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8 septembre 2009

Capitalisme et subjectivité

Sans objet, capitalisme, subjectivité, aliénation, de Franck Fischbach. Éditions Vrin, 2009, 272 pages, 28 euros.

Ce livre de Franck Fischbach est de ceux - importants - qui font revenir la notion d’aliénation que le marxisme althussérien avait rejetée, la jugeant indéfectiblement liée à la théologie et à sa soeur, la métaphysique. Il est vrai que le capitalisme sous lequel nous vivons donne raison aux tenants de ce retour, il donne vie, pour parler par antiphrase, à la notion. Combien n’ont pas le sentiment de se perdre à gagner leur vie ? La question justement est là : que veut dire « se perdre » ? L’expression, en français, est significative : elle paraît bien désigner un sujet je, dont on ne sait ce qu’il est, qui tombe dans le monde sensible matériel pour se perdre, puis se relever ensuite et se retrouver, comme il était au commencement, mais présent à lui, maître de lui. Une certaine conception marxiste, que le livre critique, n’est guère éloignée de ce mouvement : un sujet, devenu chose dans le monde capitaliste, sous l’effet de l’exploitation, a besoin de la révolution pour se retrouver comme sujet. La force du livre n’est rien moins que d’expliciter la manière dont Marx entendait cette aliénation, la définissant de façon non théologique. Il faut donc écouter ce que ce dernier dit lorsqu’il parle de la métaphysique, comme d’un lieu où le monde apparaît « renversé ». « Renversé » veut dire sans monde, sans objets du monde, pur vide, présent à lui-même, et qu’à lui-même. La particularité de notre époque est que théologie et métaphysique peuvent être satisfaites : le capitalisme les accomplit, nous sommes, avec lui, arrivés au temps où ce pur sujet, qu’elles se sont donné pour but d’approcher ou de rendre effectif en ce monde, est là. Ce capitalisme fait de nous des « sujets », il vide notre quotidien des objets, des êtres, des formes, des matières, des autres, nous faisant nous mouvoir dans un monde atrocement abstrait, où nous ne nous reconnaissons pas, ou, devenus de purs sujets, nous nous mirons en nous-mêmes, privés du monde ; vidés par la circulation des marchandises, il ne nous reste qu’un moi à la fois content de lui et perdu. Ce moi narcissique et déprimé est celui d’un univers où le travail flexible n’apporte comme satisfaction que la constatation d’un sujet qui ne fait rien d’effectif mais qui fait… Ce lien du monde actuel et de la métaphysique, le livre nous le montre en passant par de belles analyses, qui feront référence, entre autres, sur le texte célèbre du Capital traitant du fétichisme de la marchandise, sur la dialectique du maître et du serviteur de Hegel, sur l’idéologie pour Althusser, sur l’appropriation collective, nécessaire combat pour nous donner un monde, et qui ne veut surtout pas dire qu’il faut que tous deviennent propriétaires, mais qu’il faut trouver un usage commun des biens, l’auteur montrant, de manière aussi originale qu’importante, l’influence de Fichte sur Marx quant à ce point décisif de la propriété collective. La question centrale posée par ce livre est celle du statut de la subjectivité dans la philosophie moderne : peut-on penser toutes les conceptions modernes du sujet comme étant les mêmes que celle donnée par Descartes ? Peut-être ! Mais ce n’est pas sûr. Quel statut a cette subjectivité qui peut être souci de soi et du monde, et qui n’est pas celle du sujet vide ? Il est grand besoin d’un retour du marxisme dans la philosophie ; à ce retour, ce livre participe de belle façon.

Hervé Touboul, philosophe

http://www.humanite.fr/



   
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