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20 juillet 2009

Entrevue avec le Père Miguel D’Escoto: l'impérialisme est l'opposé de la Charte des Nations-Unies

Cette entrevue a été traduite en français par le père Claude Lacaille.  Ce n'est pas tous les jours qu'un prêtre en plein exercice de son sacerdoce, est président de l'Assemblée générale des Nations Unies.(Oscar Fortin)


par Benjamín Forcano  

    Il y a des années que nous nous sommes connus et que nous partageons l’amitié, les luttes et les utopies qui nous sont communes. Il n’est pas fréquent qu’un prêtre soit ministre des Affaires extérieures (dans la révolution sandiniste) et maintenant président de l’Assemblée des Nations-Unies. En mai dernier, il est arrivé à Madrid avec son équipe, et c’est avec surprise et une grande joie que j’ai reçu un appel de lui. Nous avions le temps de nous voir. Il m’a donné rendez-vous à l’hôtel, nous avons parlé et nous avons convenu qu’après avoir dîné au El Botín (le plus vieux restaurant de l’humanité, 1725), je pourrais l’interviewer. « Après avoir mangé et dégusté le cochon de lait », lui ajoutai-je. Oui, me dit-il. Nous irons chez toi. Voici une preuve de ce qui est important pour cet homme, peu importe les années et l’heure.

Miguel D’Escoto est né en Californie en 1933; il arrive au Nicaragua, la patrie de ses parents, en juin 1934, quelques quatre mois après l’assassinat de Sandino.

En 1953 il entre dans la Congrégation missionnaire de Maryknoll à New-York où il fut ordonné prêtre en 1961.

Envoyé au Chili en 1963, il fonde l’Institut national d’action de quartier et de recherche. (INAP) et il se consacre à travailler dans les campements « champignons » et les quartiers les plus pauvres de la périphérie de Santiago et d’autres villes telles que Chillán, Concepción et Temuco, au sud du Chili.

En 1970, il crée la maison d’édition ORBIS à New York,  laquelle est toujours considérée comme la plus importante aux États-Unis sur les thèmes touchant le tiers monde.

Même s’il demeurait à New York, il devient l’un des fondateurs du groupe des 12, intégré par des professionnels et des intellectuels démocratiques et progressistes, qui appuient la lutte libertaire du Front sandiniste de libération nationale.

En juillet 1979, il est nommé chancelier de la République, poste qu’il a occupé jusqu’en avril de 1990. Il a eu une participation importante dans les processus de paix de Contadora et d’Esquipulas et il a amené les États-Unis en Cour mondiale, obtenant la condamnation la plus forte dans l’histoire du droit international contre la politique étasunienne. 

Actuellement, le Père Miguel, en plus d’être membre du Conseil sandiniste national et de sa commission politique, organe maximum de direction du FSLN, il est conseiller du président Daniel Ortega Saavedra en relations extérieures et affaires limitrophes avec le rang de ministre.

En reconnaissance, il a été décoré par l’Ordre Carlos Fonseca Amador, le prix Alfonso Comín pour la paix, le prix Julio Cortázar pour la paix et la démocratie en Amérique latine et les Caraïbes, le prix Lénine pour la paix, la même année où ce prix fut attribué aussi à Julius Nyerere, dont la cause de canonisation est en cours), le prix Thomas Merton, l’Ordre du mérite centroaméricain remis par le parlement centroaméricain et bien d’autres.

(B.F.) Vous êtes prêtre et religieux et vous vous retrouvez aux Nations unies avec une grande responsabilité. Que vient faire un prêtre dans un poste politique?

(M.D.)Je crois qu’il faut profiter de tous les espaces pour porter notre message de fraternité, de solidarité et de paix entre les humains. En ce moment, nous vivons une série de crises convergentes, mais sous-jacente à toutes ces crises, la plus grande est la crise éthique.

Je suis convaincu qu’il en est ainsi parce que nous avons accepté que toute activité d’échange de biens et de services, l’activité économique, doit être exempte d’éthique, car celle-ci posséderait ses règles propres, une autonomie, qui l’amène à rejeter l’intervention des gouvernements. Par contre, moi je crois que ce qu’ils craignent le plus est l’intervention de l’éthique. C’est pourquoi la consigne fondamentale du capitalisme est que le négoce des affaires, ce sont les affaires, c’est-à-dire le profit. Il s’agit de maximiser le gain, ce qui nous a amené au chaos du moment présent. Tout le monde le comprend ainsi. Incroyable!

Que je sois un curé et en même temps président de l’Assemblée des Nations unies, du Groupe 192, (nombre des États membres) leur apparaît comme une chose providentielle et c’est en partie pour cela que j’ai été élu tant par les musulmans que les chrétiens et gens d’autres croyances. Il y a quelques mois, nous avons eu une Assemblée générale spéciale sur les principes nécessaires pour sauver le monde et nous sommes tombés d’accord pour dire que toutes nos traditions religieuses ou éthico-philosophiques recèlent des principes que nous avons trahis.

Je n’ai jamais été un politique, mais je ne crois pas que nous devrions empêcher que le message du Christ entre là aussi. Je suis et me considère toujours comme prêtre. En plus, le fait de devenir président ne m’est jamais passé par la tête; je ne le désirais pas et je n’y avais pas pensé. Je m’en suis rendu compte quand j’ai su qu’on moussait ma candidature. Je n’étais pas au courant. Alors, par la suite, on m’a demandé : que faisons-nous. Doit-on retirer votre candidature?

Comme je ne sais pas refuser et que j’ai une vocation de service et surtout de service à la cause des pauvres, bien que je pensais ne pas être élu, je me suis dit : au cas où, je dois me préparer. J’ai voyagé à New York, je suis allé voir Noam Chomsky, Stiglitz le grand économiste étasunien, prix Nobel d’économie, professeur à l’université de Columbia, mon Alma Mater… et je leur ai dit : Écoutez, je ne suis pas élu, mais il existe un danger que je le sois, et alors je dois être prêt.

(B.F)Mais les gens ne trouvent-ils pas curieux qu’un prêtre préside une Assemblée aussi civile et universelle?

(M.D.)Les gens ne trouvent pas cela curieux et moi non plus, parce que nous avons à porter notre message à toutes les sphères de l’activité humaine. Les gens aux Nations unies m’appellent seulement « père », ils n’ont pas à me dire « excellence » ni rien de semblable, ils me voient vieux et collaborent beaucoup, ils s’approchent et disent : « Père, c’est bon ce que vous avez dit, parce que nous autres, nous ne pouvons pas le dire, mais vous le pouvez, car vous avez une autorité morale comme religieux.

Au commencement, mes interventions résonnaient pour eux comme une prédication et moi, ce que je fais, c’est de me diriger à la communauté internationale comme un frère parmi d’autres qui les convoque et leur dit : Si nous voulons la paix, cessons de faire la guerre contre les pauvres, c’est là la paix fondamentale dont nous avons besoin, parce qu’il y a une guerre sans quartiers livrée par les riches contre les pauvres du monde.

(B.F) Comment jugez-vous le réveil des nations latino-américaines face à la politique impériale dans cette nouvelle période Obama?

(M.D.)Nous vivons le meilleur moment de l’histoire d’Amérique latine, un moment durant lequel le rêve de Bolivar, de Morazán et de Martí ne sont plus un simple rêve, mais s’est transformé en un projet réalisable dans lequel nous pouvons nous engager.

Pourquoi ce moment-ci? Je crois que nous sommes en train de voir les fruits de l’exemple et de la lutte de Fidel, diabolisé par l’Occident pour avoir prêché la solidarité. Fidel ne l’a pas seulement prêchée, il a prêché par l’exemple. Pour moi, et cela je le dis aux Nations unies, il est le héros mondial de la solidarité. Comme je voudrais pouvoir dire que mon Église est celle qui a porté la flamme de la solidarité ! Mais je ne peux le dire, parce que ce n’est pas vrai. Les plus hauts représentants de notre Église viennent aux Nations unies et rien! Il n’y a pas de souffle, pas de passion, pas de feu, tout est éteint et l’Esprit se sert des laïcs, même certains qui se disent agnostiques et non croyants.

Il me serait difficile de comprendre la révolution au Nicaragua si elle n’avait pas eu lieu à Cuba et par la suite aussi au Venezuela. Oui, nous sommes dans une bonne période, mais c’est une conséquence de cet engagement total d’humains que j’appelle humains de l’espérance, qui savent qu’un autre monde est possible et que c’est faisable. Mettre tous nos efforts à convertir cette utopie en réalité, ce qu’est Dieu, voilà la manière d’obtenir ce monde de fraternité et de justice.  

(B.F.) Face à la crise économique mondiale qui affecte surtout les pays appauvris, considérez-vous qu’il soit juste que seulement le Groupe des 20 se réunisse?

(M.D) Ce qu’on appelle le groupe des 20 ne s’est pas réuni pour résoudre la crise, mais pour voir comment sauver le système qui a causé la crise. Ils pensent que ce fut une erreur, qu’il s’agit d’un plus ou moins grand degré de réglementation, mais ce n’est pas le cas. Ce dont il s’agit c’est que le système, en soi, ne sert à rien. Notre Seigneur Jésus dans ses dernières paroles d’adieu, nous dit : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. L’amour est absolument indispensable pour que ce monde, selon le plan de Dieu, puisse fonctionner, mais nous ne l’avons pas accepté.

Aux Nations unies je leur ai dit plusieurs fois : La vérité la plus importante en ce monde c’est de reconnaître que nous sommes tous des frères et des sœurs, mais il faut reconnaître aussi les conséquences qui dérivent de cette vérité et les appliquer. Trahir les principes,  flirter avec les valeurs du capitalisme nous a amené à cela, à un problème fondamentalement éthique. La lutte maintenant est de créer un nouveau système qui placera l’être humain avec son bien-être et son bonheur au centre de toute activité humaine.

(B.F) Les guerres d’Irak et d’Afghanistan conditionnent beaucoup l’avenir des nations. Quels sont les raisons qui inspirent ces guerres-là?

(M.D.) En ce moment, selon les dernières enquêtes d’opinion, le prestige et l’image des Nations unies sont au plus bas, c’est le pire moment et cela coïncide avec l’image du pays hôte : les États-Unis sont à terre, répudiés, maintenant seulement il semble y apparaître un changement avec l’arrivée d’Obama.

Le fait que les Nations unies n’aient pas pu empêcher la guerre contre l’Afghanistan et ensuite la guerre contre l’Irak, et que le Conseil de sécurité n’ait rien fait pour dénoncer ce crime, - le pire crime qui existe en droit international!- voilà la preuve la plus criante de la crise qu’on a créé. On ne peut pas mépriser l’autorité des Nations unies. On a déclaré une guerre d’agression et une guerre d’agression est le pire acte de terrorisme qui soit. Néanmoins, les Nations unies n’incluent pas la guerre d’agression dans les 16 exemples de terrorisme.

Les guerres d’Afghanistan et d’Irak sont de flagrantes invasions pour s’emparer des ressources d’un pays et cela s’est passé sans aucune condamnation, parce que les crimes d’agression des États-Unis ne sont jamais condamnés. Par exemple, nous avons beaucoup entendu parler de l’holocauste et aussi du bombardement de Tokyo, avec les cylindres incendiaires lancés sur 60 cités japonaises lesquels ont brûlé plus de 6 millions de Japonais, et cela a culminé avec la bombe d’Hiroshima et de Nagasaki. Eh bien, le plus grand génocidaire de cet épisode, le général Curtis Limae, est le militaire le plus décoré des États-Unis, celui qui a passé le plus d’années à son poste, 17 ans; il est considéré comme un héros. Dans d’autres pays, les assassins sont traités comme tels, mais en Occident on est en train de s’accoutumer à cela.

Et où se trouve notre Église? Qu’a-t-elle à dire et à proposer sur ce point? Rien. Nous sommes un contre-témoignage, une raison de plus pour explorer des espaces qui nous sont offerts sans même les avoir cherché et en profiter.

(B.F.) Pensez vous qu’il existe des conflits et des guerres qui ne puissent pas se solutionner par le dialogue et la négociation?

(M.D.) Je crois qu’il est possible d’éviter la guerre, c’est la raison d’être des Nations unies et on a établi un code de comportement humain qui es la Charte des Nations unies, mais certains pays membres sont les plus grands violeurs de la Charte, parce qu’ils croient avoir plus de droits que d’autres du fait (et d’autres droits par le fait) de leur pouvoir économique et militaire.

La Charte des Nations Unies parle d’égalité souveraine de tous les États, indépendamment de leur dimension géographique et de leur pouvoir militaire ou économique. Ce qui manque le plus sont des personnes qui croient réellement dans les Nations unies et alors celle-ci pourra devenir la plus importante organisation dans le monde pour atteindre la paix.

(M.G.) Du point de vue de l’ONU que vous dirigez, quel avenir voyez-vous pour l’ONU?

(M.D.) Elle a un grand avenir, tout dépend de l’unité des uns et des autres. D’un côté, nous avons les pays du G20 et d’un autre le groupe des 172. Tout n’est pas perdu. Si nous nous unissons, nous le pouvons. Et c’est ce qu’on est en train de faire maintenant en juin, en présentant une nouvelle proposition pour une architecture financière, économique, commerciale, monétaire mondiale qui tienne compte des droits de tous les citoyens de la terre. Parce que ce qui se passe à l’heure actuelle c’est que ceux qui paient les conséquences des règles du jeu établies par quelques uns, ce sont justement ceux qui n’ont pas participé à l’établissement des ces règles. Et de plus, une fois perpétrée l’agression, que font les États-Unis? Ils n’ont pas d’argent pour la payer et alors ils impriment de l’argent sans répondant.

L’une des choses les plus importantes que nous allons obtenir lors de cette réunion des 24, 25 et 26 juin, c’est de nous mettre d’accord pour que le dollar ne puisse plus être la monnaie pour les réserves internationales, pas plus que pour les transactions internationales. Ce devra être une autre monnaie et sur cette question tous les pays du tiers monde vont être d’accord, et même quelques pays européens ainsi que la Chine, puisque ces derniers possèdent 40% de la dette étasunienne.

Le sujet des finances et de l’économie internationale était tabou à l’Assemblée générale. La réunion de Bretton Woods, réalisée il y a 64 ans, fut une réunion des Nations unies, mais la Charte n’avait pas encore été signée et ses membres n’étaient que 44. Les États-Unis ont imposé leur volonté, mais ce fut une réunion des Nations unies et c’est à cause de cela que la Charte fait référence à la Banque mondiale et au genre de coordination qu’il fallait avoir avec ECOSOC, l’Assemblée et tout le reste. Mais cela ne s’est pas réalisé.

Maintenant c’est la deuxième conférence des Nations unies sur le sujet. On m’a dit au Qatar : Nous demandons au président des Nations unies de convoquer une réunion du plus haut niveau et qu’on nous fasse des propositions concrètes sur comment nous devons commencer cette gouvernance économique, financière, commerciale et monétaire mondiale.

(B.F.) En ce temps de crise, comment voyez-vous le rôle de l’Église catholique? Qu’est-ce qu’elle devrait prioriser?

(M.D) Jésus de Nazareth a beaucoup à nous dire, parce que son message concerne le genre de relations à avoir entre nous. L’Église qui serait supposée exister pour proclamer, par son exemple et son message, les enseignements et l’exemple de Jésus, ne se rend-elle pas compte qu’elle a quelque chose à dire au monde?

Quand j’étudiais l’économie politique à l’université de Columbia, un économiste de l’époque commençait à dire : « Nous allons analyser les messages des principaux économistes qui ont contribué à nous amener là où nous sommes, mais je voudrais y ajouter l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, qui disait qu’il n’existe pas une propriété absolue sur rien, que Dieu est l’unique propriétaire de tout ce qui peut exister, que nous sommes des serviteurs et qu’il n’existe pas de cette propriété privée avec droit de gaspiller et de s’en servir à son caprice.

L’Église n’a pas eu besoin d’être persuadée par le Libéralisme de se tenir hors de ce terrain, elle s’en est exclue elle-même, mais ce qui est grave là-dessus, c’est qu’on a cessé de transmettre le message de Jésus et on parle comme si l’économie était quelque chose d’indépendant avec ses règles propres et que les normes évangéliques n’avaient rien à voir là dedans.

(B.F.) Les grandes religions disposent-elles de réserves éthico-spirituelles pour programmer un vivre ensemble entre les peuples qui soit plus égalitaire, juste et pacifique?

(M.D.) Le plus triste c’est que cette culture dominante a été conçue dans le sein de ce qu’on appelait autrefois la Chrétienté, à notre grande honte! Jamais n’y a-t-il eu quelque chose de plus contraire au christianisme que le capitalisme. Le capitalisme est péché! C’est la négation de l’Évangile. Le capitalisme te dit qu’être plus, c’est avoir plus. Rien de plus contraire à la doctrine de Jésus qui te dit : être plus, c’est avoir un cœur plus grand, pour pouvoir étreindre tout le monde. Je pense souvent que si Jésus notre Seigneur venait dans ce monde, il l’excommunierait.

(B.F.) Pedro Casaldáliga, dans un poème à Reagan, disait: Je jure par le sang de son Fils qu’un autre empire a tué et je jure par le sang de l’Amérique latine, grosse aujourd’hui d’aurores, que tu seras le dernier (grotesque) empereur. »

(M.D.)L’impérialisme est l’opposé de la Charte des Nations unies : les pratiques et les rêves impériaux vont à l’encontre la Charte et de notre rêve de créer un monde non violent. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de violence pire que la violence impérialiste.

http://www.atrio.org/?p=1796

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Commentaires
L
Je retiens de ce texte deux phrases-clés: Le capitalisme nous dit "Etre plus, c'est avoir plus" alors que Jésus nous dit " Etre plus, c'est avoir un coeur plus grand pour pouvoir étreindre tout le monde."
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