Le 30 Mai 2011 s’est déroulée aux Bernardins une table ronde réunissant 3 universitaires :
- Bernard Cottret, auteur d’un livre récent : « Le jeune Marx, entre romantisme et révolution ».
- Philippe Herzog, membre du Parti Communiste jusqu’en 1996 et devenu depuis président fondateur de « Confrontations Europe ».
- Antoine Casanova, membre du Parti Communiste et dirigeant actuel de la revue «La Pensée ».

Le débat était modéré par Jacques Ducamp, professeur de philosophie au Collège des Bernardins, et directeur de son Institut supérieur de sciences religieuses (ISSR).
Le thème du débat portait l’intitulé : « Le jeune Marx, l’Europe et la religion ».

Le temps des idéologies fermées semble révolu. Fini le marxisme dogmatique, fini l’antimarxisme primaire. Il est temps de faire la part des choses, de reconnaître nos héritages culturels et leurs histoires.

K. Marx fut par ses lieux d’habitation comme par sa pensée un « Européen en acte ».

Originaire d’Allemagne, ayant vécu en France et terminant sa vie en Angleterre, il chercha dans ses œuvres de jeunesse à réaliser dialectiquement une synthèse de la philosophie allemande, de la politique française avec sa reprise réflexive et enfin de l’analyse économique anglaise.
Sa pensée se voulait résolument « praxis » et matérialiste, reléguant la religion au niveau idéologique. Toutefois, comme Nietzsche le montrera dans son aphorisme sur la mort de Dieu, les incroyants comme les croyants ne chercheront pas à comprendre les enjeux de ce tournant culturel.

Oui, décidément, le temps du dialogue est bienvenu aujourd’hui !

Karl Marx, jeune.

 

Que retenir d’un échange de 2 heures (qui aurait pu se prolonger longtemps encore…) ?
Gardons une idée-phare de chacun des intervenants.

- Bernard Cottret a insisté sur le fait que d’un point de vue historique et par souci de probité intellectuelle, il convient de retrouver le jeune Marx dans sa singularité, enthousiaste, travailleur infatigable, lecteur assidu, et polyglotte distingué.
La conclusion de son livre est significative :

Il faut sortir Marx de la rhétorique incantatoire pour lui rendre la place qui lui revient parmi les observateurs les plus lucides de son temps. Et rappeler une œuvre tout entière vouée comme il l’écrivait dans sa jeunesse « à l’humanité souffrante qui pense et à l’humanité pensante qui souffre ».

- Philippe Herzog, de son côté, a développé la fine analyse économique de Marx, qui aujourd’hui encore peut nous aider à envisager des rapports dialectiques heureux entre « productivité » et « humanité » dans une période de construction de l’Europe et ce, dans un contexte de mondialisation.
Il a rappelé également que les mutations nécessaires sont le fait à la fois de changements de structures (que l’analyse marxiste repère) et d’une prise de responsabilité individuelle (notion fondamentale pour une conscience chrétienne).

- Antoine Casanova, enfin, lui, a prôné un nécessaire retour à la contextualisation des écrits de Marx, y compris ceux sur la religion.
Il ne faut pas oublier que l’athéisme allemand est né dans un cadre théologique aussi bien par l’herméneutique de Feuerbach qui prétend avoir percé le secret du christianisme que par la recherche de Strauss qui veut trouver le Jésus historique distinct du Christ de la foi.
Il reconnaîtra encore que, depuis le 19ème siècle, des chrétiens voulant vivre intégralement leur foi et constatant les situations concrètes s’engageront dans des luttes pour la justice.

 

Les 3 intervenants, chacun à leur manière ont montré que Marx, par ses analyses, en repérant les contradictions inhérentes au libéralisme capitaliste de son temps, était « un penseur des possibles » .

Peut-être qu’un auteur du 20ème comme Ernst Bloch permettrait de réaliser une synthèse de tous les propos tenus, lui, qui, éprouvant l’exigence marxiste de la transformation du monde proposait « une ontologie du non-encore-être » et demandait aux hommes de bonne volonté de se laisser guider par « le principe espérance ».

Jacques Ducamp, animateur de la table-ronde.