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25 août 2013

Lire le Coran autrement (1)

Lire le Coran autrement ? (1/2)

 

 

 

Comment aider à entrer dans l’univers coranique si difficile d’accès ceux qui, non-musulmans comme musulmans, sont désireux de mieux se saisir de ce texte de portée universelle et qui sont sensibles aux interrogations du monde moderne, notamment à celles que soulèvent les sciences humaines ?

 

 

Comment lire aujourd’hui le Coran ? La question peut ne pas se poser à ceux qui, musulmans pieux, bercés et nourris depuis leur enfance par la musique et par le contenu du Livre de Dieu, ont progressivement trouvé les chemins de leur vie spirituelle. Mais nous sommes dans un monde où toutes les croyances, toutes les pensées, tous les systèmes religieux comme toutes les idéologies sont soumis à l’épreuve d’une critique parfois rigoureuse.

Comment, dès lors, faire une présentation actuelle du Coran qui réponde aux exigences des temps contemporains ? Comment aider à entrer dans l’univers coranique si difficile d’accès ceux qui, non-musulmans comme musulmans, sont désireux de mieux se saisir de ce texte de portée universelle et qui sont sensibles aux interrogations du monde moderne, notamment à celles que soulèvent les sciences humaines ?

Le Coran : un acte de communication

Le Coran, pour le croyant, est un message du Ciel vers la terre. C’est-à-dire qu’il constitue un acte de communication. Le processus de révélation qu’il représente permet de distinguer : 1) - un « émetteur » : le Seigneur qui parle ; 2) - un « récepteur » : en l’occurrence le Prophète Muhammad (la Paix et la Bénédiction soient sur lui) ; 3) - un code de communication : la langue arabe ; et 4) - un « canal » : la Révélation. Six éléments apparaissent, conformément à ce que permettent d’observer les théories de la communication : le Message (1), son « Expéditeur » divin (2), le destinataire (3), le « contact » que représente la Révélation (4), le code qui est constitué par la langue (5), et le contexte (6).

Car le Coran se présente bien comme un Message envoyé par Dieu à Muhammad et, par lui, à toute l’humanité, à travers une Révélation qui s’est étendue sur vingt-deux ans, dans un contexte bien déterminé qui est celui de l’Arabie du VIIè siècle, dont la langue était l’arabe.

Le message coranique n’a pu être révélé que parce qu’il a été compris ! Comme tout texte, le discours coranique n’est pas explicite en lui-même. Pour être reçu, il lui fallait être décodé, interprété. Comme le soutient l’intellectuel égyptien Nasr Hamid Abû Zayd : « L’interprétation est l’autre face du texte ». En tant que message, le Coran est une sorte d’organisme vivant, qui véhicule des informations différentes d’un lecteur à l’autre, à la mesure de la compréhension de chacun.

Selon la personnalité du lecteur ou de l’auditeur, selon les horizons culturel, historique ou social de celui-ci, l’information véhiculée va être perçue de manière différente. Pour le recevoir comme message pour son temps, chaque homme, ou chaque peuple, ou chaque époque, a besoin de faire sa propre interprétation du Coran. La réception d’un lecteur ou d’un auditeur du XXIè siècle ne peut pas être la même que celle d’un lecteur ou d’un auditeur du VIIè siècle.

Or il y a une illusion qui est entretenue en permanence par le discours dominant de tout un Islam qui se présente comme celui de la seule « orthodoxie » : l’illusion de croire que Coran ne pourrait pas faire l’objet d’interprétations multiples et évolutives en fonction des moments et des conditions de la réception du texte. Une seule lecture, une seule interprétation serait possible et acceptable : celle qui a été codifiée dans les écrits des savants du passé. Une interprétation qui traverserait les générations et les siècles, à laquelle il serait indispensable de se référer et dont on pourrait se contenter aujourd’hui.

Qui parle ? Le Coran ou bien ses lecteurs et interprètes ?

Ali ibn abû Talib, cousin et gendre du Prophète, quatrième des califes bien guidés, aurait affirmé un jour : « Le Coran ne parle pas de lui-même : ce sont les hommes qui le font parler ». Car nous sommes tous marqués, dans notre lecture, par notre temps, notre histoire, notre milieu. Nous entendons du texte ce qui nous parle. Toute lecture est marquée par nos préjugés. Quand nous affirmons : « Le Coran dit que... », n’est-ce pas d’abord nous qui disons que le Coran dit ceci ou cela ?... Et notre utilisation du texte coranique n’en dit-elle pas plus sur nous-mêmes que sur le message divin ?

Car, la plupart du temps, nous faisons une lecture fragmentée du texte coranique, ou (et) une lecture intéressée ou « calculée » de celui-ci. Nous cherchons à prouver ceci ou cela, que nous croyons vrai, par le recours à tel ou tel verset du Coran. Utilisant ainsi le texte selon nos conceptions, voire selon nos intérêts, nous tendons parfois à « diviniser » notre lecture, tirant le texte à nous... au lieu de nous laisser tirer par lui !

Nos lectures du Coran sont ainsi idéologiques, qu’il s’agisse de nos lectures personnelles, ou des lectures « institutionnelles », celles des grandes universités islamiques ou des divers conseils d’oulémas de pays différents. Mais en agissant ainsi, nous faisons comme si nous pouvions prétendre détenir LE véritable sens du Coran. Nous nous donnons un droit de maîtrise sur la Parole de Dieu, l’enfermant dans nos représentations inévitablement étroites.

En France aujourd’hui, il est fréquent d’entendre, à l’occasion de conférences ou de discussions, des musulmans qui interviennent en parsemant leurs propos de citations coraniques qu’ils s’approprient pour les mettre au service de leurs opinions. Quand, de surcroît, les versets choisis sont cités en arabe, leurs propos se trouvent comme « absolutisés », et leurs auditeurs en sont anesthésiés.

Trop de gens, malheureusement, sont ainsi tentés d’absolutiser leur propre pensée en utilisant à tout bout de champ des versets du Livre Saint qu’ils ont choisis de manière sélective, sortant ces versets de leur contexte et en méconnaissant l’unité profonde du texte coranique. L’un dira quand cela l’arrangera : « Nulle contrainte en religion ! » (Coran 2, 256), se gardant bien de citer ce verset dans son environnement, tandis qu’un autre, avec des intentions sans doute différentes, brandira des versets agressifs à l’égard des Juifs ou des Chrétiens, sans se soucier des conditions historiques de la descente de ces versets.

Avec ce type de fonctionnement, bien entendu, le texte coranique n’est pas considéré dans sa totalité, en tant que système de relations internes. Il est pris comme une suite d’unités isolées de la totalité. On méconnaît, alors, que le discours coranique est, comme le dit joliment le Professeur Mohamed Arkoun, « une orchestration à la fois musicale et sémantique de concepts-clés » et que le Coran doit probablement être approché d’abord à travers les thèmes dont il traite et qui parcourent tout son texte.

Même de « bonnes volontés » modernistes peuvent se laisser piéger par un certain « fondamentalisme textuel ». Des féministes musulmanes, par exemple, voulant se dégager des normes infantilisantes dans lesquelles d’aucuns les enferment à coup de versets coraniques, vont à leur tour tenter de passer par d’autres versets pour prouver le contraire.

Elles privilégient certains versets, considérant que ces derniers peuvent contrôler la signification et l’interprétation de nombreux autres. La démarche est respectable, mais est-elle efficace ? N’est-ce pas adopter une attitude passive devant le texte pris comme un document figé, en faisant fi de l’interaction qui doit fonctionner entre celui-ci et son public d’auditeurs ou de lecteurs ?

N’est-ce pas admettre sans esprit critique que les normes émanent systématiquement de l’intérieur du texte, et non pas des processus sociaux et historiques ? Plutôt que de déclarer de manière idéologique que le Coran prône l’égalité des sexes, ce qui ne correspond pas à la réalité, ne vaudrait-il pas mieux étudier le contexte dans lequel la Révélation de Dieu s’est déroulée, afin de comprendre comment celle-ci continue de se manifester avec efficacité dans notre histoire ?

Au lieu de nier que des normes patriarcales apparaissent à maintes reprises tout au long du texte sacré, ne vaut-il pas mieux effectuer une exploration précise de comment elles se sont imposées dans les pratiques et les comportements des musulmans, afin de mieux pouvoir s’en libérer ?

Pour faire évoluer leur condition, les femmes (comme tous les autres croyants) doivent apprendre à entrer en conversation profonde avec le texte sacré, plutôt que transposer sur celui-ci ce qu’elles aimeraient qu’il dise à leur place ! C’est cette interactivité qui leur donnera la force d’effectuer des transformations pour combattre le patriarcat et d’aller vers plus de justice et d’égalité. Sinon, au lieu de prendre leur place de « sujets communiquant », elles continueront à s’en remettre passivement au texte - sublimé cette fois-ci.

A suivre...

 

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