagé avec enthousiasme au service du Seigneur à l'ouverture du Concile ocuménique de Vatican II. J'ai été amené à un travail de proximité dans des milieux particulièrement pauvres: dans le quartier Bolosse à Port-au-Prince sous François Duvalier, puis parmi les Quichuas en Équateur et enfin dans un quartier ouvrier de Santiago au Chili durant la dictature de Pinochet.

À la lecture de l'Évangile de Jésus durant mes études secondaires, et j'ai été impressionné par la foule des pauvres et des éclopés de la vie dont s'entourait Jésus, alors que les nombreux prêtres qui nous accompagnaient dans ce collège catholique ne nous parlaient que de morale sexuelle. J'avais 15 ans.

La théologie de la libération, un mélange erroné de foi et politique?

Dans l'avion qui t'amenait au Brésil, tu as une fois de plus condamné la théologie de la libération comme un faux millénarisme et un mélange erroné entre Église et politique. J'ai été profondément choqué et blessé par tes paroles. J'avais déjà lu et relu les deux instructions que l'ex-cardinal Ratzinger avait publiées sur le sujet. On y décrit un épouvantail qui ne représente en rien mon vécu et mes convictions. Je n'ai pas eu besoin de lire Karl Marx pour découvrir l'option pour les pauvres. La Théologie de la libération, ce n'est pas une doctrine, une théorie; c'est une manière de vivre l'Évangile dans la proximité et la solidarité avec les personnes exclues, appauvries.

Il est indécent de condamner ainsi publiquement des croyants qui ont consacré leur vie - et nous sommes des dizaines de milliers de laïcs, de religieuses, religieux, prêtres venus de partout à avoir suivi le même chemin. Être disciple de Jésus, c'est l'imiter, le suivre, agir comme il a agi. Je ne comprends pas cet acharnement et ce harcèlement à notre égard.

Juste avant ton voyage au Brésil, tu as réduit au silence et congédié de l'enseignement catholique le père Jon Sobrino, théologien engagé et dévoué, compagnon des Jésuites martyrs du Salvador et de Monseigneur Romero. Cet homme de 70 ans a servi avec courage et humilité l'Église d'Amérique latine par son enseignement. Est-ce une hérésie de présenter Jésus comme un homme et d'en tirer les conséquences?

J'ai vécu la dictature de Pinochet au Chili dans une Église vaillamment guidée par un pasteur exceptionnel, le Cardinal Raúl Silva Henriquez. Sous sa gouverne, nous avons accompagné un peuple épouvanté, terrorisé par des militaires fascistes catholiques qui prétendaient défendre la civilisation chrétienne occidentale en torturant, en séquestrant, en faisant disparaître et en assassinant. J'ai vécu ces années dans un quartier populaire particulièrement touché par la répression, la Bandera. Oui, j'ai caché des gens, oui j'en ai aidé à fuir le pays, oui j'ai aidé les gens à sauver leur peau, oui j'ai participé à des grèves de la faim. J'ai aussi consacré ces années à lire la bible avec les gens des quartiers populaires : des centaines de personnes ont découvert la Parole de Dieu et cela leur a permis de faire face à l'oppression avec foi et courage, convaincu que Dieu les accompagnait. J'ai organisé des soupes populaires et des ateliers artisanaux pour permettre à des ex-prisonniers politiques de retrouver leur place dans la société. J'ai recueilli les corps assassinés à la morgue et je leur ai donné une sépulture digne d'êtres humains. J'ai promu et défendu les droits de la personne au risque de mon intégrité physique et de ma vie.

Oui, la plupart des victimes de la dictature étaient des marxistes et nous nous sommes faits proches parce qu'ils et elles étaient nos semblables. Et nous avons chanté et espéré ensemble la fin de cette ignominie. Nous avons rêvé ensemble de liberté. Qu'aurais-tu fait à ma place? Pour lequel de ces péchés veux-tu me condamner, mon frère Benoît? Qu'est-ce qui t'indispose tellement dans cette pratique. Est-ce si loin de ce que Jésus aurait fait dans les mêmes circonstances. Comment penses-tu que je me sente lorsque j'entends tes condamnations répétées ? J'arrive comme toi à la fin de mon service ministériel et je m'attendrais à être traité avec plus de respect et d'affection de la part d'un pasteur. Mais tu me dis: "Tu n'as rien compris à l'Évangile. Tout cela c'est du marxisme! Tu es un naïf. " N'y a-t-il pas là beaucoup d'arrogance?

Je rentre du Chili où j'ai revu mes amis du quartier après 25 ans ; ils étaient 70 à m'accueillir en janvier. Ils m'ont accueilli fraternellement en me disant : " Tu as vécu avec nous, comme nous, tu nous as accompagné durant les pire années de notre histoire. Tu as été solidaire et tu nous as aimé. C'est pourquoi nous t'aimons tant ! Et ces mêmes travailleurs et travailleuse me disaient : nous avons été abandonnés par notre Église. Les prêtres sont retournés dans leurs temples; ils ne partagent plus avec nous, ne vivent plus parmi nous. Au Brésil, c'est la même réalité : durant 25 ans, on a remplacé un épiscopat engagé auprès des paysans sans terres, des pauvres dans les favelas des grandes villes par des évêques conservateurs qui ont combattu et rejeté les milliers de communautés de base, où la foi se vivait au ras de la vie concrète. Tout cela a provoqué un vide immense que les Églises évangéliques et pentecôtistes ont comblé : elles sont restées au milieu du peuple et c'est par centaine de milliers que les catholiques passent à ces communautés.

Cher Benoît, je te supplie de changer ton regard. Tu n'as pas l'exclusivité du Souffle divin; toute la communauté ecclésiale est animée par l'Esprit de Jésus. Je t'en prie, remise tes condamnations; tu seras jugé bientôt par le Seul autorisé à nous classer à droite ou à gauche, et tu sais autant que moi que c'est sur l'amour que notre jugement aura lieu. Fraternellement. 

Texte communiqué par Christiane Épinat au bulletin des Amis de Marcel Légaut "Quelques nouvelles" qui vient de le publier dans son n° 201, juin 2007.


Reprise de l'article de http://www.michelcollon.info/ du mercredi 15 Avril 2009

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Commentaires
L
- La fondation par Jésus, vrai homme et vrai Dieu, de son Eglise sur Simon-Pierre est un des faits évangéliques les plus difficiles à interpréter ; même saint Paul puis, plus tard, saint Augustin, ont "achoppé" sur cette question.<br /> <br /> On peut simplement observer que le Maître n'a pas fondé l'Eglise chrétienne universelle sur le plus "compréhensif" des apôtres en qui il reconnaît même une fois le démon, qui l'a trahi trois fois, etc.<br /> <br /> - L'hostilité ancienne et durable de Joseph Ratzinger à la théologie de la Libération qui ressuscite le "millénarisme" (qui a persisté jusque après la Révolution française -l'abbé Grégoire, par ex.-, et même au-delà puisque H. de Balzac reprend certains thèmes favoris du millénarisme), cette hostilité me paraît beaucoup plus facile à comprendre. On peut l'expliquer à plusieurs niveaux :<br /> - d'abord la religion laïque qui domine largement la religion chrétienne actuellement en Occident, les principes laïcs sont eux-mêmes foncièrement hostiles aux principes millénaristes. Un seul exemple : il n'est pas difficile de discerner derrière les principes et les lois économiques libérales cycliques le mythe de l'éternel retour, radicalement opposé aux études historiques dynamiques de Marx. La théologie millénariste, celle de Joachim de Flore ou plus tard de François Bacon alias Shakespeare est essentiellement apocalyptique, c'est-à-dire historique elle aussi, contre le Temps. Hamlet combat aussi bien la puissance temporelle civile incarnée par Claudius que la puissance temporelle religieuse incarnée par la Reine Gertrude sa "mère".<br /> En quelque sorte le pape ne fait donc que "suivre le mouvement" général de la culture occidentale contemporaine, sur laquelle il greffe quelques principes moraux archaïsants et hypocrites (pour la plupart d'entre eux ils sont mêmes bafoués par les chrétiens les plus "papistes", eux-mêmes contraints de se conformer aux principes moraux<br /> dominants qui traduisent le vol par "l'enrichissement sans cause".) ;<br /> - le catholicisme germanique<br /> est très inspiré par le judaïsme et par conséquent très clérical ; dans tous les domaines artistiques le constat d'une concurrence entre les principes juifs et les principes laïcs allemands, non d'une opposition, ce constat (de Marx ou M. Eliade) serait probable nonobstant les efforts d'histrions tels que BHL pour le dissimuler, BHL considérablement aidé il faut bien le dire par tous les théoriciens plus ou moins staliniens qui ont ramené le marxisme au... hégélianisme. J.Ratzinger se comporte de manière caractéristique en lévite gardien des rits et de la liturgie. Pour avoir rejeté la science et le progrès, J. Ratzinger a d'ailleurs été félicité<br /> par la revue française laïque "Les Temps modernes" ;<br /> - A un autre niveau encore, le marxisme comme le millénarisme, dès qu'on les creuse un peu plus profondément que Vatican II n'a su ou pu le faire, conduisent à une remise en cause radicale, non seulement du pape Benoît XVI, mais de l'Eglise entière. Cette remise en cause est très difficile et les attaques de la religion laïque sur des points de détail (on peut penser que la religion laïque a besoin d'une Eglise "ringarde" pour paraître moderne en comparaison) rendent cette remise en question encore plus difficile.<br /> Le marxisme a ceci de très gênant pour l'Eglise qu'il révèle qu'elle a engendré le culte laïc de l'Etat et le culte païen des nations. Dans le "Léviathan", Hobbes déshabille l'Eglise catholique de son armature hiérarchique, il en invalide les fondements scripturaires pour mieux justifier l'abus de pouvoir politique. Les princes allemands se sont emparés immédiatement de la théologie de Luther pour mieux juguler les paysans ; même dérive en ce qui concerne le gallicanisme, l'anticléricalisme révolutionnaire subverti par Napoléon, etc.<br /> La théologie millénariste est aussi très gênante pour le clergé catholique sécularisé dans la mesure où elle souligne que l'Eglise n'est pas immunisée contre le pharisaïsme ni impénétrable aux puissances diaboliques.<br /> (Et Marx, comme Aristote d'ailleurs, touche à la démonologie, comme si le combat contre le temps ne pouvait manquer de faire "ressortir" Satan.)
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L
Très beau témoignage, très émouvant.<br /> <br /> Quand l'Eglise fera-t-elle du soutien des petits et des opprimés une option, voire son option privilégiée?
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