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1 avril 2013

Les lycées bilingues dans les pays d'Europe centrale et orientale

 

Les lycées bilingues dans les pays d’Europe centrale et orientale

 parLuc Collès - CRIPEDIS

Université catholique de Louvain

Une coopération éducative

La Communauté française de Belgique collabore avec la section bilingue de plusieurs lycées d’Europe centrale et orientale : en Hongrie (à Aszòd et Pàsztò), en République tchèque (à Pisek) et en Slovaquie (à Zilina). Les modalités de la coopération avec ces lycées sont intégrées dans les Accords culturels conclus entre les pays dont ils relèvent et WBI (Wallonie Bruxelles International), organisme gouvernemental chargé de la gestion des Relations internationales de la Communauté française de Belgique (CFB). Les dispositions prises résultent d’une négociation entre WBI le Ministère de l’Éducation des différents pays et la Direction des lycées.

Dans le cadre des objectifs pédagogiques définis par les Autorités locales, la CFB assure le suivi et l’évaluation pédagogique de ses formateurs. Ce suivi et cette évaluation prennent notamment la forme :

-       du conseil permanent d’un superviseur pédagogique désigné par la CFB ;

-       d’une mission annuelle d’experts dans les lycées;

-       de journées de formation continue à Bruxelles durant le mois d’août;

-       de l’analyse critique de deux rapports annuels.

WBI tient le lycée informé de son évaluation des formateurs. Depuis 1995, j’ai assumé cette fonction en collaboration avec Mme Claude INGBERG, responsable pédagogique de tous les lecteurs et professeurs envoyés aussi bien en Espagne, Portugal, Italie (EPI) que dans les Pays d’Europe centrale et orientale (PECO).

Quant aux Autorités des lycées, elles sont responsables du contrôle du comportement général de l’enseignant au sein de l’établissement (ponctualité, tenue, etc.) et tiennent WBI informé de leur évaluation à cet égard.

Sur le plan institutionnel, les sections bilingues sont toujours sous tutelle exclusive des autorités nationales. Les programmes enseignés en français sont fondamentalement nationaux, ce qui ne signifie pas qu’on ne trouve pas la marque belge dans les enseignements en français : des ajouts, des compléments, des modules, des « entrées » différentes sont possibles et même souhaitables en ce qui concerne les contenus, de même qu’il est dans l’ordre de la coopération éducative que la méthodologie et les pratiques pédagogiques belges soient bien repérables.

Dans la logique de ce qui précède, il convient de souligner également que les certifications de fin d’études sont toujours nationales, délivrées par les autorités nationales. Mais admettre cela ne signifie pas que les épreuves rédigées en français ne doivent pas être négociées et porter, là aussi, la marque des pratiques scolaires belges.

Dans ces lycées, plusieurs de ces professeurs qui enseignent en français sont des nationaux. Cette spécificité mérite d’être soulignée dans la mesure où se posent forcément des problèmes de formation : actions de perfectionnement en langue française et actions de perfectionnement en didactique des disciplines non linguistiques.

L’exemple hongrois

Dans l’exposé qui suit, je m’en tiendrai à l’exemple hongrois. Des variations existant d’un pays à l’autre au sein des pays d’Europe centrale et orientale, il est en effet nécessaire que, pour la partie descriptive, l’on sa focalise sur un cas. Mais l’exemple hongrois est suffisamment représentatif pour nous permettre de dégager une problématique générale commune à l’ensemble des lycées bilingues.

Le programme des sections bilingues des lycées a débuté en Hongrie en septembre 1987. Il concernait une quinzaine d’établissements qui avaient été sélectionnés par le Ministère hongrois de l’Éducation et de la Culture après négociation avec ses différents partenaires occidentaux (Grande-Bretagne, France, RFA, Italie, Espagne et Belgique) et avec l’URSS et la RDA. Quatre lycées avaient été retenus pour le russe, trois pour l’anglais, trois pour l’allemand, trois pour le français, un pour l’italien et un pour l’espagnol.

Le projet commun à l’ensemble de ces sections visait à proposer à de jeunes lycéens, volontaires et sélectionnés au niveau national, débutants dans une langue étrangère choisie, un cursus de cinq années au lieu de quatre dans les lycées hongrois. Ce cursus leur permettait, à l’issue d’une première année consacrée quasi exclusivement à l’étude de la langue (vingt heures par semaine, soit sept cents heures annuelles), de suivre durant quatre ans un enseignement de l’ensemble des matières du programme hongrois des lycées (physique, mathématiques, biologie, histoire, géographie) en français, en anglais, en russe, en espagnol ou en italien jusqu’au niveau du baccalauréat.

Pour être reconnue comme section bilingue francophone, la section doit offrir l’enseignement en français de trois disciplines autres que le français. Sont ainsi enseignées en français dans cinq lycées : les mathématiques, l’histoire et la géographie; outre ces disciplines, la physique et la biologie sont également enseignées en français à Budapest, à Aszòd et à Pàsztò.

Les cours de français et en français dans ces sections francophones sont assurés par des équipes de professeurs hongrois, français et belges. Trois professeurs belges enseignent le français et la biologie à Aszòd; un professeur belge enseigne le français à Pàsztò.

La scolarité dans ces sections est donc de cinq ans, dont une première année (longtemps appelée « année zéro »[1]) d’enseignement intensif du français, à raison de vingt séquences de quarante-cinq minutes par semaines et d’une initiation à la langue des disciplines qui seront enseignées en français dès la deuxième année. Un seul lycée, le lycée de Szeged, n’offre pas d’« année zéro » car ce lycée, reconnu en Hongrie pour sa tradition d’excellence, a choisi de limiter son recrutement à des élèves ayant déjà un bon niveau de français. Cette absence d’« année zéro » pose cependant un problème aux élèves qui doivent, dès leur première année de lycée, aborder l’étude de trois disciplines en français. Au cours des quatre années suivantes, l’enseignement du français est assuré à raison de quatre séquences de quarante-cinq minutes par semaine.

Les enjeux en amont

La première année vise d’abord à établir et développer les compétences fondamentales dans le cadre d’un apprentissage intensif. La répartition des heures de français se fait de manière équilibrée entre les professeurs francophones et les collègues autochtones. Le principe veut que – dans la mesure du possible – la moitié des cours en langue française soit dispensée par leurs homologues locaux. Pas question en effet de confier à raison de vingt heures par semaine les mêmes têtes au même professeur ! Cette disposition poursuit deux objectifs : d’une part, essayer d’habituer dès le départ les élèves à des prononciations et à des intonations différentes, d’autant plus que le milieu extérieur leur offre très peu d’occasions de pratiquer ; d’autre part, aider les collègues autochtones à progresser eux-mêmes dans leurs méthodes et leur connaissance de la langue.

La première année inclut aussi la préparation à l’apprentissage des matières en français, et il s’agit donc d’introduire le français dit de spécialité. L’intérêt de ce programme est d’éviter un apprentissage trop lent de ce qui va devenir « la langue de travail » et d’introduire très rapidement l’accès progressif aux disciplines, transformant par là même la langue cible en langue outil. La base méthodologique des classes bilingues est donc bien de faire réutiliser au plus vite par l’élève, dans ce qui est pour lui la situation de communication la plus authentique – c’est-à-dire la classe – les acquis du cours de langue proprement dit.

Ce principe de base présente de gros avantages pour les élèves puisque ceux-ci vont apprendre en un an ce qu’on apprend en quatre ou cinq ans dans les conditions normales. Mais il pose aussi un certain nombre de problèmes pour les enseignants.

Comment passer d’un enseignement extensif, de type classique, à un enseignement intensif de vingt heures hebdomadaires? Qu’implique l’enseignement des mathématiques, des sciences, de l’histoire et de la géographie en français pour les professeurs de ces disciplines ? Comment le professeur de français doit-il repenser l’enseignement du français langue étrangère lorsque celui-ci devient langue seconde ? Autant de questions qui évoluent au fur et à mesure que le cursus bilingue se met en place, de l’année de français intensif au baccalauréat, cinq ans plus tard.

On ne passe pas d’un enseignement classique de quatre, voire six et même huit heures de langue par semaine, à un enseignement bilingue sans une véritable révolution des mentalités : un retour sur sa pratique pédagogique et le système d’évaluation en vigueur; sur la langue, perçue non plus seulement comme objet mais comme outil d’apprentissage, dans sa relations à la culture et aux savoirs scolaires; sur le rôle du professeur de français par rapport aux collègues des autres disciplines, dans ce nouveau cursus où le redoublement n’est pas admis, la gestion des vingt heures de cours, le suivi des réactions des élèves soumis à ce rythme intensif. Tout ceci impose une formation particulière et un travail en équipe dont les professeurs ont rarement l’habitude et pas nécessairement le goût.

Qu’ils viennent en France ou en Belgique pour leur perfec­tionnement linguistique, ou qu’ils soient déjà en poste et continuent à élaborer leurs programmes et matériels pédagogiques, la part de l’autoformation des professeurs est essentielle. Pour l’enseignement bilingue, il n’y a pas de méthode toute prête ni pour les enseignants, ni pour les formateurs : quand on parle de stages, il faut les comprendre comme une recherche partagée, où les professeurs déjà engagés dans le projet – les anciens – deviennent les moniteurs des nouveaux.

« L’année zéro » : conception du cours de français

Les premiers stages, ceux des professeurs de français devant ouvrir les premières classes de français intensif, s’étaient donné pour tâche de définir les  conditions de la réussite en s’attelant à une série de questions :

  •  Comment diversifier les activités dans la semaine de français tout en assurant la cohérence d’enseignements donnés par plusieurs professeurs (un autochtone et un natif) et la systématisation des acquis ?
  • À quel moment et à quelle dose introduire l’initiation au français des autres disciplines ? Comment l’articuler sur une méthode de base tout en lui ménageant sa relative autonomie ?
  • Comment pondérer les activités orales et écrites au cours de l’année et prévoir l’augmentation des heures consacrées à l’écrit et au « français de spécialité », sans avoir à modifier l’emploi du temps des professeurs ?
  • Comment donner à l’évaluation son rôle formatif ? A quel rythme faire les tests ? Comment intégrer des modalités d’évaluation particulières à la classe bilingue dans les contraintes institutionnelles et le système de notation hongrois très particulier (de 1 à 5) auquel les parents sont habitués ?
  • Les classes de trente-six élèves étant divisées en trois groupes de douze pour les vingt heures de français, peut-on prévoir des temps de « tutorat » où deux professeurs prennent en charge un même groupe pour écouter les difficultés de chacun et tenir compte de ses modalités particulières d’apprentissage ? Peut-on prévoir des temps de « renforcement », où au vu des tests, les élèves peuvent être regroupés en fonction des points de langue à revoir, des compétences à renforcer ?
  • En complément de la méthode de base retenue, quels supports utiliser pour les autres activités, compréhension et expression orale, lecture et production écrite, français de spécialité ?

De toutes ces questions, je retiendrai plus particu­lièrement celles qui concernent l’acquisition du français comme langue de travail.

L’année « zéro » :
acquisition d’une langue de travail

L’année « zéro » a pour but de donner à des jeunes de quatorze ans les connaissances et une maîtrise de la langue suffisantes pour pouvoir suivre avec profit les cours de physique, de mathématiques, d’histoire et de géographie en français.

Ce programme implique une analyse des objectifs à atteindre dans chacune de ces matières et la mise en place d’une progression qui tienne compte des connaissances des élèves, des savoir-faire à acquérir dans un ordre de plus en plus complexe, et également de la complémentarité des disciplines.

Que doit faire et savoir faire un élève pendant un cours d’histoire ou de géographie ? Il devra d’abord comprendre et suivre un exposé oral du professeur ; prendre des notes suffisamment claires et riches pour qu’elles puissent lui servir à reconstituer le cours. Au cours suivant, l’élève devra être capable de rendre compte par écrit ou oralement du contenu du cours précédent, soit après l’avoir complété (à l’aide de lectures complémentaires par exemple), soit après avoir relu ses notes appris sa leçon (à l’occasion d’une interrogation ou d’un teste). En outre, l’élève devra pouvoir interpréter et réaliser des cartes, graphiques, histogrammes, images graphiques, courbes ; lire et commenter des tableaux, des statistiques propres à ces matières.

On voit qu’il ne s’agit pas seulement d’apprendre du vocabulaire spécifique, mais de réaliser des tâches avec ce vocabulaire spécifique. Il ne s’agit pas d’enseigner la matière elle-même, mais de mettre en place les savoir-faire permettant d’aborder l’étude de cette matière avec profit.

De même, en mathématiques et en physique, pour pouvoir suivre un cours, l’élève doit être capable de comprendre les termes spécifiques, compter, faire des opérations, décrire des figures géométriques, comprendre des énoncés de problèmes, etc., mais également se représenter les concepts, les notions, les lois au-delà du sens de chaque mot pris isolément, maîtriser une langue précise, suivre un raisonnement, une démonstration et les reproduire oralement ou par écrit.

Dans ces deux dernières matières, les élèves éprouvent les mêmes difficultés que les jeunes Belges, en plus de leurs difficultés propres liées à l’apprentissage de la langue. Il faut donc pouvoir faire la part des choses : certaines difficultés à comprendre ne viennent pas toujours du français et les cours des années suivantes contribueront à développer les compétences dans ces domaines. Donc plutôt que d’enseigner aux élèves des concepts, des notions, des lois en français, les professeurs essayent de leur enseigner à conceptualiser et à formuler des notions en français.

Tout étant à faire, du moins en langue, il faut prévoir une progression permettant d’intégrer tous ces savoir-faire. Étant donné l’ampleur du travail, il semble intéressant d’utiliser l’enseignement dans une matière pour soutenir et développer l’enseignement d’une autre, de mettre  en place une forme d’interdisciplinarité, quand cela est possible, pour créer des convergences en associant les activités liées à l’enseignement de la langue à celles de matières spécialisées. Cela n’est évidemment possible que grâce au travail en équipe.

Ainsi, le cours d’histoire comprendra une introduction historique au Nouveau sans frontières 1 (Clé international) qui est le manuel d’apprentissage de base utilisé en français.[2]

Mise en relation des enseignements
de français et en français

À vrai dire, le problème de la langue des disciplines spécialisées peut être abordé à plusieurs niveaux :

  • Le lexique

La question du « vocabulaire spécifique » ne pose guère de problèmes. Comme dans un cours en langue maternelle, la présentation d’un nouveau terme prend naturellement sa place au moment de l’explication du concept ; son réemploi s’articule logiquement au rôle opératoire qu’il joue dans un domaine. Une attention portée au rythme de présentation des termes nouveaux et au temps d’assimilation des apprenants permet généralement de venir facilement à bout de l’inflation des « mots nouveaux ».

  • Les savoir-faire linguistiques liés à des situations spécifiques de communication

La pratique de la langue seconde dans les disciplines spécialisées génère une certaine fréquence d’activités mentales et d’opérations identifiables : décrire, comparer, mesurer, situer dans le temps et dans l’espace, hiérarchiser, quantifier, généraliser, tirer une conclusion, formuler une objection, etc. ; autant de situations de langue à décrire dans le contexte de chaque disciplines. Les utilisations de documents sont autant de lieux stratégiques à privilégier pour affiner ces savoir-faire.

En biologie, le professeur veillera à ce que les élèves soient capables d’accéder aux sources francophones de documents scientifiques, livres, revues, vidéos, articles de journaux, etc., leur permettant de se renseigner sur des questions de santé, d’agronomie, d’environnement. L’accoutumance au vocabulaire, aux notions scientifiques mais aussi à la phraséologie des articles de vulgarisation sera un objectif fondamental. Dans ce cadre, l’acquisition de la curiosité d’esprit, de l’indépendance de la réflexion se fera par le canal spécifique des moyens d’informations francophones.

Volume horaire et choix méthodologiques

En général, un enseignement centré sur des pratiques discursives s’avèrera beaucoup plus fécond qu’un relevé fastidieux de termes spécialisés. Dans cette perspective, on peut s’interroger sur le rôle joué par l’amplitude et la répartition des volumes horaires d’enseignement de et en langue seconde dans l’acquisition de la compétence linguistique visée.

En matière d’enseignement bilingue, le système éducatif peut varier d’un pays à l’autre au sein des PECO. Il arrive aussi que, dans un même pays, il évolue et connaisse diverses modifications.[3] Mais, quelle que soit la configuration du cursus retenu ‑ intensification massive d’un enseignement de langue en début de cursus ou renforcement d’un enseignement régulier étalé et modulé sur l’ensemble du cursus ‑, les résultats font apparaître que l’efficacité de cet enseignement résulte autant des choix méthodologiques que de l’investissement quantitatif qu’il exige. Au-delà d’un seuil minimum nécessaire à sa viabilité et à sa vitalité, les choix qui président à sa progression ont autant de pertinence que le volume horaire qui lui est réservé.

Dans la section bilingue d’un lycée de l’est, même si plusieurs classes pratiquent la méthode immersive[4], l’usage de la langue cible reste limité aux heures de cours d’immersion. L’enfant ne trouve guère d’occasions de pratiquer la langue étrangère en dehors de la classe. Le temps consacré à celle-ci est donc limité et, dans ce cas, l’immersion reste bien partielle.

Pour que les élèves puissent tirer le meilleur parti de cette formule d’enseignement, il faut éviter à tout prix de dispenser des cours magistraux et privilégier les productions en français. En effet, c’est dans l’interaction verbale que les compétences langagières se construisent chez l’élève.

Il faut aussi prévoir des moments où les élèves seront autonomes, de façon à favoriser les contacts individuels entre apprenants et enseignant. On n’hésitera donc pas à créer de nombreux exercices individuels, des ateliers, des jeux ou travaux en petits groupes.

On essayera aussi, autant que possible, de créer des contacts avec d’autres francophones, adultes ou adolescents : correspondances et rencontres avec des francophones, échanges scolaires, etc. De même, le visionnement de films francophones contribuera à la construction de la compétence culturelle des apprenants en leur faisant découvrir une langue en prise directe avec les milieux qui la parlent.

La culture a été trop longtemps oubliée en immersion ; cet oubli a causé l’échec de nombreux programmes. Selon M. BYRAM (Culture et éducation en langue étrangère[5]), le développement d’objectifs culturels dans une classe immersive permet aux apprenants une meilleure connaissance de l’autre et, à travers lui, de soi-même. Ainsi la préparation d’une rencontre authentique où la langue française sera utilisée pour de vrai, l’expérience complexe du voyage, du dépaysement et de la découverte, sont autant de dimensions qui préfigurent un apprentissage sur le vif de la langue et de la culture, en un mot, l’élaboration de la compétence culturelle.[6]

Des difficultés surmontables

Cet enseignement axé sur le développement de compétences présente quelques difficultés dans les pays d’Europe centrale et orientale, traditionnellement soucieux de transmettre davantage des savoirs encyclopédiques de manière assez directive. C’est dire l’importance de la formation des professeurs et de leur rayonnement auprès de leurs collègues. La Communauté française de Belgique octroie des bourses d’études pour permettre le recyclage des professeurs hongrois chargés de donner le cours de français ou d’enseigner leur discipline en français. Mais il s’agit aussi de conscientiser leurs collègues, la direction et… les élèves. Et la différence de pratiques pédagogiques peut être source de tensions, parfois vives.

Le système d’évaluation peut lui aussi poser problème. Ainsi, en Hongrie, les résultats de l’année « zéro » sont déterminés par la note finale obtenue à l’examen de juin. A tout élève qui obtient un 1 (moins de 55%) ou 2 (de 56 à 65%)[7], il est déconseillé de poursuivre au lycée bilingue. Cependant la loi interdit de refuser l’accès en année 1. Seuls les parents ont le pouvoir de décider du passage de l’enfant dans la classe supérieure. Dès lors, au cours de la première année, les élèves qui se révèlent progressivement inaptes à poursuivre leurs études ne se préoccupent pas beaucoup de leurs résultats puisqu’ils ont la possibilité de rester. Par contre, à partir de l’année 1, les résultats des élèves seront calculés selon la moyenne de l’année.

Un autre problème se pose au terme du cursus scolaire causé par la préparation au baccalauréat. Traditionnellement, cet examen se réalisait en deux étapes. En avant-dernière année, les étudiants passaient l’examen écrit des langues hongroise et française. À la fin de la dernière année, ils passaient le bac pour les matières facultatives. Depuis le 1er septembre 1998, l’examen écrit du baccalauréat des langues hongroise et française a lieu à la fin de la dernière année d’études. L’examen oral se passe intégralement dans toutes les matières obligatoires et facultatives après la clôture de la dernière année.

Dès lors, en cinquième, le second semestre se termine très tôt, début mai, pour permettre aux élèves de se préparer aux épreuves du bac et à leurs examens d’entrée à l’université. Mais c’est toute l’organisation de l’année qui est déjà conditionnée par ces épreuves avec un risque de « bachotage » que l’on devine sans peine…

C’est aussi un vrai défi de vouloir que les apprenants maîtrisent une langue dont ils ne trouvent l’écho immédiat qu’au sein de leur école. On a beau recourir à tous les jeux de rôles que l’imagination et certains manuels suggèrent, ça ne remplacera jamais le vécu.

Des résultats encourageants

Néanmoins, ces difficultés sont surmontables et les résultats obtenus encourageants.

Tout d’abord, la présence de formateurs européens dans ces lycées amène les professeurs autochtones à s’interroger sur leurs pratiques, appelées à se modifier progressivement dans le concert européen.

Par ailleurs, à chacune de mes visites, je suis frappé de constater combien, dès le milieu de la première année, plusieurs élèves peuvent déjà tenir une conversation relativement fluide, frappé aussi par la qualité de leurs productions écrites (affiches, journaux, lettres…). Et cela malgré des différences de structures importantes entre leur langue maternelle et le français.

J’observe qu’à côté d’élèves qui ne sont pas à leur place en début de cursus (mais qui seront malgré tout réorientés après la deuxième année), la plupart d’entre eux sont réellement motivés par un apprentissage bilingue. C’est cette motivation qu’il importe de susciter et de développer, en faisant été des besoins en langues qui se manifestent de plus en plus dans une Europe en cours d’élargissement. À côté du plaisir rencontré lors des échanges avec des francophones, que j’évoquais tout à l’heure, il convient d’ouvrir aussi les élèves à certaines réalités du monde économique.

Ainsi, depuis 1996, a lieu à Budapest un franco-forum. Il s’agit d’un regroupement de nombreux chefs d’entreprises francophones (belges, françaises, suisses) qui exercent leurs activités en Hongrie. Plusieurs professeurs des sections bilingues y amènent leurs élèves. Ceux-ci peuvent dialoguer directement avec ces « patrons » et entendre leurs attentes. Tous ont la même exigence : ils souhaitent recruter dans leurs sociétés de Hongrois parfaitement bilingues (et non à peu près bilingues). Cela permet aux élèves de se rendre compte qu’ils doivent poursuivre leurs efforts d’apprentissage car la concurrence existe désormais et se fait de plus en plus rude…

C’est lors d’initiatives de ce genre que le principe de réalité peut rejoindre le principe de plaisir : deux conditions nécessaires pour promouvoir un enseignement bilingue de qualité.

 

Cet article a paru dans les Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, n°25, 3-4, pp.59-69, en 1999.

N.B. En rapport avec ce sujet, voyez aussi sur ce blogue l’article  "Un service de WBI"

 

Voici les dernières nouveautés sur l'enseignement bilingue en Hongrie. Nous tenons ces informations du Proviseur-adjoint du lycée de Paszto où Nicolas Jacoup  enseigne pour WBI depuis le 1 septembre 2012. A partir de septembre 2013, les classes de  l'enseignement bilingue porteront les mêmes noms que dans le non-bilingue en Hongrie. L'appellation année zéro n'estplus reprise. Le volume horaire de français ne change pas. Enfin, le gouvernement hongrois a renoncé aux réformes qu'il avait proposées à l'automne dernier (enseignement des cours de maths et d'histoire en hongrois et non plus en français).

 

 

 



[1]         « L’année zéro » est baptisée aujourd’hui « année 9 » puisqu’elle succède aux huit années de primaire.

[2]         Dans le nouveau système tchéque, cette introduction se fait en deuxième dans le cadre du cours de français.

[3]         Ainsi depuis septembre 1997, en république tchèque, les élèves de première années sont engagés dans un sycle de six ans et le cours de français ne compte plus que dix heures hebdomadaire en première année.

[4]         Le terme d’immisersion est entendu ici comme un cas de bilinguisme scolaire par lequel les élèves ont à apprendre simultanément deux langues. Plus présisément, il désigne une situation où des enfants de milieux linguistiques et culturels identiques, qui n’ont aucun contact préalable avec la langue de l’école, sont placés ensemble dans une classe où la langue seconde est la langue d’enseignement.

[5]         BYRAM M., 1992, Culture et éducation en langue étrangère, Paris : Hatier-Didier.

[6]         Dans le guide pédagogique de Que voulez-vous dire ? Compétence culturelle et stratégies didactiques (auteurs : BLONDEL A. ; BRIET G. ; COLLÈS L. ; DESTERCKE L. ; SEKHAVAT A., 1998, Bruxelles : Duculot), mes collègues et moi proposons un parcours qui consiste à préparer et à exploiter un voyage scolaire dans un pays francophone.

[7]         Dans d’autres pays, comme en Solvaquie, le « 1 » traduit un niveau excellent, le « 5 » un niveau insuffisant.

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