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29 mai 2009

Au Proche-Orient, une voie pour la non-violence ?

Dans le village de Bilin, coupé d’une partie de ses terres par le mur de sécurité israélien, des militants palestiniens protestent en refusant tout recours à la violence, un modèle qui fait école alentour

Dans le village de Bilin, des activistes palestiniens non-violents arborent, le 15 mai 2009,  de larges clés rappelant celles de leurs maisons abandonnées lors de la Naq ba, « la catastrophe », vécue par les Palestiniens expulsés de leurs maisons par l’armée israélienne en 1948. (Photo AP/Armangue)

Abdullah Abu Rahme est venu ramasser les dizaines de bombes de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc qui jonchent le sol tout près de la barrière électrique érigée par les Israéliens sur les terres des villageois de Bilin. Jetées dans un sac de jute, elles viendront s’ajouter à celles déjà collectées et placées dans des fûts qui attendent dans son garage. « On les récupère et on réfléchit à ce qu’on va en faire. Je voudrais les réutiliser pour fabriquer quelque chose d’artistique, ou bien des bougies. Une façon de dire aux Israéliens : “Vous tuez nos enfants avec des bombes, avec celles-ci nous allumons des bougies pour éloigner l’obscurité”, c’est-à-dire l’occupation, ainsi que la désignait notre poète national, Marmoud Darwish. »

Abdullah Abu Rahme a 37 ans. Il est l’un des fondateurs du comité populaire de Bilin qui rassemble une trentaine de personnes, tous militants de la non-violence pour la fin de l’occupation. « Lorsque la première Intifada a éclaté (1), j’avais 15 ans. J’avais lu les livres de Gandhi. Je connaissais aussi la lutte que menait Mandela contre l’apartheid en Afrique du Sud. À l’université, avec une poignée de mes amis, on militait déjà contre l’occupation. »

Père de trois enfants, deux filles et un garçon nouveau-né, ce professeur de langue arabe est l’un des piliers de la résistance non-violente de Bilin, un village de 1 700 habitants. « Nous sommes parmi les plus petits de Cisjordanie », reconnaît-il, mais Bilin fait beaucoup parler de lui et son action non-violente suscite des vocations parmi ses voisins, eux aussi privés d’une partie de leurs terres par l’érection de la barrière de sécurité israélienne.

Une large couverture médiatique

La clôture électronique et les rouleaux de barbelés ont permis à Israël d’annexer de facto la moitié des terres du village. Mais la résistance non-violente d’une partie des habitants est devenue une sorte de label qu’Abdullah et ses amis du comité populaire exportent déjà dans les villages voisins, comme Biddu, Derkadis, Beit Duku, dont les terres ont subi le même sort. « À l’aide de films, de diapositives, nous leur expliquons la stratégie et les techniques à utiliser pour les manifestations », précise-t-il.

Vendredi dernier, des habitants de Bilin brandissaient des pancartes « Stoppez la grippe de l’occupation », en référence à la grippe mexicaine, ou arboraient de larges clés rappelant celles de leurs maisons abandonnées lors de la Naq ba, « la catastrophe », vécue par les Palestiniens expulsés de leurs maisons par l’armée israélienne en 1948. Les « non-violents » de Bilin peuvent aussi compter sur le soutien fidèle de quelques organisations israéliennes et bénéficient d’une large couverture médiatique, notamment des télévisions arabes et internationales. D’autres villages comme Nelin, Jayyous, Beit Sina ont depuis contacté le comité populaire.

Ce jour-là, Abou Khamis, un berger du village, veut faire paître son troupeau de chèvres sur ses terres, situées désormais côté israélien. Il doit passer une première barrière, puis franchir une sorte de no man’s land et passer une seconde porte. Mais auparavant, il doit présenter ses papiers et obtenir l’autorisation des soldats israéliens, et ce, tous les jours. Sauf que, à la suite de la manifestation pacifique du vendredi précédent, le rouleau de barbelés bouche l’espace par lequel pourraient se faufiler ses bêtes.

Les chèvres d’Abou Khamis ne passeront pas la barrière

Et ce matin, le ton monte rapidement entre les militaires israéliens, d’un côté, Abdullah et Abu Khamis, de l’autre. Les Palestiniens tirent sur les barbelés, se blessent les mains, crient en hébreu contre les soldats qui les regardent sans bouger. Le soldat insiste, il y a assez de place pour que les chèvres se faufilent. Finalement, les deux soldats pénètrent côté palestinien, avec leurs armes, le ton monte d’un cran. Chacun brandit son téléphone. Le soldat réclame du renfort, Abdullah informe le comité populaire de l’incident. Puis, chacun repart de son côté.

Finalement, les chèvres d’Abou Khamis ne passeront pas la barrière. Lui seul traverse pour aller voir si les colons de Mitatyaho East n’ont pas investi son champ. Installé sur la colline qui fait face à Bilin, ce bloc de constructions illégales a été bâti sans permis de construire, mais le gouvernement israélien ferme les yeux. Et les colons ont arraché 50 oliviers du champ d’Abu Khamis, qu’ils ont replantés dans leur colonie.

Les colons de Mitatyaho East sont des juifs ultra-orthodoxes à qui le gouvernement israélien aurait offert l’équivalent de 50 000 € pour qu’ils s’installent dans des baraquements provisoires, devenus depuis des blocs d’appartements en dur. Un peu plus loin, d’autres colonies forment le bloc de Modin Illit, bientôt le plus grand de Cisjordanie, situé entre Jérusalem et Tel-Aviv.

"En ne ripostant pas à leur violence, je me sens plus fort"

Cela fait déjà quatre ans que les habitants de Bilin mènent leur combat. En plus des manifestations hebdomadaires du vendredi devant la barrière, ils ont intenté des actions en justice. Dans un jugement rendu le 15 décembre 2008, la Haute Cour de justice israélienne a une nouvelle fois ordonné le déplacement du mur construit sur les terres de Bilin et déclaré illégal le nouveau tracé proposé par l’armée israélienne. L’État a également reçu l’ordre de se conformer à un nouveau tracé n’incluant pas des projets d’expansion des colonies et de payer les frais de justice aux habitants de Bilin. Mais, sur le terrain, rien n’a changé et la colonisation progresse dans toute la Cisjordanie.

Le 17 avril 2009 lors de la manifestation hebdomadaire, un jeune Palestinien a été tué par une grenade lacrymogène tirée à bout portant. Elle lui a traversé la poitrine et a provoqué une hémorragie massive. Une pierre tombale a été érigée le long de la barrière. Le mois dernier, un volontaire américain, Tristan Anderson, a été touché par une grenade lacrymogène à la tête. Grièvement blessé, il souffre de lésions cérébrales et a perdu un œil. Comment dans ces conditions résister à la violence, quand elle tue vos amis ?

« J’ai peur des soldats, mais en ne ripostant pas à leur violence, je me sens plus fort que tous leurs chars et leurs fusils. Par exemple, en criant de toutes mes forces : “Non, je ne vous donnerai pas ma carte d’identité.” Que peuvent-ils contre ça ? » Abdullah a été arrêté et emprisonné trois fois, légèrement blessé à plusieurs reprises. « J’ai reçu des menaces du Shin Beth, les soldats israéliens ont fait irruption chez moi de nuit. Mes filles sont terrorisées dès qu’elles voient un soldat. » Même cela ne suffit pas à ébranler la volonté d’Abdullah. « Je suis persuadé qu’il est encore possible de récupérer nos terres, notre liberté, nos droits, sans faire parler les armes. »

Agnès ROTIVEL

(1) La première Intifada a duré de 1987 à 1993, la seconde de 2000 à 2007.

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