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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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19 septembre 2009

Le retour de la lutte des classes

Qu'entend-on exactement par « lutte des classes » ? La formule conserve une
forte puissance évocatrice. Mais chacune et chacun y met un peu ce qu'il veut.
Rappelons un peu d'où elle vient et ce qu'elle signifie exactement. Il est de
bon ton, chez les bien-pensants qui pontifient dans les médias ou dans
l'Éducation nationale, d'apprendre au bon peuple, avec une pointe de nostalgie
dans la voix, que « la lutte des classes, ça n'existe plus ». Si en effet, on
imagine que la formule de « lutte des classes » correspond à des batailles
homériques mettant en scène des quarterons de patrons en queue-de-pie et
haut-de-forme, assiégés dans leurs manoirs par des bataillons de prolétaires
en bras de chemise, la casquette enfoncée sur les yeux et la clef anglaise à
la main... alors oui la lutte des classes ça n'existe pas ! Ou plutôt...
disons que ça peut exister sous cette forme colorée, mais à de rares moments
de l'histoire.

En réalité, la lutte des classes n'est pas réductible à une forme particulière
(grève, manifestation, guerre sociale, révolution, etc.). Tantôt latente,
tantôt explosive, elle est plus ou moins virulente et politisée, selon les
moments de l'histoire, en fonction de la hausse ou de la baisse de la
conscience qu'ont les travailleurs et les travailleuses de former une classe -
ce qu'on appelle la « conscience de classe ». La lutte des classes est un
concept. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre, c'est cela que ne veulent pas
comprendre les libéraux. Il s'agit de constater qu'elle existe. Autant
aujourd'hui qu'hier. Et d'agir avec.


Une théorie en perpétuelle reconstruction

A l'origine, la lutte des classes est un concept développé entre 1815 et 1848
par... des libéraux comme Charles Comte, Charles Dunoyer ou Guizot. Cette
théorie fut ensuite reprise par les fondateurs du socialisme moderne, au
premier rang desquels Pierre-Joseph Proudhon, Auguste Blanqui et Karl Marx.
Évidemment, la théorisation de la lutte des classes ne s'est pas arrêtée là.
Elle a évolué et a été enrichie à travers les époques, et elle s'enrichit
encore de nos jours.

Une classe est un groupe social défini par sa position dans les rapports de
production ou de hiérarchie, donc avant tout par des intérêts antagonistes à
ceux d'une autre classe. La lutte des classes s'appuie sur un rapport social
inégal, chaque classe défendant ses intérêts contre ceux d'une classe opposée.

Une classe regroupe donc des individus qui occupent des positions similaires
dans les rapports sociaux, et qui de ce fait partagent des intérêts communs.

Ces diverses classes sociales peuvent être en concurrence, et même en conflit,
pour renforcer leur position économique dans la société.


Maîtres et esclaves

La lutte des classes ne s'est pas limitée au système capitaliste, qui
rappelons-le ne domine l'économie que depuis deux siècles.

En fait, les rapports de forces entre classes, en ce qu'ils contribuent à
faire bouger les antagonismes, sont un facteur majeur de changement des
rapports sociaux et donc une clef fondamentale pour comprendre l'évolution
historique des sociétés :

* la dualité entre les esclaves et les maîtres dans les sociétés
  esclavagistes ;
* la concurrence entre la bourgeoisie et la noblesse à la veille de la
  Révolution française ;
* la lutte entre les salarié-e-s et leurs employeurs dans la société
  capitaliste moderne ;
* la hiérarchie des castes en Inde (hiérarchie économique avec un
  alibi religieux) ;
* colons et indigènes dans les colonies (hiérarchie économique avec un
  alibi raciste) ;
* lettrés-fonctionnaires dans la Chine ancienne, etc.

Un texte fondateur du mouvement ouvrier moderne, le Manifeste du parti
communiste de 1847 [1], débute par ces phrases devenues célèbres : «
L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes
de classes.

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de
jurande [2] et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition
constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt
dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation
révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux
classes en lutte.

Dans les premières époques historiques, nous constatons presque partout une
organisation complète de la société en classes distinctes, une échelle graduée
de conditions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens,
des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au moyen âge, des seigneurs, des
vassaux, des maîtres de corporation, des compagnons, des serfs et, de plus,
dans chacune de ces classes, une hiérarchie particulière.

La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale,
n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer de
nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes
de lutte à celles d'autrefois. »

Notons que la théorie des classes n'est pas réductible au marxisme. Le
Manifeste, texte de commande, est le produit d'une synthèse faite par Marx et
Engels, des économistes et des penseurs socialistes de l'époque. L'historien
Charles Andler y voyait « une résultante, plutôt qu'une invention originale et
un point de départ : il s'inspire aussi bien de List, de Lorenz von Stein et
de Pecqueur que de Bazard et de Proudhon » [3].


Deux classes structurantes

Les rapports sociaux, multiples au sein d'une société, peuvent opposer
différentes classes autour de divers antagonismes, et concourir à différentes
hiérarchisations sociales. Depuis le triomphe du capitalisme au XIXe siècle,
un antagonisme structure profondément deux classes sociales dans notre société
: celle des capitalistes et celle des travailleurs. Avant 1981 on aurait dit «
bourgeoisie » et « prolétariat », mais ces mots sont aujourd'hui tellement
surchargés d'imaginaire qu'il est difficile de les limiter à leur seule valeur
conceptuelle.

* les capitalistes ou « bourgeois » forment la classe dirigeante de la société
capitaliste. Elle possède le capital financier ou matériel (entreprises,
machines, etc.) et dispose ainsi des moyens de faire travailler le prolétariat
à son profit en achetant sa force de travail. C'est cette classe qui, via
l'État, qui est son instrument et son régulateur, fixe les grandes destinées
de la société (choix de production, aménagement du territoire, guerres...) ;

* les salarié-e-s, ou « prolétariat », sont les personnes qui ne vivent pas de
leur capital, mais de leur force de travail manuel ou intellectuel pour
subsister.

Outre qu'on distingue parfois des sous-classes à ces deux classes
fondamentales (par exemple grand patronat et petit patronat), s'ajoute une
classe intermédiaire, un peu flottante : la « petite bourgeoisie », ni
salariée ni capitaliste. Elle regroupe les personnes qui possèdent leurs
propres moyens de subsistance comme les petits commerçants et les professions
libérales, ce qui leur confère une autonomie précaire par rapport aux
capitalistes. La façon dont cette petite bourgeoisie défend ses intérêts est
fluctuante. Elle se solidarise parfois avec le prolétariat, avec lequel elle a
des intérêts objectifs (elle souffre elle aussi de l'économie de marché).
Parfois au contraire, elle se solidarise avec la bourgeoisie, à laquelle elle
souhaiterait s'identifier (sans en avoir les moyens réels) et dont elle peut
partager les valeurs.


A la pointe de la lutte

Pour conclure, signalons ce trait de l'ex-marxiste Denis Kessler, qui a été le
n°2 - et l'idéologue - du Medef entre 1998 et 2002, une période où le
principal syndicat patronal a été particulièrement à l'offensive.
Boute-en-train, Denis Kessler n'avait pas hésité à déclarer à son ami
Dominique Strauss-Kahn, un des dirigeants du PS : « La lutte des classes, j'y
crois toujours, mais maintenant je suis de l'autre côté de la barrière ! »
[4]. Merci, Denis, pour ce cri du coeur.


Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)



Notes:

[1] Le titre peut paraître énigmatique pour un texte qui voit le jour plus de
soixante-dix ans avant la fondation du Parti communiste tel qu'on le connaît.
Mais le mot « parti » est ici à prendre non au sens de l'organisation
politique (qui s'écrit, elle, avec une capitale initiale), mais au sens plus
général d'un « camp politique » : celui des partisans du communisme.
[2] Maître de jurande, c'est-à-dire occupant une place dirigeante dans
l'organisation corporative d'un métier.
[3] Charles Andler, Le Manifeste communiste de Karl Marx et Friedrich Engels.
Introduction historique et commentaire, Rieder, 1901.
[4] L'Express 24 février 2000.


http://www.alternativelibertaire.org

http://www.ainfos.ca/fr/

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