Le mot "socialisme"
Le mot "socialisme" ne manque pas de beauté, car, si je ne m'abuse, il évoque l'idée d'une société dont tous les membres sont égaux sans qu'aucun ne soit grand ni petit. Dans le corps humain, la tête n'est pas supérieure au reste parce qu'elle oocupe la position la plus haute. Il en est ainsi pour les membres d'une société.
Dans l'esprit du socialisme, le prince et le paysan, le riche et le pauvre, le patron et l'ouvrier sont sur un pied d'égalité. Pour reprendre un terme religieux, on pourrait dire que le socialisme ignore tout dualisme. Il veut l'unité parfaite. Si on jette un coup d'oeil sur les différentes sociétés qui existent dans le monde, on ne voit que dualité ou pluralité. L'unité, elle, brille par son absence...L'unité, selon mes propres vues, peut être parfaite sans empêcher une pluralité de modèles.
Pour atteindre ce but, il ne s'agit pas de prendre les choses avec philosophie et de se dire qu'il ne faut pas bouger aussi longtemps que tout le monde n'est pas converti au socialisme. On peut évidemment, sans changer de vie, continuer de faire des discours, constituer des partis et, comme le faucon, fondre sur sa proie lorsqu'elle se présente. Cette attitude n'a rien à voir avec le socialisme. Dans ce domaine, plus on se comporte en rapace, plus le gibier nous échappe...
Le socialisme, tel que je le conçois, a la pureté du cristal. Il exige par conséquent des moyens tout aussi purs pour arriver à ses fins. Des moyens impurs ne peuvent conduire qu'à une fin impure. Ce n'est pas par l'échafaud qu'on peut établir une véritable égalité entre le paysan et le prince, ou entre le patron et son employé. Le mensonge ne saurait conduire à la vérité. Seule une conduite véridique peut aboutir à la vérité.Peut-on dire que la non-violence et la vérité se ressemblent comme des frères jumeaux ? Absolument pas. L'une et l'autre sont indispensables pour former un tout unique. C'est pourquoi, parfois, on les compare aux deux faces d'une même pièce de monnaie. L'une est indissociable de l'autre. La valeur de la pièce est la même quel que soit le côté qu'on regarde et pourtant, d'une face à l'autre, les inscriptions diffèrent. Mais pour arriver à cette parfaite unité il faut une grande pureté. Que l'esprit ou le corps recèle une seule impureté et aussitôt le mensonge et la violence viennent y faire leur demeure.
En conséquence, seuls des socialistes purs de coeur, non-violents et véridiques sauront bâtir une société authentiquement socialiste en Inde et dans le monde.
Gandhi, Tous les hommes sont frères, Choix de textes, Folio Essais 130, pp 149 à 151