Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A l'indépendant
Publicité
  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 420 660
5 octobre 2009

Un dialogue de cultures à partir de textes de chansons , par Luc Collès

                        

Texte publié dans « Québec français, n°152, 2009, p.71-73.

L’objectif poursuivi dans ce travail est de fournir aux enfants des différentes communautés, c’est-à-dire aux jeunes issus de l’immigration, plus particulièrement les jeunes d’origine maghrébine, ainsi qu’aux jeunes Belges, des textes pour appréhender la culture de l’autre et ainsi mieux comprendre les comportements de chacun. Nous espérons dès lors leur faire prendre conscience de leur propre culture et identité.

Méthode

Nous travaillerons dans une perspective interculturelle qui, tout d’abord, en offrant une exploration de mondes nouveaux alimente d’une part la culture générale et augmente d’autre part la connaissance de soi-même. En effet, aller à la découverte d’un monde désormais métissé et pluriculturel ne signifie pas la perte de ses propres valeurs, mais permet plutôt de mieux comprendre ses racines, en les confrontant avec d’autres groupes culturels.

Ensuite, outre qu’elle permet la connaissance de l’autre, l’approche interculturelle favorise sa reconnaissance. Nous espérons amener les élèves à faire de cette manière un pas vers la compréhension et l’acceptation de l’autre avec lequel ils ne partagent pas toujours les mêmes valeurs.

Enfin, ce dialogue interculturel peut aider à développer chez les apprenants un esprit critique dans leur manière de penser l’autre, facilitant la remise en question de leur point de vue personnel souvent ethnocentrique. En effet, selon Altay Manço, “l’optique interculturelle est avant tout une discipline de communication qui permet d’activer les ressources critiques et autocritiques de l’individu”. En privilégiant cette démarche, notre but est d’amener l’apprenant à relativiser la vision partielle de l’autre qui est la sienne.

Dans cette optique, afin de tenir compte de la réalité culturelle des jeunes maghrébins et des jeunes Belges, nous proposons des textes écrits par des jeunes de la même origine et par un Belge. Ce sont des textes de chansons.




Pourquoi la chanson?

Tout d’abord, comme l’écrit Dufays, “connue de tous, diffusée sur les ondes à toute heure de la journée, la chanson est sans conteste le genre textuel le plus populaire et le plus consommé qui soit, et cette prégnance du phénomène suffit déjà à faire de lui un point de passage quasi incontournable pour le cours de français.” (Dufays et al., 1994 : 3). Pour les jeunes comme pour les moins jeunes, la musique accompagne en effet nombre de moments de la journée. Ecouter de la musique constitue un plaisir pour la plupart d’entre nous. Pourquoi donc ne pas introduire la chanson en classe si elle peut donner plus de goût à l’apprentissage et motiver les étudiants?

Ensuite, sa brièveté, qui n’enlève rien à sa densité et à sa cohérence, fait de la chanson un outil pratique et efficace à utiliser en classe. L’élève peut facilement aborder un texte, achevé et complet, en quelques leçons, ce qui n’est pas toujours possible avec des oeuvres plus longues, surtout dans une classe où les apprenants présentent des problèmes de lecture. Travailler à partir de textes de chansons me paraît être une alternative plus courte proposant également un accès à la culture, mais il est certain qu’elle ne pourrait remplacer la lecture d’oeuvres littéraires complètes.

Dufays souligne aussi le fait que la musique est le moyen d’expression et le lieu de projection préféré des jeunes. Dans le cas de notre public, cela ne s’arrête pas là. Les jeunes issus de l’immigration se construisent autour de différents pôles de socialisation dont, notamment, les mass-médias. Parmi ceux-ci, la musique plus particulièrement constitue une référence culturelle. Et parmi tous les genres musicaux, le rap et le hip-hop sont les facteurs d’identification les plus importants pour eux. Comme ils se sentent proches de ce genre textuel, il nous semble que ces élèves se sentiront intéressés, reconnus et valorisés par l’utilisation de ce genre comme matériau didactique.

Si « le texte littéraire est l’expression et la mise en forme esthétique de représentations partagées par les membres d’une même communauté » (Collès, 1994 : 17), s’il constitue un témoignage de la part d’un membre d’une société sur celle-ci, il nous semble qu’à sa manière la chanson peut concourir à ce poste. Elle constitue en effet pour nous un reflet et le produit d’une culture.

Nous avons indiqué que la musique était omniprésente dans les actes de la vie, mais notre quotidien est également au cœur de la musique. Un chanteur peut en effet évoquer la vie quotidienne dans ce qu’elle a de plus simple, avec ses petits bonheurs et ses malheurs. Il peut aborder des thèmes qui lui sont personnels mais dans lesquels son public peut s’identifier. Il peut toucher des thèmes parlant davantage à telle ou telle tranche de la société, mais il peut également traiter des sujets concernant une société entière et prendre position dans son texte. La chanson peut transmettre des valeurs, partager des idéaux et participer à la transmission d’une idéologie. Elle n’est donc pas un texte dans le vent, mais un discours de l’homme sur l’homme et sur le monde. Elle n’est pas qu’un simple reflet du monde, elle est un regard sur le monde. La chanson est donc, comme la littérature, un produit d’une culture et d’une culture bien précise. En effet, tous les peuples ne chantent pas les mêmes thèmes et ne chantent pas de la même manière. Le simple exemple des différents instruments utilisés et de la mélodie qui en découl en est une illustration évidente.

Nous tenons donc à insister sur la charge culturelle présente dans les chansons et inviter les professeurs à prendre en compte « l’aspect social du document que représente la chanson pour l’étude de la société dans laquelle elle naît, elle se développe et elle meurt, à moins qu’elle ne demeure comme un témoignage vivant d’une époque révolue mais qu’on ne veut pas oublier parce qu’elle appartient à l’Histoire. » (Demougin et Dumont, 1999 : 113).

Le but visé par notre travail se situe dans la rencontre et l’échange de points de vue, de valeurs dans un objectif d’une meilleure connaissance des autres et de soi-même. La chanson invite à la découverte et partage d’opinions, d’usages et de modes de vie. Il nous semble donc que ce genre, qui tient particulièrement à cœur notre public, répond aux objectifs que nous nous sommes donnés.

En outre, une brève recherche sur internet dans le répertoire des chanteurs issus de l’immigration peut rapidement convaincre que leurs textes sont de véritables témoignages de leur vécu. De nombreux thèmes traités dans la littérature beur s’y retrouvent, comme par exemple :

  • les problèmes d’identité,   le sentiment de n’être ni d’ici ni de là-bas

    Ex. Bisso na Bisso : « Le cul entre deux chaises » ; Faudel : « Mundial corrida », etc.

  • les problèmes vécus   au quotidien comme la suspicion, le rejet, le racisme

    Ex. Ridan : « Le quotidien » ; Abd Al Malik : « Je rentre chez moi ».

Nous avons également relevé des textes dans lesquels le chanteur remerciait ses parents pour lui avoir permis de grandir dans un pays tel que la France (EX ; Faudel : « Juste un sourire de silence »). Certains chanteurs issus de l’immigration n’hésitent pas à dénoncer la violence existant dans les cités, les trafics, etc. Ces textes ont alors un ton plus moralisateur et on sent la volonté de redresser les choses. Ils veulent montrer qu’il est toujours possible de s’en sortir, que chacun a sa chance. C’est le cas par exemple d’Abd Al Malik ou de Nãdiya avec son texte « Au nom des tiens ».

Analyses

Nous avons choisi quatre textes qui ont comme point commun de faire référence, à un moment ou un autre, à la femme et plus exactement à la femme maghrébine : soit celle-ci est le thème même du texte, soit elle est seulement citée, soit elle est l’auteur du texte et se met en scène dans sa chanson.

  1. Abd Al Malik :   « Les autres »

    Le premier texte choisi est une chanson d’Abh Al Malik qui est un rappeur français d’origine congolaise. Né  à Paris en 75, sous le nom de Régis, il retourne avec sa famille vivre à Brazaville entre 1977 et 1981, avant que celle-ci ne s’installe définitivement dans la banlieue de Strasbourg. Il s’est rapidement engouffré dans une vie tumultueuse, d’abord dans la délinquance puis dans un activisme religieux proche de l’extrémisme. Toutefois, parallèlement à cela, il mène un parcours scolaire brillant (en philosophie et lettres classiques). Il découvre le soufisme qui est une branche de l’islam et qu’il appelle l’islam de l’amour, s’y convertit et rompt avec l’extrémisme pour devenir un militant de la paix. Aujourd’hui, il se dit conscient de son rôle et de sa position de témoin privilégié en tant qu’artiste reconnu. Il présente une morale tolérante mais ferme. La chanson choisie s’intitule « Les autres », il s’agit d’une reprise et d’une adaptation de « Ces gens-là » de Brel. Ce texte est un portrait du chanteur avant qu’il se soit converti au soufisme.

    Analyse :

      Intérêt pour le cours de français :

       - Référence à Brel. On peut demander de retrouver ce qui a été écrit par Brel et ce qui a été modifié par Abd Al Malik (Brel : premier paragraphe). Demander dans quel but ces modifications ont été effectuées. A quoi correspondent-elles ? (Eléments autobiographiques)

      - A quoi sert cette première strophe : Une sorte d’annonce, on retrouve certains éléments par après : sort la nuit, prie Dieu pour ne pas se faire attraper.

      - Jeux de mots : Ex. Dieu, prie, pêche (a deux sens mais qui ne s’écrivent pas de la même façon), Noyer >< à sec

  - Le refrain : Que vous inspire-t-il ? Quelle impression vous donne-t-il ? Il remet la faute sur les autres. Le ton sur lequel c’est dit et le fait que ce soit répétitif donne l’impression qu’on est en face de quelqu’un de malade comme il le dit dans sa chanson : « je suis né malade ».

      - Dernière strophe : parallélisme avec Jacques Brel : il reprend le même    sujet, à savoir que le personnage dans Brel ne peut pas épouser Frida car il n’est pas assez bien pour elle. Chez Abd Al Malik, c’est anecdotique, il raconte son histoire : il veut épouser sa belle, mais l’entourage n’est pas d’accord parce qu’il est noir.

      - Il explique également la fin de sa participation à l’activisme religieux, il se rend compte qu’il se mentait à lui-même.

      Intérêt pour le dialogue des cultures :

  • Référence à son   père : on remarquera l’opposition dans ses paroles : il rend hommage   au travailleur courageux et en même temps, il dit qu’il va se coucher   (il ne suit pas l’exemple). Opposition entre les générations.
  • Rapport avec les   filles : Que relèvent-ils ? ne permet pas   à sa sœur de sortir le soir.   N’y relèvent-ils pas un stéréotype ? aller faire   à manger.Demander en quoi c’est représentatif de la culture   maghrébine : on protège les femmes, on les garde   à l’intérieur.
  • L’homme apparaît   beaucoup plus libre et fait ce qu’il veut. Quelle image transmet-il ?   Image de celui qui veut des grosses voitures et des filles autour.   D’où vient cette image stéréotypée ? Clips des rappeurs américains.

On amènera d’autres textes (anthropologiques) pour expliquer cette différence de « traitement » entre filles et garçons dans cette culture.

  1. Wallen :   « Donna »

De son vrai nom Nawell Azzouz, Wallen est une chanteuse française d’origine marocaine née à Saint-Denis. Dans la chanson choisie, « Donna », Wallen parle du quotidien d’une jeune fille de banlieue perdue entre ses rêves, les réalités occidentales et les valeurs inculquées par son milieu. La chanteuse elle-même se met en scène dans le refrain et dit s’adresser à toutes les jeunes filles des banlieues.

Analyse :

1er couplet : elle se fait discrète, elle s’efface, « c’est juste la p’tite sœur de ses grands frères ».

2e couplet : elle a envie de ressembler aux filles pulpeuses des clips vidéos, mais elle est tout le contraire : cf. 1ère strophe.

Le sexe banalisé est associé au bac, « c’est juste une étape à passer ». Demander aux Belges et aux jeunes maghrébins s’ils partagent ce point de vue, s’ils adhèrent à cette image de la sexualité. Sont-ils également influencés par ces clips ? Et par les discours sur la sexualité tenus aujourd’hui ?

« Dans l’intimité y’a comme un problème » : quel est-il ? Faire unhypothèse.

3e couplet : elle se fait insulter par les garçons du quartier parce qu’elle aurait eu des relations sexuelles. « Son cœur n’est qu’un détail » : que signifie cela ? Que ses sentiments n’ont pas d’importance. A quoi cela correspond-il dans la culture musulmane ?

Wallen dit que la cité tue les rêves. Quels sont les rêves dont elle parle ? Rêves d’émancipation.

Wallen critique les clips et les images qu’ils véhiculent ; elle critique aussi l’attitude des hommes qui brisent leurs rêves d’émancipation. Mais, au final, quel est le message qu’elle essaye de transmettre à ces jeunes filles ? Prendre le temps de grandir.

  1. Amel Bent :   « Mes racines »

Amel Bent est une chanteuse française née à Paris d’un père algérien et d’une mère marocaine. Ses deux premières mélodies n’étaient pas marquées musicalement par des accents étrangers ; celle-ci l’est. On peut entendre un fond musical oriental et la chanteuse a pris un ton proche de la voix des chanteurs de raï : un peu flottante.

Cette chanson ne parle pas de la condition de la femme, mais elle est intéressante car elle montre un autre point de vue. En effet, de par le titre, on comprend déjà quel va être le thème du texte : la question des origines. Ici, on voit que celles-ci sont totalement assumées par la chanteuse et même revendiquées tel un insigne qu’elle porterait. Elle n’émet aucune objection sur les éléments qui constituent sa culture. On pourrait donc demander aux élèves belges et à ceux d’origine maghrébine si eux-mêmes adhèrent à toutes les réalités de leur culture et à toutes les valeurs que celle-vi véhicule. Le but serait de montrer qu’il est normal d’avoir des avis différents de ses parents et que des évolutions sont possibles.

  1. Claude Semal :   « Ma belle Arabelge »

Claude Semal est un Belge bruxellois. Cette chanson date de 1990, mais elle est toujours d’actualité.

Analyse :

L’intérêt de cette chanson est d’avoir la vision d’un Belge sur les difficultés pour une femme maghrébine d’assumer une double culture, à la fois belge et musulmane. Claude Semal pose la question de l’identité en des termes à la fois justes et doux. La quête est en effet double pour ces femmes : comment intégrer les apports de l’émancipation féminine occidentale sans pour autant se trouver en porte-à-faux avec ses racines ?

Intérêt pour le dialogue des cultures :

1$ : mélange entre les deux cultures

2$ : elle est belge . Même si elle a des ressemblances avec les Arabes, elle n’est pas de là-bas.

3$ : Problème rencontré par ces jeunes, question de l’émancipation : « ni pute ni bonne ni nonne ni sœur » : fait référence à l’association « Ni putes, ni soumises ».

4$ : Apport de l’orient à l’occident. Demander si les élèves trouvent dans le texte un point positif dans les échanges de culture : chiffres arabes.

5$ : Note d’espoir très pacifique, elle espère que l’amour et le temps arrangeront les choses.

Intérêt pour le cours de français

  • Pour faire ressortir   cette double culture, Semal joue sur la musique, il mélange mélodie   avec timbre oriental et occidental. De plus, il joue sur les deux champs   sémantiques (Orient vs Belgique). On peut demander aux élèves de   relever ces éléments.
  • Jeux de mots : jambon-beur :   à quoi se rapporte le jambon ? Que signifie beur ? Comment ces deux mots   se transforment-ils à la fin du texte ? du sent bon et du cœur.

Nous espérons avoir montré qu’il est possible de travailler avec des textes de chansons dans une optique interculturelle.

Luc Collès, UCL-CEDILL 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité