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10 juin 2009

L’autre, de l’ennemi à l’ami ? par Djohar Khater

 

Dans la mesure où il conditionne l’aptitude à vivre ensemble à l’intérieur des groupes humains et entre eux, le mode de rapport à l’autre, module et détermine les rapports sociaux et humains. Présidant  au modèle sociétal présent, il constitue le fondement de celui projeté pour l’avenir. C’est que l’autre n’est pas seulement le semblable à travers les différences, l’Idem, que se soit dans la communauté nationale ou humaine, tel que reconnu par les impératifs politiques nationaux ou internationaux, soit l’être humain. Il est aussi celui qui est unique et irremplaçable par sa différence et sa spécificité. Celui que l’action marque, le distinguant de tous les autres, et ce, qu’elle soit de nature constructive ou destructive, pacifique ou violente.

 

En ce sens, la violence comme l’agressivité relève de l’égoïsme, de cet amour de soi qui permet la survie, voir la réussite, laquelle le plus souvent est synonyme d’expansion du moi vers l’extérieur et en deçà, de possession et d’accaparation. C’est aussi, le moyen privilégié dans la lutte sans merci pour l’accès au pouvoir et sa préservation à l’échelle des groupes, des nations, des entités régionales et du leadership au plan international. C’est pourquoi les individus, les pouvoirs ou les nations, à caractère belliqueux, font souvent fi des interpellations ou injonctions de l’éthique qui impose à son plus haut niveau, un mode de relation à l’autre, non pas seulement en tant que semblable, autre que soi- même, mais en tant que soi-même.

 

L’ego trouve donc son plein épanouissement dans les organisations sociales constituées à la faveur du tribalisme, de l’ethnocentrisme, ou du communautarisme, et dans les entités politiques qui tirent leur raison d’être du nationalisme... Autant de constructions dont la  permanence dépend de la cohésion de l’en-groupe et des capacités de neutralisation des visées expansionnistes des hors-groupes. Quant à la prééminence, elle dépend des moyens de domination du groupe. Ici et là, qu’elle soit dictée par un ordre de justice organisé dans le cadre d’une transcendance ou d’un consensus ou qu’elle soit actionnée par la volonté d’une force brute irraisonnée, la violence fait loi. Inspirée par un besoin de domination ou tout au moins, un rééquilibrage des pouvoirs, elle vise à idéaliser un ordre ou à le mettre en cause par la mise en question et la dévalorisation de l’autre. Ce dernier, obstacle réel ou supposé à la réalisation de l’idéal du moi d’un homme, d’un groupe ou d’un pouvoir, ne serait-ce qu’en s’en démarquant un tant soi peu,  est perçu comme le coupable in prime. Déclaré tel, taxé d’inconvenance, il alors  discriminé, spolié, voir détruit. Quête de la valeur, oblige. 

 

 Habitant les groupes humains qui font de la violence, le pilier basique de l’organisation sociale, la quête de obsessionnelle de la valeur, fait que la société algérienne est traversée par une vision expressément négative de l’autre, du proche au plus lointain. Ss colorant selon le cas et la situation, cette dernière va de la peur de l’autre et du besoin incessant de s’en protéger, à l’envie ravageuse et à la haine qui consume... En résumé, l’autre,  à travers ces perceptions, est d’abord un ennemi. Les proverbes courants sont laconiques sur ce état d’être, autant que les stéréotypes et les sentences préventives : «qui donne la main, perd le bras – l’ami mène à la faillite – ton oncle maternel te casse les dents – ton oncle paternel t’aveugle –le cœur de la maman se fend pour son enfant, quant à lui son cœur est de pierre – je hais mon frère, je hais qui le maltraite – que ton ami ne te trompe sur ton frère ! – ta sœur est une bombe, si elle explose, elle t’éclabousse – toute association est une perdition - il tue l’homme et va à son enterrement – espèce de juif ! - il vaut mieux 1000 juifs qu’un seul blidéen – Que Dieu maudisse les juifs et nous en préserve !– l’Occident est mécréant, l’Orient croyant – l’occidental est sale – les nègres sont des animaux.... » Dans la pratique langagière de la société traditionnelle comme dans celle qui se donne les apparats de la modernité ( celle-ci s’arrêtant en fait, à la soif des biens de consommation ) dans la famille comme dans le groupe social, l’autre est d’abord celui dont on se méfie, qui menace le bien-être individuel ou collectif, sa liberté d’être au monde et son pouvoir sur autrui, de façon générale.

 

La quête de la reconnaissance étant - à quelques exceptions prés - le moteur de la vie sociale, la peur de l’autre est donc  la règle dans les sociétés qui se structurent à travers les rapports de pouvoir et de domination. L’autre, étant le juge par excellence, il constitue souvent l’ultime objet de valorisation de soi et de réconciliation avec soi-même. Sollicité en tant que moyen de gratification de soi, il est au besoin reconnu ou ignoré et quand cela est nécessaire violenté symboliquement ou physiquement, voir carrément éliminé, sans que cela ne pose problème. Ainsi, passe t-on de l’animosité transmise à travers la donne culturelle qui conditionne les attitudes et les conduites, à l’agressivité verbale et de là à la violence extrême, le bouc-émissaire étant expressément désigné, et l’acte lui-même banalisé, par le balisage d’une représentation déformée et ressassée.

 

 L’illustration moderne de cette haine de l’autre et du bestial rapport qui en découle est bien le nazisme. L’anti-autre de ce dernier, et tout particulièrement du sémite, juif en tête, érigé en doctrine politique d’Etat prônant la supériorité arienne des germains sur les autres, et exacerbant les sentiments racistes et nationalistes, n’a-t-il pas sciemment suscité deux déflagrations mondiales qui se soldèrent par la perte de millions de vie, la souffrance d’un nombre plus grand d’estropiés et de traumatisés et un cauchemar qui transforma à jamais le regard et la vision des peuples qui y ont été impliqués. Jean Paul Sartre résume bien ce malaise induit par la présence de l’autre, par sa célèbre phrase: « l’enfer, c’est les autres.». Libéré de tout scrupule - par l’action d’un fantasme séduisant, d’une obsession sécurisante, coulée dans un projet et une ambition qui la chevauchent et l’instrumentent, quand ils n’en sont pas le pur produit - ce malaise peut, comme dans les guerres précitées ou celles qui ça et là, déchirent autour de nous les hommes et leurs sociétés, prendre les allures d’une cruauté inouïe.

 

Plus prés de nous, la décennie de guerre civile, qui fait des victimes à ce jour, n’illustre t’elle pas cette sauvagerie dont seul le genre humain sait se rendre capable, quand pris de folie furieuse, il donne désespérément libre cours sa bestialité. Cherchant à se libérer de ses tourments, à se vomir, il s’en prend à la différence et la diabolise, en s’adossant à une justification farfelue sinon fantaisiste, pour faire table rase de ce qui lui résiste ou pour déchiqueter le semblable qui, ne voulant pas se dissoudre, garde ses distances. A ce déchaînement des instincts primitifs, cette fantasia de la destruction et de la mort, rien d’étonnant cependant. Elle couvait dans l’ombre, guettant le moment propice, s’accumulant couche par couche, jusqu’à l’explosion ultime. La haine de l’autre était là, se renforçant au fil du temps, des cuisantes auto-flétrissures  et déconfitures qu’il charrie.

 

L’histoire des peuplades de ce territoire ne dit pas autre chose, à ce jour. Ainsi, les souffrances qui résultent des pratiques prédatrices quotidiennes  de l’en-groupe (et plus exactement des « en-groupe » qui se revendiquent de l’Etat-nation et au-dedans de chaque groupe) qui n’en sont pas moins des razzias sous une autre forme,  s’ajoutent-elles aux blessures enfouies dans l’inconscient collectif de ces hommes dont les ancêtres ont dû, depuis la nuit des temps, guerroyer pour leur survie. Les réflexes que ces meurtrissures millénaires ont enracinés hypothéquant les chances d’un mieux-être des siècles à venir, s’expriment dans le rapport à l’autre, individu ou groupe. Qu’ils s’inscrivent dans la tradition ou la modernité, ils portent le sceau d’une brutalité omniprésente, qui façonne et conditionne les mentalités renforçant un héritage suffisamment lourd en lui -même. Il est de ce fait, indéniable que les déchirures d’un passé qui ne passe pas, d’un présent et d’une actualité non moins agressifs et frustrants, prémisses angoissantes d’un avenir qui pointe déjà sombre à l’horizon, sont autant de facteurs qui renforcent le sentiment d’insécurité et d’appréhension de l’autre. Sentiment propice à l’agressivité et à la violence.

Cependant, et si lourd que soit le legs, si dures que soient les conditions de vie de l’heure, le plus grave, c’est la faible présence d’une identité de rassemblement,  qui dépasserait les atavismes et les clivages et rivalités d’origines ethniques et tribales, religieuses, claniques ou autres. A sa place et son lieu, se trouve installée une identité nationale de façade, un masque sous lequel agissent souterrains ou affichés, les égoïsmes les plus féroces, les appétits les moins insatiables. Dans cette délitescence généralisée, tout un chacun est maître et esclave. En tout heure, il humilie car humilié, il défonce car défoncé, fier de son pouvoir, il reproduit la violence qui l’a nourri. Chacun selon ses capacités ! Derrière cette propension à la haine, qui annihile tout projet de vie collective viable, se tient en premier, la carence, quand ce n’est l’absence effective des valeurs humaines, la pratique d’une spiritualité désincarnée réduite à un apparat, quand elle n’est pas déviée de son objectif, et corrélativement, le règne de l’injustice et du non-droit. Autant d’avatars qui minent les rapports humains, qu’ils relèvent de l’intime et du privé ou du social,  par une mauvaise foi ou un nihilisme, qui animent les intentions avant les actes, viciant à la base toute possibilité de convivialité. Il est un truisme de dire que les valeurs humaines et la spiritualité sont les facteurs déterminants  d’un rapport épanoui à l’autre. Les valeurs morales, les principes en tant que catégories logiques et donc la raison universelle et l’éthique, adjointes aux traditions et mœurs locales sont  ce qui de tout temps a cimenté les groupes humains. Si elles y ajoutent un besoin de transcendance au nom d’un Absolu, les religions dont l’objectif premier est d’instaurer de sociétés viables, ne recommandent pas autre chose. Et c’est bien sur la base de ces mêmes valeurs humaines et éthique que les puissances modernes, tenant compte de leur socle culturel propre ont élaboré la Déclaration universelle des droits de l’homme. En effet, là où elles font défaut, il ne saurait être question, ni de rassemblement, ni d’union et encore moins de bien-être et d’harmonie ; là ou elles sont absentes, il ne pourrait y avoir que de l’anarchie.  

 

 Et, dans cette ambiance chaotique qui découle d’une viscérale attitude guerrière et l’induit, l’autre  est indéniablement un ennemi. Nulle preuve n’en faut. Qu’il soit proche, consanguin, d’une même   famille ou d’une même culture, rien n’y change ; et s’il diffère par le quartier, le statut social, la région, ou s’il est étranger par l’ethnie, la langue, la religion, la couleur,... de l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, raison de plus. Il n’est ni, et en aucun cas, ni l’alter ego, ni même le semblable et encore moins l’aîné, le maître, le juge..., des maîtres la philosophie contemporaine occidentale, ni celui de toutes les religions connues dont l’Islam : celui qui a la priorité même sur soi. L’autre, dans la conception la plus courante, la plus répandue, est bien plutôt celui qui doit s’effacer devant sa majesté le moi, d’où les conflits déchirants et l’état de guerre permanent entre individus tout autant qu’entre groupes sociaux. Le rapport à l’autre est, dans ce type de société, d’abord un rapport de violence. Par réaction à une violence subie quelque part, certes ; laquelle commence par un conditionnement éducatif carencé d’un idéal humanitaire qui porte l’accueil en son cœur.

L’agressivité ainsi cultivée et érigée en mode de conduite, s’il s’y reflète une angoisse existentielle, une inquiétude et une crainte foncières de cet autre, qui dans la culture  est un adversaire au mieux, traduit de fort triste manière, un manque d’amour véritable, de bonté et de charité, balayés par une haine inconsciente de soi, drapée dans les oripeaux de l’égoïsme le plus étroit, comme dans ceux de l’altruisme qui finit dans les bains de sang, bien souvent. Car, si le rapport à l’autre est  d’abord l’expression du rapport à soi, le respect de l’autre passe avant tout par le respect de soi. Ce qui signifie : être en accord avec soi-même, se reconnaître, c’est reconnaître le droit de tout homme à la dignité. Or, rien de cela ne pourrait être, sans initiation à la transcendance et au renoncement à la volonté de puissance et de biens matériels à tout prix. Puisqu’elle requiert aussi bien l’intériorisation des principes d’une éducation pour la paix, que l’instauration de l’Etat de droit qui l’accompagnerait et la renforcerait.

 

C’est pourquoi, il serait temps ( au vu du besoin quasi- irrépressible de bien-être matériel, plus que jamais signe identitaire de distinction sociale - d’autant qu’il se fait rare - de l’obsession d’auto- renforcement par la détention abusive des sources du pouvoir, de l’étendue et de la gravité des conflits sur la planète terre et de la course effrénée vers la possession de moyens de destruction massive) que les recommandations émises par l’UNESCO, au lendemain de la 2e guerre mondiale, préconisant la mise en œuvre d’une éducation pour la paix, et incessamment rappelées depuis, soient concrètement respectées. Il est d’autant plus permis d’espérer que les instruments internationaux,  déclarés conçus pour la préservation et l’instauration de la paix, grâce à l’acquisition des savoirs nécessaires à la convivialité et au développement harmonieux des sociétés, seront utilisés à bon escient pour le bien-être des peuples de la planète terre. En ce sens, les institutions éducatives, école en tête, doivent assumer leur rôle de médiateur, par la sensibilisation aux dangers de la survalorisation du moi et de l’égocentrisme et l’initiation précoce au respect de la vie sous toutes ses formes, condition sine qua non, préalable à toute réduction de la violence.

 

En la matière, il ne semble pas que l’école algérienne ( pour des raisons inhérentes à la culture / l’histoire sociale locale et universelle dominantes, qui font de la prééminence du moi et de la violence contre l’autre, leur pivot pour assurer la continuité ou la suprématie d’une identité nationale, et par delà, des intérêts de classe ...  ) ait suffisamment promu et promeut une vision positive de l’autre. Il serait opportun en effet, que le choix des pédagogies, la formation et la gestion des personnels, la charte scolaire, la panoplie d’outils didactiques mis à la disposition de la classe, dont plus précisément les manuels des lettres et des sciences humaines, reflètent une conception des rapports humains, où la sollicitude l’emporte sur le mépris, le rejet et la haine, et qui reconnaisse d’emblée à l’autre, sa dignité d’homme. Une vision plus claire sur ce sujet, serait peut-être apportée par la réponse aux questions suivantes : quelle est l’image dominante du moi (dominant le discours) dans son rapport à l’autre ( tout autre )  à l’école ; cet autre y’est-il bienveillant ou malveillant; sa vision de la vie, est-elle positive ou négative ? Ces représentations renforcent-elles les passerelles ou inspirent-elles l’animosité à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières ? 

 

C’est que le champ scolaire peut indéniablement participer à la culture de l’exclusion et du rejet de l’autre et devenir un facteur de (re)production de violence à son égard quand le souci de  l’auto- renforcement statuaire ou identitaire excède tout autre. Il peut aussi susciter  l’inclination pour une culture de l’échange, de la paix et de la solidarité et son intériorisation, et être de ce fait, un vecteur actif du vivre ensemble.

 

 Alger le 04/06/2008

 

 

Djohar Khater

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Commentaires
L
J'ai apprécié les deux articles que vous avez déposés sur le site d'Alain. Vous êtes bien sévère pour votre société. Mais sans doute êtes-vous aussi réaliste. Puisse votre voeu d'une culture de l'échange et de la solidarité se réaliser.
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