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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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13 septembre 2011

Égalité ou équité ?

À force d’être attaqués jour après jour avec les plus basses méthodes de la propagande politique, les mots État, régulation, protection, assistance, égalité ont fini par être frappés d’indignité.

Qui a prêté attention à ce détail ? Début 2010, la péniche amarrée dans le XVe arrondissement de Paris sur laquelle la droite établit son siège de campagne à l’occasion des élections régionales en Île-de-France était baptisée L’Équité.

Une façon discrète mais néanmoins ferme de révoquer le mot Égalité, avec l’espoir qu’il devienne un terme décoratif à l’usage des inscriptions et des médailles. Comme si la valeur active, la valeur vivante, la valeur objective, ce n’était plus l’Égalité, cet idéal proposant à tout Un de se voir soi-même dans l’Autre en harmonisant les conditions de vie, mais l’Équité, cette sagesse de boutiquier. À savoir la remise à chacun d’une part du butin correspondant à sa force et à ses mérites sans arasement des fortunes par une redistribution permettant aux membres d’une même société politique de vivre dans un monde qui leur paraisse commun.

À travers ce choix des mots, la droite révolutionnaire poursuit une bataille lexicale dont le modèle lui est venu des États-Unis lors du déclenchement de la Grande Guerre idéologique néolibérale dans les universités américai­nes par les prix Nobel Milton Friedman et George Stigler et qu’elle a tardivement provoqué sur le sol national – un triple héritage gaulliste, chrétien et social-syndicaliste ayant retardé le déclenchement des opérations.

LA GUERRE DES MOTS

C’est à force d’être attaqués jour après jour avec les plus basses méthodes de la propagande politique que les mots État, régulation, protection, assistance, égalité ont fini par être frappés d’indignité. Et par les mêmes méthodes, employées à rebours, que les mots risque, marché, utilité, concurrence, rationalité sont désormais auréolés de tous les prestiges.

La manœuvre est toujours la même. Il s’agit de discréditer et de substituer. Dans son Saint Paul ou l’invention de l’universalisme (PUF, 120 p., 12 € ) – une lecture vivement recommandée – Alain Badiou évoque une oblitération par recouvrement nominal. « Le monde contemporain est ainsi doublement hostile aux processus de vérité. Le symptôme de cette hostilité se fait par des recouvrements nominaux : là où devrait se tenir le nom d’une procédure de vérité, vient un autre nom, qui le refoule. »

Dans le cas du mot Égalité, l’attaque a pris l’allure d’un tir croisé et l’oblitération par recouvrement nominal a été double. En plus du mot Équité – né de la rêverie libérale de l’« à chacun son mérite » –, le mot Diversité – né de la rêverie libertaire de l’« à chacun son genre » – lui est de plus en plus fréquemment substitué. Et à gauche cette fois-ci, où l’on accepte souvent que périsse l’Égalité pour que la Diversité triomphe.

Les socialistes parisiens n’avaient pas établi leur siège de campagne sur une péniche lors des élections régionales de 2010. C’est regrettable. L’Équité étant amarrée sur la Rive gauche, ils auraient pu occuper une péniche baptisée la Diversité et l’amarrer sur la Rive droite. On aurait mesuré à quel point le brouillage doctrinal était avancé.

L'ÂNE DE BURIDAN

Depuis quarante ans, dans tous les pays occidentaux, la révolution néolibérale s’est appuyée sur une guerre des idées et une bataille des mots d’une violence effroyable.

Allumez votre télévision, tournez le bouton de votre poste de radio, ouvrez le journal du matin. Les discours des experts, les admonestations des hommes politi­ques, les menaces des autorités financières internationales tendent partout à assurer le consentement de la classe moyenne à l’inégalité – en lui laissant croire que ce sont les pauvres qui allaient décrocher et partir à la dérive.

C’est ainsi que le citoyen des dé­mocraties occidentales ressemble à une biche traquée par les chasseurs. Il comprend que la croissance des inégalités dans la satisfaction des besoins de base – se loger, se nourrir, se soigner, vivre dans la paix civile et nourrir ses enfants –, empêche la société d’être décente.

Mais il s’est en même temps laissé persuader que l’éclatement de l’échelle des revenus et l’augmentation des écarts de richesse étaient la conséquence du fonctionnement juste du marché. Il est partagé entre la société décente et le marché libre comme l’âne de Buridan entre son seau d’eau et son seau d’avoine.

D’où cette délégitimation de l’impôt au cœur de tous les débats actuels dans l’Occident marchand. Sous les coups de boutoir d’une propagande libérale dont les Républicains américains ont imposé le modèle, l’impôt est désormais assimilé à un vol – comme si l’impôt n’avait pas une fonction sociale, celle de rétablir un minimum d’égalité entre les citoyens sans lequel il n’est pas de société politique ainsi que l’expliquait déjà Aristote dans son Éthique à Nicomaque. Comme quoi cette idée n’a rien de bolchevique et comme quoi elle ne date pas d’hier.

Sébastien Lapaque


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