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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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29 octobre 2007

Y a-t-il progrès aujourd'hui ?

Pour le philosophe Pierre Teilhard de Chardin, le progrès est une “montée” de conscience. Par nature, le progrès est “tout ou rien”. Il y a “progrès” si la conscience globale augmente. Il n’y a pas “progrès” si la conscience n’augmente pas, s’il n’y a pas mutation psychique, apparition de nouveaux paliers de conscience. Teilhard nomme ce phénomène de conscientisation la “Noogénèse”, ou genèse de l’Esprit.

Teilhard précise la nature “convergente” de la Noogénèse. L’Esprit converge vers “le point Oméga”. Teilhard est croyant et cette expression renvoie à la phrase de Jésus: “Je suis l’Alpha et l’Oméga”. Le point Oméga est le Messie, l’Oint de David, le Christ. Notons en l’occurence la même attente des Juifs et des Chrétiens en la venue eschatologique du Messie. Pour les non-croyants, le problème est que Teilhard situe donc le progrès ultime, la fin du progrès, hors de la sphère historique. On ne peut comprendre le progrès seulement dans le monde historique. Il faut croire à une sphère méta-historique, pour pouvoir déterminer s’il y a progrès ou non. Le progrès ne peut être un procès indéfini, se déroulant seulement dans l’histoire des hommes. Il est nécessairement un progrès de la conscience, qui doit aboutir à la parousie de l’Esprit. Le progrès aboutit in fine à une “extase” hors de l’univers visible.

La seule définition possible du progrès, selon Teilhard, est donc celle-ci: c’est une synthèse de l’esprit .

L’esprit jadis associé au “Ciel”, à l’ascension hors du monde, à la négation des valeurs terrestres, doit désormais s’incarner dans le monde, dans le multiple, dans le phénomène divers et impévisible.

Cette vision est indéniablement plus optimiste que celle de Freud, puisqu’elle propose au moins une fin non-contradictoire. Alors que pour Freud le progrès ne rend pas heureux, pour Teilhard il est la condition même du bonheur éternel…

Mais quid des non-croyants? Comme peuvent-ils croire à un progrès, au point Oméga duquel ils ne croient pas?

Réponse: il y a de la place pour tous, pour toutes les personnes, dans l’Oméga. Pour Teilhard, une condition essentielle du progrès absolu de l’esprit est le progrès de la personne.

Il n’y a pas de progrès à espérer sur Terre sans primat et triomphe de la personne, et partant, du respect, de l’amour, de toute personne pour toute personne.

Teilhard formalise finalement ainsi la loi structurelle essentielle du progrès: “aimez-vous les uns les autres”, qui peut se lire universellement, au-delà de toute religion particulière.

Cette définition du progrès tranche aujourd’hui singulièrement, dans le monde en voie de déchristianisation rapide que nous connaissons. Définition optimiste, mais difficile à universaliser…

Une fois encore, nous constatons qu’il est bien difficile d’universaliser la mondialisation, d’universaliser le sens de la mondialisation, de réunir les multiples facettes de l’humain autour d’une même idée. Il est bien difficile d’universaliser la convergence.

Le progrès est une sorte de “shiboleth”. Il provoque des clivages radicaux. De la manière même dont on prononce ce mot de “progrès”, de la façon dont on en entend les acceptions, s’établissent des appartenances, des coteries, des tribus fraternelles ou des schismes irréconciliables.

C’est pourtant autour de la notion de progrès que l’Humanité encore divisée peut et doit se reformer.

Le véritable clivage de l’Humanité se fait non sur la richesse, la science ou le pouvoir. Ces différences-là ne sont pas essentielles mais accidentelles. Le véritable clivage qui sépare les hommes est celui de la foi, la foi au progrès. Ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas vivent dans deux mondes divergents. Les uns veulent donner un sens à leur vie, à la société, à l’existence des autres. Ils croient que le progrès a un sens, et que ce sens est bénéfique. Ce sont les “hommes de bonne volonté”. Et il y a ceux qui ne croient pas au progrès, ou qui le condamne comme une illusion, comme gros de frustrations dangereuses.

Il est vrai que le progrès se paye, cher.

Pour Freud, il se paye du prix le plus élevé qui soit, la fin du bonheur, le refoulement.

Pour Teilhard aussi, le progrès a un prix. Chaque progrès dans l’organisation de la noosphère, tout en relâchant momentanément la compression humaine, rend plus sensible et plus rapidement transmise dans le milieu humain – et donc plus douloureuse, plus dangereuse — chaque nouvelle compression planétaire.

Le progrès, parce qu’il augmente l’intégration humaine, augmente aussi la sensibilité générale et exige un surcroît d’effort et donc de puissance.

Notre monde est-il donc en progrès, aujourd’hui?

Il y a progrès si on mesure le progrès d’une civilisation-monde par son degré croissant d’abstraction. Si nous suivons cette voie, alors indéniablement la civilisation du virtuel, plus abstraite, représente un grand bond en avant.

Mais la réponse est moins évidente si on mesure dans notre monde, comme Teilhard le demande, la place faite à l’esprit, à la personne, au multiple, à l’autre.

Si la véritable mesure du progrès d’une civilisation est sa capacité à l’altérité, au multiple, au personnel, au spirituel, la mondialisation apporte-t-elle quelque chose de positif? Si le progrès se jauge à la capacité à appréhender, comprendre et préserver l’autre, est-ce que la civilisation du virtuel représente un pas en avant ou en arrière?

On sait que le principal risque d’une soi-disant « civilisation mondiale » est d’ailleurs de limiter la diversité et de réduire la possibilité d’altérité, en imposant des normes puissantes de conduite. Le prix à payer de la transparence et de la circulation mondiale est l’uniformité et la réduction au même, sans parler de l’atteinte à la liberté.

Or l’étranger, le pauvre, l’exclu, sont des symboles inoubliables de la différence et de l’altérité. Ils sont des images de l’autre. Quelle est leur place dans le virtuel, dans le cyberespace, dans l’abstraction spéculative et financière ?

Philippe Queau (extrait)

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