Une recension du livre de Christophe Wargny : Haïti n’existe pas,1804-2004 : deux cents ans de solitude, éd. Autrement, Paris 2008
L’auteur, conseiller du Président Aristide de 1993 à 1996, analyse la période 1804-2004 et montre comment les maîtres du pays ont miné toute velléité de renforcer l’Etat.
Haïti est un pays méconnu, absent de l’actualité,
oublié ou ignoré des médias. Pour les non-Haïtiens, il est moins une
réalité qu’une réputation : son image renvoie à l’obscur vaudou, aux
dictatures militaires, au palmarès économique et social du pire de la
misère, à un peuple à la dérive et sans avenir. Neuf habitants sur dix
aspirent à le quitter. En 1697, par le traité de Ryswick, le tiers occidental
de Saint-Domingue passe sous juridiction française. De 10 000
habitants, le pays passe, moins d’un siècle plus tard, à un
demi-million - 450 000 esclaves, 28 000 noirs et mulâtres libres, 30
000 blancs -, les indigènes ont disparu. La production de canne à
l’heure du Code noir est dévoreuse d’hommes. Elle épuise aussi les
sols. Les bénéfices ne sont pas investis pour le développement de l’île. Corps expéditionnaire Gagné aux idées de la Révolution, en 1791, au milieu du
chaos, un homme émerge : le général Toussaint Louverture, créole, homme
d’ordre, abolitionniste et royaliste.
Il mène de front trois guerres : raciale, sociale et indépendantiste.
Auto-proclamé gouverneur à vie, il est arrêté dans son élan en 1802 par
un corps expéditionnaire de 20 000 soldats envoyé par Bonaparte. Mais
Jean-Jacques Dessalines prend la relève et défait les troupes
françaises ; l’indépendance est proclamée le 1er janvier 1804 et le
territoire devient, sous le nom amérindien de « Haïti », la première
république nègre de l’histoire, tous les blancs ayant été chassés ou
éliminés. Pourtant l’économie de plantation pour l’exportation du
sucre ou du café perdure, le caporalisme, le travail forcé et la
brutalité sont maintenus, une oligarchie se constitue en reproduisant
le système colonial. Mulâtres et descendants de Noirs libres créoles se
disputent le pouvoir en maintenant les masses Bossales à distance, une
fracture sociale qui perdure jusqu’au XXIe siècle. Système prédateur Les maigres ressources du nouvel Etat largement
consacrées à payer une indemnisation à la France, malgré la victoire
militaire, veut empêcher Haïti de moderniser son économie au cours du
XIXe. Siècle. L’Europe s’est d’abord employée à isoler le pays, ensuite
les Etats-Unis l’ont occupé de 1915 à 1934 en ravivant un système
prédateur dont la population rurale fut encore la victime : « se blan
ki déside ». Après la courte embellie de l’après-guerre, malgré les
relations difficiles avec le voisin dominicain, Haïti va subir la main
de fer des Duvalier père et fils de 1957 à 1986. Puis un espoir naît avec l’élection de Jean-Bertrand
Aristide, prêtre inscrit dans la mouvance de la théologie de la
libération, prônant le choix prioritaire des pauvres. Il doit faire
face simultanément à quatre défis : l’Amérique voisine, l’Argent,
l’Armée et les Autorités catholiques hostiles. L’équation est trop
complexe, le problème insurmontable.
Et aujourd'hui, dans la suite de ce terrible séisme, est-il permis, est-il raisonnable, est-il légitime, est-il juste, d'espérer qu'aucune préoccupation stratégique ou impériale n'explique en partie l'empressement et l'importance de l'intervention des USA ? L'arrivée prévue de 10 000 GIs, devant dans un premier temps tenir lieu de police, n'obéit-elle qu'à des impératifs humanitaires ? En tout cas, le "machin" (l'ONU) manifeste encore une fois son inefficacité et son impuissance.
Dans ce cas, un Etat possédant des pouvoirs publics bien organisés est plus réactif et efficace qu’une assemblée qui doit s’entendre sur une date de réunion, sur l’ordre du jour, sur l’ordre des prises de paroles, sur l’objectif de la réunion avant de décider d’éventuelles actions sur le terrain. Nous vivons tous ces contraintes dans nos associations où nous sommes réunis par affinité alors on peut imaginer ce que ça donne entre pays jaloux de leur indépendance et avares de leurs fonds.
Sans diminuer l’élan généreux du peuple étatsunien, il est bien évident que l’Etat fédéral craint, avant tout, de voir débarquer des hordes d’Haïtiens chassés par la destruction de leur milieu de vie. Voyons le verre à moitié plein pour souligner qu’il coûte moins cher d’être solidaire que d’apporter de l’aide a posteriori parce qu’aucun travail n’a été accompli à la base. Reste qu’il est choquant d’apprendre que les Etats-Unis ont pris le contrôle de l’aéroport et empêchent des avions humanitaires d’atterrir.
En d’autres termes, il aurait mieux valu donner à ce pays les moyens de son indépendance plutôt que d’en faire un pays assisté en permanence et à la merci de toutes les catastrophes naturelles nombreuses dans la Caraïbe. Il est bien évident que, si les mêmes puissances font à Haïti ce qu’elles font en Afghanistan, il faudra à nouveau se mobiliser lors du prochain cyclone, tremblement de terre ou raz-de-marée. La construction de villes bien équipées (eau courante, voirie, hôpitaux, écoles, transports, assainissement) est le meilleur rempart contre l’émigration non désirée, la corruption responsable de la misère et de l’exploitation, la guerre civile, le terrorisme. Cela signifie des investissements lourds mais qui assurent la paix à long terme. Ne parlons même pas du bien être des personnes que l’économie libéraliste ne sait pas quantifier.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/09/12/10551703.html
Enfin, je me pose cette question bien naïve : comment se fait-il qu’un séisme de magnitude 7 détruise Haïti et laisse intacte Saint-Domingue qui partage la petite île dont la superficie totale est comparable à un quadrilatère Lyon-Genève-Marseille-Nice. Il y a quelque chose qui m’échappe.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/16/16541551.html