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19 juin 2012

Un consensus aussi mensonger que meurtrier

APAISEMENT

par ALAIN ACCARDO

 

1 - Après quelques vigoureux coups de menton de son candidat – campagne électorale oblige – pour faire croire qu’il était fermement décidé à combattre les inégalités et le pouvoir de l’argent, le parti socialiste a rapidement retrouvé son style habituel, celui qu’incarne si bien dans toute sa personne François Hollande et dont le qualificatif le moins désobligeant pourrait être : lénifiant. A peine élu, ce parfait représentant de l’inconsistance politique, a entonné à nouveau l’antienne chère à tous les partisans de la collaboration de classes, sur le thème iréniste du « nécessaire apaisement » dont les Français auraient, paraît-il, besoin. Et tous les candidats socialistes de bramer à sa suite que « les Français ont besoin d’être rassemblés ».

Quiconque a tant soit peu d’expérience de la vie politique sait que la notion même de « rassemblement » est généralement de droite et qu’elle est pratiquement toujours utilisée, assortie d’une invocation à « l’unité républicaine », pour regrouper le peuple derrière la bourgeoisie dominante (sauf, et encore, dans les périodes de résistance à l’agression étrangère). Cela peut se vérifier dans l’histoire de nos cinq Républiques. L’appel à l’unité républicaine (« la République est notre mère à tous ») étant lui-même une version laïque de l’exhortation chrétienne à la fraternité universelle (« Nous sommes tous les enfants du Seigneur »), on saisit mieux pourquoi, la bénédiction tacite de l’Eglise aidant, il est si important aux yeux de tous les gouvernements bourgeois, y compris « socialistes » dont c’est la raison d’être, de réunir le pays sous leur bannière, c’est-à-dire de soumettre l’immense majorité des classes populaires et des classes moyennes à la politique des classes dirigeantes et possédantes. En pratique, « l’unité républicaine », c’est celle du carrosse et de l’attelage, c’est la mise en sourdine des revendications des salariés, la domestication des organisations syndicales, la culpabilisation des oppositions, l’obéissance aux lois du marché, la mobilisation pour le seul « intérêt général » qui vaille, celui des banques et des grandes entreprises, bref, « l’unité républicaine », c’est l’antidote à la lutte des classes, qui est l’unique danger de nature à inquiéter vraiment les riches et les maîtres

Eh bien sachez, Mesdames et Messieurs les Rassembleurs de la République, que pour ma part – et nous sommes quelques-uns de même farine – je ne veux être ni rassemblé, ni réuni, ni rapproché si peu que ce soit, et encore moins bien sûr confondu avec la masse d’humanoïdes, gredins et/ou imbéciles qui, pour préserver de dérisoires gratifications présentes ou à venir, s’obstinent à faire le jeu des prédateurs de la féodalité capitaliste et à ne pas reconnaître leur part de responsabilité dans le fonctionnement du système corrompu, perverti et barbare qu’ils osent qualifier de « res publica » alors qu’il est confisqué par toutes les mafias. Je me refuse à donner l’accolade à tous ceux qui se font, délibérément ou par défaut, les suppôts des partis de l’« alternance », les amis et les serviteurs du grand Patronat, de la Banque, du FMI et de la Commission de Bruxelles, les adeptes des paradis fiscaux, les faux écolos du capitalisme Vert, les crypto-fascistes, les cadres de la gestion, de la com, de la pub, du journalisme, et tutti quanti.

Je vous entends ricaner bêtement : « Pauvre vieil atrabilaire, à ce train-là il ne trouvera plus grand monde pour le lire ! » Cela reste à vérifier. Mais se moquer de l’étendue de mes détestations, c’est faire la preuve qu’on n’a pas encore vraiment compris par quels mécanismes multiformes et inattendus un système social, le nôtre par exemple, parvient à réaliser concrètement sa logique objective, c’est-à-dire à faire avaliser ses aberrations et ses ignominies, par la majeure partie d’une population qui, dans le principe, n’est dépourvue ni d’intelligence ni de moralité, mais qu’il transforme bientôt en une troupe de marionnettes hallucinées, avides et dociles.

Alors de grâce, Mesdames et Messieurs les promoteurs d’unité républicaine et autres marchands d’apaisement, laissez-moi le soin de me rassembler moi-même avec ceux qui me ressemblent, et permettez-moi d’exécrer, non pas tous les autres, mais tout ce qui les abîme et les aliène.

 

 

2 - Dans son discours de remerciement pour le prix Nobel de littérature, en 2006, l’écrivain turc Orhan Pamuk résumait en quelques pages admirables les raisons pour lesquelles il avait consacré sa vie à la littérature. Entre autres explications il avançait celle-ci : « J’écris parce que je suis fâché contre vous tous, contre tout le monde. »

Ces paroles surprenantes ne s’adressaient évidemment pas au seul public de la prestigieuse académie suédoise, mais à travers lui à tous ceux qui se font, ingénument ou pas, les promoteurs de la civilisation occidentale, et donc aussi à lui-même.

On sait en effet que ce qui a valu à Orhan Pamuk sa distinction littéraire, c’est d’avoir su exprimer, tout au long de son œuvre, le déchirement – personnellement vécu – de la conscience turque écartelée, surtout dans les populations les plus occidentalisées et laïcisées, entre la fascination amoureuse pour l’Europe occidentale, et le refus de renier son héritage oriental, sa culture traditionnelle.

Il ne s’agit pas là d’un problème qui concernerait uniquement les Turcs les plus épris du modèle occidental. Le même problème, mutatis mutandis, empoisonne les rapports entre les nations occidentales et leurs ex-colonies d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Leur littérature en témoigne aussi. À l’intérieur des nations occidentales elles-mêmes, cette opposition se manifeste sous de multiples formes qui structurent l’ordre établi. C’est que les rapports de sens qui s’instaurent sur le plan symbolique sont indissociablement des rapports de force et que le capital culturel concourt à la domination sociale au même titre que les autres capitaux. La différence qui apparaît dans un savoir-être, un savoir-faire ou un savoir-dire est inévitablement interprétée comme l’indice d’une condition sociale supérieure (ou inférieure). Toute différence socialement perçue a pour effet de glorifier ou d’humilier. Et dans les cercles les plus huppés de la culture occidentale, prétendument si démocratiques, le simple fait de ne pas être un héritier culturel suffit à stigmatiser le « parvenu », le parent pauvre, le cousin de province.

A cet égard, la plainte teintée de ressentiment qu’Orhan Pamuk, fin lettré turc issu de la bourgeoisie d’Istamboul, osait adresser à ceux qui venaient de lui décerner le prix Nobel, rejoignait l’aveu éloquent d’un Pierre Bourdieu, petit-fils de paysans béarnais élu au Collège de France : « Je ne me suis jamais senti un intellectuel de plein droit ». Ce sont là des réactions d’outsiders écorchés vifs, mais ayant saisi, à travers et au-delà de leur expérience personnelle, deux choses essentielles :

d’abord que leur brillante réussite individuelle s’inscrivait dans la logique même d’un système qui ne distingue que pour mieux rejeter, car il ne peut fonctionner que par l’exclusion, la frustration et l’humiliation du plus grand nombre ; un système réservant à « l’élite » et ses élus le coeur de l’empire (le « centre » comme dit Pamuk, le « foyer sacré des valeurs » comme dirait Bourdieu) et reléguant dédaigneusement les autres dans leurs contrées lointaines et leur sentiment d’indignité.

ensuite que la frontière, la ligne de partage entre dominants et dominés, ne passait pas seulement entre métropole et province, entre l’Ecole normale de la rue d’Ulm et le lycée de Pau, ni entre la rive européenne et la rive asiatique du Bosphore, mais plus subtilement à l’intérieur d’eux-mêmes, entre leurs aspirations à s’accomplir dans le système et leur volonté d’en dénoncer les aliénations.

Plus encore, leur trajectoire quasi miraculeuse non seulement ne leur a pas masqué ce qu’elle avait d’à contre-courant, mais elle les a amenés à comprendre, à la différence de la plupart des parvenus, qu’il était de leur devoir de mettre leur notoriété au service de ceux qui sont condamnés à l’invisibilité et à l’autocensure. A la voix de Bourdieu décrivant « La misère du monde » et plaidant pour « une gauche vraiment de gauche », fait écho celle de Pamuk prenant courageusement position à propos de la stratégie occidentale de diabolisation du « terrorisme » : « Rien ne peut davantage justifier le soutien aux « islamistes » que le refus et l’incapacité de l’Occident à comprendre la colère des damnés de la terre » (in D’autres couleurs, Gallimard, 2009, p.361)

Dans une société, qu’elle soit occidentale ou orientale, qui perpétue ses iniquités à la faveur d’un consensus aussi mensonger que meurtrier, on ne peut, à moins d’être un social-démocrate « apaisant », que se fâcher avec beaucoup, beaucoup de monde. Merci à Bourdieu et Pamuk de nous avoir rappelé qu’il n’y a pas lieu de s’en excuser.


Chronique pour La Décroissance (juillet 2012) et pour Agone.le blog
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Commentaires
D
J’abonde sans l’ombre d’un doute dans le sens d’Accardo et de Bothy. Le mal vient souvent du besoin de réussite toujours plus poussée et présentée comme la panacée. Comme si l’aliénation n’était pas suffisamment déshumanisante en elle-même par les mutilations qu’elle impose pour y ajouter une dépossession accrue.<br /> <br /> Nous en souffrons tous, mais de là à voir où le bât blesse, c’est hors de portée. Il faudrait pour saisir tout le ridicule qui fait le tragique de la vie moderne, de nos vies, un idéal alternatif, une rupture avec ce qui façonne notre identité individuelle et collective, ce qui conditionne nos sensibilités et nous concède au final une reconnaissance aussi illusoire que relative.<br /> <br /> Si infime soit –elle, cette reconnaissance, nous justifie en tant qu’individus et donne un sens à notre existence. Celui-là même qui nous définit en tant qu’êtres sociaux et qui se cache derrière nos tourments. C’est là le vrai problème.<br /> <br /> Paul Bothy le dit bien : Pour « l’avoir » nous Lui marchons dessus après L’avoir mis à terre. Dans notre course au bien-être matériel, nous avons perdu l’essentiel. Ce qui est à même de donner à la vie son véritable sens : la spiritualité.<br /> <br /> La spiritualité active non l’hypocrite spiritualité discursive et langagière. Cella dont l’absence rend toutes les réussites sociales illusoires, l’existence ayant été vidée de sa justification première.<br /> <br /> Le problème, n’est pas de manquer de bien de consommation en abondance, on peut être heureux avec si peu. Notre drame, c’est de manquer de sentiments humains, de transcendance.<br /> <br /> C’est là où se situe la véritable pauvreté. C’est ce qui produit l’injustice, la misère… Ce qui pollue les rapports humains et l’écosystème. C’est cette pollution qui provoque les malheurs de notre monde.<br /> <br /> Le poème de Maurice Druon et Joseph Kessel, « Le chant des partisans » offre une voie de sortie, certes. Une voie parmi d’autres. La plus facile, devant le désespoir.<br /> <br /> Je persiste à croire, quant à moi, que la guerre n’est dans l’intérêt de personne. Elle se justifie uniquement face à un colonisateur qui, au lieu d’avoir l’intelligence d’apporter un savoir-faire bénéfique à tous, se borne à liguer contre lui le peuple qu’il détruit par des lois meurtrières.<br /> <br /> Malgré leur coût humain, les guerres ne changent pas le rapport des forces. Sans compter qu’il est immoral de la part des classes parasitaires d’escompter renverser l’ordre des choses, en misant sur la sensibilité de la frange sociale la plus fragile ou la plus idéaliste, pour cueillir pour elles-mêmes, les fruits du sang versé et des larmes.<br /> <br /> Définitivement et sans équivoque, il faut beaucoup de grandeur pour consentir au martyre, mais l’histoire nous apprend à quel point ce sacrifice ultime est vain en l’absence du consensus généralisé sur la continuité des efforts et du don de soi.<br /> <br /> Pour ma part, une résistance pacifique massive sur le long terme est plus appropriée pour un changement durable. En Islam, cela est appelé le grand Djihad. C’est la seule arme efficace que les pauvres peuvent se permettre.<br /> <br /> Et ce non seulement car c’est la seule à laquelle, ils peuvent prétendre, c’est aussi la seule qui en leur conférant une dignité peut ramener à la vie les morts qui les piétinent et les affament, au nom d’une soif de vivre qui leur échappe.<br /> <br /> Dans cette guerre sans nom, qui les humilie et les écrase, les pauvres ne peuvent compter que sur ce qui séparés fait leur faiblesse, et les fortifie unis : leur amour du prochain.<br /> <br /> Merci à Accardo et Bothy de nous avoir ramenés l’un vers la source sociale, l’autre vers le Centre universel du problème. En même temps, sa solution. C’est tout un programme.<br /> <br /> À défaut, une attitude à adopter pour nos extirper du bourbier dans lequel nous sommes enfoncés. Une fois assumée, nous en sommes en retour, largement rétribués : pour avoir appris à faire le tri entre l’essentiel et le superflu, la vie est moins lourde à porter.<br /> <br /> <br /> <br /> Djouher Khater
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P
Pierre BOTHY, <br /> Philosophe socialiste et écologiste chrétien. <br /> 33, aux Trois Bonniers ; B5020 NAMUR (Vedrin)<br /> Mail : Mail : pierre.bothy@base.be pierre.bothy@mobistar.be <br /> Tél. +32-(0)81-21 11 58 GSM : 0496 25 70 37<br /> http://www.philosophie-socialiste-ecologiste-chretienne.be/<br /> Fondateur de la Philosophie de La Vie, de La Vérité, de La Voie et de l’Amour.<br /> <br /> <br /> Commentaires sur Un consensus aussi mensonger que meurtrier<br /> A l'indépendant Indépendants Un consensus aussi mensonger que meurtrier<br /> 19 juin 2012<br /> Un consensus aussi mensonger que meurtrier<br /> <br /> APAISEMENT <br /> par ALAIN ACCARDO<br /> <br /> Pleinement d’accord avec toi, Alain Accardo : je ne suis pas désolé que la Gauche gagne mais comme le VRAI Christianisme, Il devrait être aussi « le Sel de La Vie » mais est tellement affadi qu’Il est « bon à être jeté à la rue et piétiné par les hommes ! »<br /> La droite, c’est la Droite et elle est dans son rôle : Tout détruire !<br /> La Gauche empêtrée dans son « matérialisme dialectique » et ses contradictions est impuissante !<br /> Elle ne parvient pas à sortir de la Logique démoniaque du Capitalisme, qu’elle n’offre plus aucune perspective d’Avenir !<br /> Pour réaliser un grand idéal, il faut être soi-même idéaliste et inculquer aux peuples, cet iédéalisme<br /> Tant que le Règne de Dieu ne sera pas rétablit sur terre, les petites gens souffriront et périront !<br /> Mais pour bien comprendre ma « petite » Philosophie, il faudrait consulter mon site et tous les petits travaux que je suis parvenu à répandre sur le net !<br /> Cordialement,<br /> La très vieux philosophe belge, votre vieux serviteur,<br /> Pierre Ludovic Alexis BOTHY.
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