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21 février 2012

Solidarité avec le peuple grec: l'avis de Jacques Nikonoff

JE SUIS SOLIDAIRE DU PEUPLE GREC, MAIS JE NE SIGNERAI PAS LA PÉTITION DE L’HUMANITÉ !
[cf sous l'article de J. Nikonoff, le texte de cette pétition]

Jacques Nikonoff est porte-parole du M’PEP et ancien président d’Attac. Derniers ouvrages publiés :

  • « Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire » (Mille et une nuits, 2011).
  • « La confrontation. Argumentaire anti-FN » (Le Temps des Cerises, 2012).

Le massacre social et démocratique qui frappe la Grèce, provoqué par les oligarques de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI), mais aussi par les dirigeants des pays concernés, suscite, à juste titre, une vague de réprobation en France. Les appels à la « solidarité » avec le peuple grec se multiplient. Il faut encore les amplifier. Et se demander comment faire pour qu’ils soient vraiment efficaces. Tel n’est pas le cas de la pétition intitulée « Solidarité avec la résistance grecque » lancée par le journal L’Humanité du 13 février 2012. Face à l’exacerbation de la crise de l’euro, et à l’intensité maximale et dramatique qu’elle connaît en Grèce, une grande partie de la gauche française et européenne est tout simplement perdue.

Une gauche déboussolée

La gauche, face à cette situation, tente à juste titre de réagir et d’exprimer sa solidarité avec le peuple grec. Mais ses initiatives et ses analyses sonnent creux, car elle reste engluée dans le mythe européen et s’avère incapable d’offrir la moindre perspective unificatrice aux mobilisations à l’échelle européenne.

Le symbole le plus visible de cette dérive est la pétition lancée par le journal L’Humanité du 13 février 2012, intitulée « Solidarité avec la résistance grecque ».

  • Premier problème : il est écrit « Il faut un véritable plan de solidarité avec la Grèce. C’est aussi la seule voie du salut pour l’euro et les partenaires européens d’Athènes ».

Mais non ! Ce dont ont besoin les Grecs, c’est l’annulation de leur dette ! Comme les Espagnols, les Portugais… et les Français ! L’Humanité n’évoque même pas la revendication principale qui devrait unifier les mouvements sociaux européens : l’exigence de l’annulation de la dette. En outre, L’Humanité veut le « salut » de l’euro ! C’est le monde à l’envers ! Combien de fois faudra-t-il répéter que l’euro est le vecteur de la libéralisation des marchés financiers, au service d’une politique monétaire faite pour eux, et qu’il a été conçu dans ce seul objectif. Il faut démanteler l’euro au plus vite et permettre aux différents pays concernés de recouvrer leur souveraineté monétaire tout en recherchant les moyens de mettre en place une monnaie commune et non plus unique. Pourquoi ce changement d’orientation de L’Humanité par rapport au rôle éminent joué par le journal en 1992 lors de la bataille contre le traité de Maastricht ?

  • Deuxième problème : il est écrit « La Banque centrale européenne (BCE) doit aider à relancer la croissance et l’emploi en Grèce et partout ailleurs, en finançant – au taux auquel elle prête aux banques, c’est-à-dire 1%, voire moins – les États et leurs services publics, en leur permettant ainsi de sortir de leurs dépendances des marchés financiers et de leurs taux d’intérêts usuraires ».

Mais non ! Si, un jour, la BCE prêtait directement aux États, ce serait un moindre mal. Mais ce jour n’arrivera pas, c’est rigoureusement impossible ! C’est faire preuve d’une profonde méconnaissance de la réalité politique européenne – et surtout allemande - et des mécanismes monétaires de la BCE pour imaginer une telle possibilité.

Rappelons, encore une fois, ce qui devrait apparaître comme des évidences à des hommes et femmes de gauche :

  • La politique monétaire est le principal instrument au service de la politique macroéconomique décidée par un gouvernement. Elle permet d’ajuster le taux de change vis-à-vis des autres monnaies ; de fixer le prix de l’argent par ses taux d’intérêts aux banques ; de jouer un rôle de préteur « en dernier ressort » stabilisant ainsi le système bancaire ; d’accorder des avances et des prêts au Trésor avec ou sans intérêt… Dans les mains d’une gauche transformatrice, l’utilisation de cet instrument fera des ravages dans le capitalisme, en particulier pour financer la mutation écologique du mode de production et pour démanteler les marchés financiers. C’est pourquoi les classes dirigeantes ont ôté la politique monétaire du champ politique en rendant les Banques centrales « indépendantes ». Elles ne sont pas disposées à lâcher cet aspect essentiel de leur système de domination. Dans le cadre du rapport des forces actuel au sein de l’Union européenne, une modification de la politique monétaire de la BCE n’a tout simplement aucun sens. Il faudrait qu’une grande majorité des États-membres soient à gauche, et d’une gauche libérée du mythe européen. Nous en sommes loin. À moins que L’Humanité croie qu’il soit possible de concevoir une politique monétaire commune entre pays de gauche et pays de droite ?
  • Pour changer de politique monétaire, il faut l’accord unanime des 27 pays composant l’Union européenne pour modifier le traité de Lisbonne. Cela n’arrivera pas à court terme. Or, les luttes sociales, si elles ont besoin de perspectives s’inscrivant dans la durée, ont aussi besoin de solutions immédiates. Revendiquer que la BCE prête aux États n’est pas une revendication immédiate. Les revendications dont la satisfaction est conditionnée par l’accord d’autres pays sont des impasses dans lesquelles les travailleurs sont entraînés.
  • Troisième problème : il est écrit « La construction européenne ne survivra pas à cette fuite en avant ».

Incroyable ! L’Humanité, après avoir pris la défense de l’euro, prend maintenant la défense de la « construction » européenne ! Faut-il encore rappeler que la « construction » dont il est question est celle du capitalisme européen ? Que cette « union » est celle des classes dirigeantes européennes et non celle des peuples ? Et que le meilleur moyen de faire preuve de solidarité est de s’engager vers son démantèlement ? Il n’est pas possible de modifier l’Union européenne de l’intérieur, c’est comme si on voulait changer l’OTAN de l’intérieur. Pour unir les peuples, il faut détruire le système de domination et d’aliénation qui les emprisonne, et bâtir une véritable union des peuples et des nations, débarrassée de l’eurolibéralisme.

  • Quatrième problème : il est écrit « Le Fonds européen de stabilité financière mis en place par l’UE doit être transformé en un fonds européen de développement social et écologique et dévoué à cette optique ».

Mais non ! Autant demander aux capitalistes de cesser d’être capitalistes ! Il n’existe aucun rapport de force, à l’échelle européenne, pour imposer une telle mesure qui fait office de vœux pieux. C’est décourager les travailleurs que de leur faire croire qu’une telle perspective est possible. Imaginons ce que donnerait la même revendication, mais transposée aux trois autres piliers de l’ordre néolibéral mondial. Ainsi nous pourrions demander au FMI de ne plus être le FMI et de supprimer les paradis fiscaux, d’interdire la spéculation, etc. Pendant que nous y sommes, nous demanderions à l’OMC de mettre un terme au libre-échange. Et à l’OTAN de se dissoudre…

  • Cinquième problème : il est écrit « la recapitalisation des banques ou leur nationalisation ».

Mais non ! Recapitaliser des banques ou les nationaliser, ce n’est pas pareil ! Faut-il en conclure que L’Humanité n’est pas favorable à la nationalisation de TOUTES les banques, même après le désastre auquel elles nous ont conduits ?

  • Sixième problème : il est écrit que cette recapitalisation des banques ou leur nationalisation « doit être conditionnée à une politique sélective du crédit ».

Ces objectifs sont minuscules, incapables de provoquer une rupture décisive dans le système capitaliste ! Bien sûr, la sélectivité du crédit est une très bonne chose. Mais à elle seule cela ne suffit pas. Il faut aussi :

  • L’encadrement du crédit.
  • Le contrôle des changes et des mouvements de capitaux.
  • La fermeture définitive du marché obligataire.
  • L’obligation faite aux banques et compagnies d’assurance d’acheter des titres d’État.

Cette pétition provoque un immense sentiment de tristesse. Elle ne propose aucune perspective unificatrice des revendications et des luttes à l’échelle européenne. Elle ne propose rien, sinon des mots d’ordre creux et défensifs comme « résister ». Elle traduit l’état de délabrement idéologique d’une grande partie de la gauche, son impuissance, ses contorsions pathétiques pour donner l’impression qu’elle fait quelque chose.

La vraie solidarité avec le peuple Grec devrait montrer une voie commune pour tous les peuples européens : abattre l’ordre eurolibéral, avancer vers le démantèlement de l’Union européenne, dans l’immédiat annuler les dettes, sortir, partout, de l’euro et de l’Union européenne pour relancer l’emploi, l’activité économique, la protection sociale… Et ceci ne peut s’envisager qu’à l’échelle nationale !

C’est Aleka Papariga, secrétaire générale du Parti communiste grec qui a raison : « Le détachement de la Grèce de l’Union européenne et l’annulation unilatérale de la dette. Voilà la solution, tout le reste est un drame pour les travailleurs ».

Jacques Nikonoff


 

Article source: http://www.m-pep.org/spip.php?article2516

 


Le texte de la pétition de l'Humanité:

 

Solidarité avec la résistance grecque

 

Le Peuple grec est en situation de légitime défense. On tente de lui imposer des politiques d'austérité insupportables. Les plans successifs échafaudés à Bruxelles ou par le conseil européen et présentés à intervalles de plus en plus réguliers comme le seul moyen de le « sauver » du surendettement et de « sauver » l'euro, sont à chaque fois en échec. En se soumettant toujours davantage au diktat des marchés financiers on ne traite pas le malade. On le tue. Poursuivre dans cette voie est aussi insensé que dangereux. L'austérité, fait mal aux peuples européens, elle frappe aussi l'Europe de plein fouet. Il faut un véritable plan de solidarité avec la Grèce. C'est aussi la seule voie du salut pour l'euro et les partenaires européens d'Athènes. La Banque Centrale Européenne (BCE) doit aider à relancer la croissance et l'emploi en Grèce et partout ailleurs, en finançant - au taux auquel elle prête aux banques à 1% voire moins -, les Etats et leurs services publics, en leur permettant ainsi de sortir de leurs dépendances des marchés financiers et de leurs taux d'intérêt usuraires. Partout aujourd'hui la croissance décline. Une nouvelle récession menace la zone euro. La démocratie est piétinée. Des gouvernements non élus, comme celui d'Athènes, sont désignés, des aréopages bureaucratiques dictent leur loi aux assemblées élues. Des décisions autoritaires sont prises pour forcer les résistances populaires contre l'écrasement des salaires et des protections sociales. La construction européenne ne survivra pas à cette fuite en avant. Les peuples en lutte contre l'austérité ont raison. Ils ont besoin de toute notre solidarité. Nous appuyons l'idée avancée par des économistes, des acteurs du mouvement social et des forces de gauche pour que, par le rachat de titres de dette publique à l'émission, la BCE finance directement les Etats et leurs services publics. Ce serait là le seul moyen de casser les ressorts de la spéculation contre les dettes publiques. Les différents partenaires de la zone euro doivent pouvoir user du pouvoir de la BCE de créer de l'argent pour financer les immenses besoins de notre temps (sociaux, écologiques, énergétiques, sanitaires etc) et répondre enfin présent à la nécessaire solidarité européenne. Elles ne sont pas inflationnistes puisqu'elles impulsent une productivité supérieure et écologique et des créations de richesses nouvelles dans toute la zone euro. Le Fonds Européen de Stabilité Financière mis en place par l'UE doit être transformé en un fonds européen de développement social et écologique et dévoué à cette optique. Et la recapitalisation des banques ou leur nationalisation doit être conditionnée à une autre politique du crédit au service de ces objectifs. L'Europe est à un tournant. Elle ne peut sortir de la crise que si elle s'émancipe de la dictature des marchés financiers et se rend capable d'une promotion sociale, démocratique et écologique partagée.


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