Michel Sabbah : "Le Hamas nous protège"
Tranchant sur le pessimisme ambiant, l’ancien patriarche latin de Jérusalem, 77 ans, veut toujours croire à la cohabitation harmonieuse avec l’islam.
Quelle est la situation des
chrétiens de Palestine ?
Elle est la même que pour tous les Arabes de Palestine. Chrétiens ou
musulmans, nous faisons partie d’un même peuple, d’une même culture,
d’une même histoire. Un peuple qui est en conflit avec un autre peuple.
Un peuple occupé militairement qui n’a pas besoin de compassion, mais de
justice. Dans un contexte politique très tendu, nous essayons de faire
face au même défi. Qu’est-ce qu’être chrétien ? C’est être envoyé à une
société, à un monde que nous n’avons pas choisi parce qu’il nous est
donné. Notre vocation est donc d’être chrétien dans une société arabe et
majoritairement musulmane. C’est une expérience que nous connaissons
bien, nous avons plusieurs siècles d’histoire commune derrière nous.
Pourtant, aujourd’hui, on parle de persécutions antichrétiennes…
Des incidents individuels entre musulmans et chrétiens peuvent parfois
prendre une dimension communautaire. Dans ce cas, il existe des
médiateurs, des familles reconnues pour leur sagesse et leur autorité,
capables de régler les conflits. Mais, je peux en témoigner, en
Palestine, cela n’est jamais allé plus loin. Aucun massacre, aucun
attentat contre les églises, aucune persécution ouvertement
antichrétienne. Même à Gaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas,
souvent présenté comme une organisation terroriste.
Est-ce la même chose en Irak ?
Non, là-bas les chrétiens sont victimes de la violence et sont tués
parce qu’ils sont chrétiens. Mais il s’agit de motivations politiques,
non religieuses. Les extrémistes espèrent ainsi déstabiliser le pays.
Beaucoup de sunnites ou de chiites sont tués pour les mêmes raisons. Il
ne sert à rien d’accuser l’islam de tous les maux. Travailler à la paix
et à la justice, en Irak comme ailleurs, est le meilleur moyen d’éviter
un exode massif des chrétiens d’Orient. Un problème politique doit
trouver une solution politique.
Que répondez-vous à ceux qui défendent l’idée d’un choc des
civilisations ?
Il y a un choc, mais il n’est ni religieux, ni culturel. Il est
politique. L’Occident traite l’Orient, et ceux qui y habitent, qu’ils
soient chrétiens ou musulmans, comme des mineurs. Tant qu’il y aura ce
rapport de dominant à dominé, on ne sortira pas de la spirale de la
violence. Les racines du terrorisme mondial sont là. L’Orient n’est pas
libre de son destin, il est soumis à la domination occidentale. Le
problème, ce n’est pas l’islam, c’est la confrontation entre l’Orient et
l’Occident. Le colonialisme historique a cédé la place à un autre
colonialisme, plus larvé, mais non moins réel.
Vous n’avez donc pas peur de l’expansion de l’islam ?
C’est un fantasme alimenté par ceux qui ne comprennent pas l’Orient, en
général, et l’islam, en particulier. Tant que les Palestiniens se
sentiront opprimés, tous les musulmans du monde se sentiront solidaires
avec eux et pourront causer des perturbations à l’intérieur des sociétés
où ils vivent. Il faut mettre fin à ce rapport du fort au faible entre
l’Occident et le monde musulman et mener des actions d’éducation à la
citoyenneté, au respect de l’autre. Développons une culture de
coexistence active, apprenons à nous connaître, à vivre et à agir
ensemble.
Il faut pourtant lire entre les lignes. Michel Sabah a tout intérêt à ménager le Hamas et, de toute façon, il ne sert à rien de jeter de l’huile sur le feu qui ne demande qu’à repartir. Il faut rappeler que le Hamas fait régner la terreur en obligeant les commerçants arabes de la vieille ville de Jérusalem à fermer boutique de nombreux jours dans l’année. Le résultat est une ville morte, angoissante et les revenus des commerçants (marchands de souvenirs et simples cafetiers) deviennent extrêmement modestes. Les commerces qui ferment sont aussitôt repris par les Israéliens.
En Palestine, les chrétiens (plusieurs Eglises sont présentes et la plus importante est la communauté grecque orthodoxe) se trouvent entre le marteau et l’enclume depuis l’indépendance d’Israël. Les Israéliens les considèrent comme des Arabes et ne les aiment pas beaucoup (les ultrareligieux les méprisent). Quant aux autres Arabes, ils ne comprennent pas que des Arabes ne soient pas musulmans.
En occident et, singulièrement en France, on croit que les chrétiens sont les descendants des colons et, par conséquent, s’ils sont persécutés, c’est bien fait pour eux : ils n’ont qu’à rentrer dans leurs pays. On oublie juste que, forcément, les chrétiens étaient avant les musulmans : invasions arabes du 7ième siècle, invasion turque du 9ième siècle. Un accord signé entre François 1er et Soliman le Magnifique fait de la France la protectrice des chrétiens d’Orient dans l’empire Ottoman. Cet accord est toujours en vigueur même si peu le savent.
On doit aux chrétiens arabes (notamment les maronites) le maintien de la langue arabe écrite quand celle-ci n’existait plus que sous forme de dialectes régionaux en traduisant et en écrivant la bible en arabe.
L’attitude du Hamas envers les chrétiens est caractéristique de la Palestine et de la grande maturité de son peuple et de ses élites. C’est un des rares territoires arabes de tradition démocratique. C’est d’autant plus déplorable de les savoir opprimés alors que leur exemple pourrait inspirer l’ensemble du Moyen-Orient.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Portail:Chr%C3%A9tiens_d%27Orient
http://www.critiques-libres.com/i.php/vcrit/5768
http://www.orthodoxie.com/2005/11/recension_jeanp.html