Il y a dans la tête de M. Besson...
Boîte
de Pandore, psychodrame, salmigondis, boomerang : le débat sur
l’identité nationale tourne au vinaigre. Chacun au gré de ses intérêts
se l’approprie pour jouer sa partition en solo, ce qui est le propre
des cacophonies. Il faut dire que le chef d’orchestre a abandonné la
direction qui lui incombait à un ténor calamiteux. Dans un pays comme
la France où l’on politise à outrance, où les têtes intellectuelles
sont particulièrement chaudes, où l’opinion est passionnée, émotive et
versatile, les débordements étaient à prévoir. D’un utile sujet de
réflexion on est en train de faire un beau gâchis. D’une tentative
d’union nationale sur des valeurs on aboutit au déballage de toutes les
divisions. Le verbiage et la logomachie ont embrumé les enjeux. La
question de l’immigration, exacerbée par le vote suisse sur les
minarets, tend à transformer le débat en guerre de religion. Mais le
sujet même de la France n’est-il pas déjà un domaine hautement
religieux ? Quel pays possède deux saints dans son panthéon politique,
Saint Louis et Jeanne d’Arc ? Sans parler de la contradiction qui
consiste à ratiboiser dans le même temps les programmes d’histoire. On
reproche à Nicolas Sarkozy d’avoir joué les apprentis sorciers en
agençant un piège pour la gauche dont la droite fait les frais. Seuls
les lepénistes ont des chances de tirer les marrons du feu.
Nicolas
Sarkozy a essayé de reprendre la main dans son article du « Monde ».
Mais ni cette intervention ni le beau discours du Vercors passé
totalement inaperçu n’ont réussi à effacer l’impression de cafouillage
qui est la sanction d’un débat à la fois mal posé, mal porté, mal
cadré. Eric Besson n’a ni la stature intellectuelle ni l’aura morale
pour lancer un débat subtil et explosif. Empêtré dans sa propre crise
d’identité politique, ne possédant pas un caractère qui le prédispose à
l’œcuménisme, il ne pouvait qu’exaspérer l’opinion. Ce qu’il a
parfaitement réussi. A l’Assemblée, il s’est signalé par un curieux
aphorisme : « La France n’est pas raciste, mais elle cultive encore
trop l’entre-soi. » A qui donc M. Besson faisait-il ainsi allusion ? A
Teilhard de Chardin, aux moines de Tibéhirine, à Mermoz, à Alain
Gerbault, à Ionesco, à François Cheng ? Décidément, il y a dans la tête
de M. Besson un barrage intellectuel en béton armé qui, au contraire de
celui de Donzère-Mondragon, produit beaucoup d’électricité mais
vraiment aucune lumière.
Jean-Marie Rouart, Paris Match, 15 décembre 2009.