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30 juillet 2013

Sur le blog de Raymond Le Loch: Passion arabe de Gilles Kepel

On connaît Gilles Kepel par ses articles, par les nombreux ouvrages publiés sous sa signature ou par les études qu'il a coordonnées: dans l'embrouillamini  du Moyen-Orient, sa connaissance des situations et des hommes, son expérience du terrain peuvent servir de boussole, aussi bien pour les conflits dans le monde que pour les tensions dans les banlieues françaises.  Il a eu l'idée de donner une forme plus personnelle à ses analyses, de se mettre lui-même en scène, de rendre compte, sous forme de journal, des déplacements effectués récemment, en 2011, 2012, dans les pays touchés par ces événements auxquels on a donné le nom de "printemps arabe"... Sa participation aux (nombreux) colloques (rivaux ou complémentaires, alternatifs ou répétitifs), sur "l'islam, le nationalisme arabe et la démocratie", ses interventions sur Aljazeera... et sa curiosité, son intérêt à l'égard de tous les enjeux, lui ont permis de retrouver les protagonistes de ces événements, qu'il connaissait déjà, non pas au pouvoir ou dans l'antichambre du pouvoir, mais en exil ou en liberté surveillée. 

Nous sommes donc, en mars 2011, en Israël et Palestine, au lendemain de l'écrasement de la révolution à Bahrein, le 14 mars, par les forces armées saoudiennes.  Et l'événement continuera de retentir dans les chapitres suivants, dans la réduction du soulèvement contre le sultan et sa famille à un révolte chiite, niée en tant que mouvement populaire et social, ostracisée par le reste du monde arabe, parce qu'hérétique, parce que menace pour l'orthodoxie sunnite, dans sa version wahhabite.

 

Puis, renouant avec son premier séjour dans la ville, quarante ans plus tôt, Gilles Kepel est au Caire, en avril 2011, et dans la vallée du Nil, aux prises avec les manifestations, la "faouda" (le chaos), les ajustements du parti des Frères musulmans, les dissidences, à Alexandrie chez les salafistes...

 

Fin octobre il est à Tunis, au lendemain de la victoire électorale du parti Ennahdah... également accueilli et informé par  les partisans et les adversaires, grâce à "l'objectivité" qui lui est reconnue par les uns et par les autres, grâce aux complicités qu'il sait faire jouer, aux réseaux d'intermédiaires qu'il s'est constitué, grâce aussi à sa maîtrise de la langue arabe, dont il connait les variantes et les nuances.  Nous sommes là au plus près des déclarations (soigneusement pesées), de Hamadi Jebali, futur premier ministre, et des réflexions ou analyses sémantiques sur ce que doit être un gouvernement "civil" dans un pays dont les références sont l'islam.  Gilles Kepel reviendra en Tunisie en septembre 2012, ce qui nous vaudra un portrait nuancé du "pontifical" Rached Ghannouchi, le président du parti Ennahdah... "avec l'âge, il a acquis une onction de prélat, prodigue d'un sourire auquel des dents légèrement écartées confèrent un scintillement juvénile, mais c'est le regard, ombré par de lourdes paupières, qui exprime l'autorité du personnage et la force de ses convictions"...  Entre-temps, le dispositif kepellien a changé: pour les besoins des documentaires qu'il veut tourner, il arrive avec caméra et preneur de son... Si le dispositif suscite parfois méfiance, s'il faut souvent négocier et même ruser, c'est encore un moyen de donner la parole... aux électeurs d'un village du Fayoum, le jour des élections présidentielles égyptiennes... aux protagonistes de Sidi Bouzid, le village d'où est parti le soulèvement tunisien contre la didacture de Ben Ali... mais aussi au mufti de Tripoli, dans le nord du Liban, ou au prédicateur salafiste de Jabal Mohsen, le quartier alaouite... 

 

Rendez-vous pris, déplacés, décommandés, annulés au dernier moment, retardés, remplacés, renoués, Gilles Kepel ne cache rien des difficultés du métier, ni des risques encourus: il se veut "orientaliste assumé", c'est à dire "funambule qui manque à chaque instant de basculer dans le vide de l'embrigadement partisan", "animal à sang froid et à cuir épais".  En novembre 2011 et en juillet 2012, il est en Libye, entré la première fois par Djerba et le désert, la seconde par l'aéroport de Benghazi... et le cahier des photos de son ami et complice  Jean-Baptiste Lopez donne son poids de cruauté aux mots entendus.  A Bahrein, il jouera au chat et à la souris, donnant à entendre les déclarations des réprimés, et le bruit des manifestations qui secouent l'ordre monarchique établi.

 

Sans cesse se superposent les souvenirs, les strates des séjours successifs... Lorsque, dans le dernier chapitre, à partir d'Antioche, il passe, avec armes et bagages (son matériel d'enregistrement, image et son), dans la Syrie en révolte contre son dictateur, il est capable de lire, dans les transformations du paysage d'Apamée, dans la colonnade redressée...

 

... découverts lors de son premier voyage - il n'avait pas vingt ans, et sa vocation d'arabisant n'était pas encore née - les mutations sociales, politiques, idéologiques, religieuses qui ont affecté les populations des villages voisins, là où nous ne verrions que les traces d'un passé lointain, reconstitué.

 

De toutes ces rencontres, de tous ces contacts, des témoignages recueillis, des logorrhées enregistrées, il ressort, de la Palestine à Bahrein, de la Libye à la Turquie, de la Tunisie à l'Egypte que, par-delà les adaptations locales, les ajustements particuliers, les histoires personnelles, les acteurs de ces révolutions arabes sont largement manipulés par "l'éléphant saoudien" et le "tigre qatari".  Le mot "stipendiés" retrouve son impact face à la manne pétrolière du premier et gazière du second... Les "salafs" étant stipendiés par les Saoudiens, les Frères musulmans par les Qataris, également lancés dans la course au leadership, également dispensateurs de prébendes, également organisateurs de colloques sur "l'islam et la démocratie", également soucieux de couvrir du voile de la religion les revendications sociales, de détourner vers le prosélytisme clérical la demande de plus de justice et d'égalité.

 

Le livre reste d'une actualité brûlante face aux derniers soubresauts égyptiens ou tunisiens...Il est aussi une invitation à la réflexion sur notre environnement proche, éclairant d'une lumière directe les ambiguités sémantiques de la prédication religieuse et politique (sur le gouvernement "civil", mais non "laïque", sur la "complémentarité" de la femme par rapport à l'homme - mais non son égalité...).

 

 

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