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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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23 avril 2012

Il y a aujourd'hui 396 ans, la mort de Cervantès

cervants   Ce blogue qui vogue sous la bannière de Don Quichotte ne pouvait pas oublier cet anniversaire:

  23 avril 1616, mort du père de l'immortel héros


 Naissance des fauves et du règne de l'or. Les grands témoins : Shakespeare, Cervantès.

 -- Nul, mieux que Shakespeare, n'a compris et décrit les mécanismes de désintégration de notre monde   [...] ;

 -- Nul, mieux que Cervantès, n'a désigné la seule voie pour déjouer la mort.


1605. Le Roi Lear révèle la décomposition d'un monde " où les fous mènent les aveugles ".

" Le grand monde s'usera ainsi jusqu'au néant. "Le Roi Lear n'est que "morceau de ruine ". Il pose la question cruciale : "Qui pourra me dire qui je suis? ".

" Je sais qui je suis ", répond Don Quichotte en cette même année 1605. Il est, lui aussi, au fond du malheur. Mais habité par Dieu. Avec un but, un sens. Il sait que le monde du troupeau n'est pas le vrai.

Le monde de Cervantès et de Shakespeare est notre monde ; ils en ont vécu la naissance ; nous en vivons l'agonie.

Ce qu'on appelle la Renaissance, c'est le rejet de toute valeur absolue, et son corollaire : un individualisme de jungle.

La Renaissance, naissance des fauves.

Ce qu'il est convenu d'appeler la réalité est songe et mensonge. Nous dirions: aliénation de l'homme.

Shakespeare et Cervantès ont crié les premiers : "le roi est nu !" Votre réel est un faux réel : il n'a pas de sens parce que vous n'avez pas de but !

L'argent fait de toutes les valeurs des valeurs marchandes : " Tu vaux autant que tu possèdes, et possèdes autant que tu vaux " (II, 20, p. 669 et II, 43, p. 831). " Les richesses sont capables de combler bien des trous " (II, 19, p. 655) (Don Quichotte).

Cervantès dénonce ainsi la subversion morale découlant du triomphe du capitalisme à la Renaissance avec la même lucidité et la même violence que Shakespeare montrant " le cuistre savant prosterné devant l'imbécile cousu d'or ".

" Que vois-je là ? De l'or, ce jaune, brillant et précieux métal ! Ce peu d'or suffirait à rendre blanc, le noir ; beau, le laid ; juste, l'injuste ; noble, l'infâme, jeune, le vieux ; vaillant, le lâche. Ceci écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs ; ceci arrachera l'oreiller du chevet des malades. Ce jaune argent tramera et rompra les voeux, bénira le maudit, fera adorer la lèpre livide, placera les voleurs, en leur accordant titre, hommage et louanges, sur le banc des sénateurs ; c'est ceci qui décide la veuve éplorée à se remarier. Celle qu'un hôpital d'ulcérés hideux vomirait avec dégoût, ceci l'embaume, la parfume, et lui fait un nouvel avril... Allons ! poussière maudite, prostituée à tout le genre humain, qui mets la discorde dans la foule des nations, je veux te rendre ta place dans la nature. "

Karl Marx, citant ce texte de Shakespeare, y voyait une première prise de conscience de l'aliénation de l'homme par ce qu'il appellera, dans le Capital, le " fétichisme de la marchandise ".

Dans la critique, par Cervantès, de ce qui est l'essence du capitalisme naissant, se trouve la clé du thème des enchanteurs. La mission de Don Quichotte est de désenchanter le monde enchanté. Dans un autre langage l'on dirait : désaliéner le monde aliéné.

Ce qu'il croyait épopée mystique, lui apparaît réalité sordide du colonialisme. Dans le Jaloux d'Estrémadure il appelle les Indes "le refuge et l'abri des désespérés de l'Espagne, Eglise des déchus, sauf-conduit pour les criminels... déception pour beaucoup et remède pour quelques-uns " (Pléiade p. 1301).

Le même Cervantès est finalement broyé : ancien combattant de Lépante, devenu, à Séville, bureaucrate obscur dans les chantiers où l'on équipait L'Invincible Armada , il est désormais l'un de ces désespérés de l'Espagne et adresse une demande d'emploi à Philippe II. "Je supplie humblement Votre Majesté... de m'accorder la grâce d'un poste vacant aux Indes... celui de comptable dans la Nouvelle Grenade, ou dans la province de Soconusco au Guatemala, ou dans les galères de Carthagène (Pérou), ou dans l'administration de la Paz... "

La déception tragique de Cervantès, à son " tournant des rêves", s'exprime à travers Don Quichotte: dans son discours sur les armes et les lettres , il dit sa tristesse " d'avoir exercé cette profession de chevalier errant à une époque aussi détestable que celle où nous vivons aujourd'hui " (I, 37-38,).

La critique de son siècle est aussi implacable que celle de Shakespeare.

Hanté par le souci de dominer la nature par la science et la technique, l'homme devient chose parmi les choses : " tout ce monde est composé d'artifices et de machines " (II, 30, p. 738). Surtout de machines à broyer : les moulins en sont la parabole. Comme la chaîne dans cette autre allégorie: Les Temps modernes de Chaplin.

De cette mécanisation du monde et de cet écrasement de l'homme, dépouillé de sa dimension divine, Don Quichotte dégage la source : le pouvoir absolu de l'argent devenu maître des hommes et de leur société à la place de Dieu. " Le meilleur fondement du monde est l'argent " (II, 20, p. 66). " L'intérêt peut tout " (II. 20, p. 667).

L'afflux d'or des Amériques a submergé l'Espagne.

L'argent devient le moteur de toutes les actions. Il confère le pouvoir et le corrompt : "Il n'y a office si honorable qui ne s'acquière avec quelques pots de vin " (II, 61, p. 811).

La corruption des dirigeants est générale : " ramasser des pistoles... tous les gouverneurs nouveaux y vont avec le même désir " (II, 36, p. 79...).

Les grands seigneurs, propriétaires terriens fainéants, vivent du travail des autres (I, 50, p. 492).

Tel est ce monde redevenu animal dans les jungles du capital, de ce système fondé sur l'argent et l'intérêt personnel, né à la Renaissance.

Don Quichotte maudit cet esprit nouveau qui pénètre même en l'honnête Sancho Pança ; " ton attachement à ton intérêt particulier... ô homme qui tiens plus de la bête que de l'homme " (II, 28, p. 732).

Telle fut la naissance de notre monde.

Shakespeare et Cervantès ont vécu le début de la partie, quand se fixaient les règles du jeu.

Aujourd'hui, avec Beckett et l'absurde, en attendant Godot ", se joue La fin de partie

Roger Garaudy, L'avenir mode d'emploi, p. 246 à 250, Editions Vent du large

quixote
Photo sur: http://www.site-magister.com/prepas/quichotte.htm

Don Quichotte, Garaudy et Daumier
: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2010/08/don-quichotte-garaudy-et-daumier.html

Illustrations du Don Quichotte par Doré: http://donquijotedelamancha.free.fr/dorepdf.pdf


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