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28 avril 2010

Burka: une opération de diversion

On voit des gens qui considèrent que le combat historique de notre époque est de déterminer si les femmes doivent mettre ou non un foulard sur leurs cheveux, on voit des populations voter avec enthousiasme contre la construction de minarets dans les villes européennes ! C’est, comme on disait autrefois, « à se rouler par terre en donnant des coups de pied à son cheval de bois » ! Toutes ces questions de coutumes ou d’anti-coutumes sont entièrement codées par des choses qui n’ont rien à voir avec une Idée quelconque. Certains me disent : « Songe au pacte républicain ! Dans l’être-ensemble, il faut montrer son visage, etc. » C’est tout de même d’un comique extraordinaire ! J’ai envie de leur répondre que, moi personnellement, je n’ai pas envie de montrer mon visage à tous ces salauds qui nous gouvernent. Au moins, les Anglais rejettent la burqa pour des raisons policières, au bout du compte plus honnêtes : elle peut servir de déguisement à des poseurs de bombes ! Mais quand on en fait une question de civilisation, le grand drame contemporain, on sombre dans le ridicule. Quand on pense à la situation en Palestine, aux préparatifs de guerre contre l’Iran, à l’occupation de l’Afghanistan, aux millions de chômeurs provoqués par la crise financière, à la destruction des services publics, aux lois scélérates contre les familles ouvrières venues de l’étranger, à la montée partout en Europe d’un chauvinisme et d’un racisme de sous- préfecture autrichienne, quand on voit les islamophobes hurler à la mort de notre « civilisation », on se dit que le monde a sérieusement besoin d’une formidable injection de communisme.
[...]

Je suis en effet absolument opposé à ce genre de décision  [l’interdiction du foulard dit islamique], qui relève d’une manipulation dérisoire des phénomènes d’opinion publique. On désigne un ennemi imaginaire. Pour autant qu’il y ait aujourd’hui un ennemi, c’est le détenteur des pouvoirs réels, le détenteur du pouvoir capitaliste. Il n’y en a pas d’autre. Je m’oppose à toute entreprise qui nous ferait croire que l’ennemi est le religieux, le foulard sur les cheveux des femmes ou le visage caché. Ce sont des opérations absolument patentes de diversion et d’aliénation. Elles nous détournent du face-à-face avec l’ennemi réel. [...]  Il y a donc aujourd’hui une manière évidente et lassante d’amuser la galerie avec des problèmes inexistants. Nous sommes dans une crise de la politique, une crise de l’Idée au sens où je l’ai définie plus haut. Notre impuissance est déjà assez grande, hélas, face aux ennemis réels, pour que nous ne tombions pas dans le panneau des ennemis imaginaires.

Alain Badiou


  La philosophie et l’événement, entretien d’Alain Badiou avec Fabien Tarby, éd Germina (pages 40/43).

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Commentaires
Y
Il y a bien manipulation autour du voile intégral improprement appelé « burqa » puisqu’il s’agit d’un « niqab ». Seulement, cette manipulation ne vient pas de ceux qui s’affichent contre mais bien des extrémistes qui forcent des femmes à les porter dans des pays où cela ne se fait pas. Il s’agit ni plus ni moins d’une mise à l’épreuve, d’un test destiné à voir jusqu’où l’on peut aller pour imposer une religion dans un pays qui a mis du temps à reléguer celle dominante dans la sphère du privé. En tentant d’imposer le masque intégral, les provocateurs visent ni plus ni moins un compromis : d’accord pour retirer le niqab mais généralisons le hidjeb en attendant que vous soyez habitués et que le foulard soit banalisé. D’accord pour retirer le niqab mais il faut supprimer la mixité des piscines municipales. D’accord pour retirer le niqab mais il faut que les repas des cantines soient hallal et que les abattoirs soient compatibles avec les normes hallal. En pratiquant la surenchère, on vise ni plus ni moins à faire accepter de moindres contraintes envers les femmes jusqu’au jour où, une nouvelle provocation relancera le débat et fera accepter de nouvelles contraintes. Le temps pour les intégristes religieux ne compte pas : un jour, ça se fera.<br /> <br /> Les prises de position contre le voile intégral ne stigmatisent pas les musulmans mais la partie la plus extrémiste et la plus abjecte, celle qui désigne les femmes tout en les empêchant de vivre normalement. Ce sont bien ceux qui choisissent cette confrontation qui sont à l’origine de la controverse. La stigmatisation vient des extrémistes islamistes qui choisissent de se mettre systématiquement en porte à faux, de provoquer et de montrer à tous qu’il convient de maltraiter les femmes.<br /> <br /> Alain Badiou pratique l’amalgame en faisant référence à des populations musulmanes menacées par des ennemis extérieurs comme si la généralisation du masque pour les femmes allait les soulager de ces menaces. On peut lui opposer d’autres situations comme le complexe pétrolier d’Hassi Messaoud en Algérie où des bandes d’intégristes s’en prennent depuis près de dix ans aux femmes seules qui y travaillent. Ces femmes, dont les maris ont été tués par des terroristes le plus souvent, sont enlevées, torturées, violées, brûlées vives sans que personne ne réagisse à l’exception de femmes journalistes menacées depuis. Les autorités laissent faire et, quand des meurtriers sont arrêtés, ils sont acquittés en prétendant que ces femmes sont des prostituées. Or, c’est la même logique, la même phraséologie qui traite de prostituée une femme gagnant sa vie toute seule et qui force une femme à sortir masquée. <br /> <br /> Alain Badiou suggère également qu’il y a des sujets plus graves à traiter que cette pratique minoritaire dans une religion minoritaire ici. Certes, mais la gravité des situations sociale et internationale ne doit pas s’interdire de lutter contre une pratique régressive et choquante pour la majorité de la population. Il y a quelques années, on disait : il y a d’autres problèmes à régler que de réformer l’orthographe. Il y aura toujours des problèmes graves à régler et il y a assez de législateurs et de commissions pour pouvoir traiter de plusieurs sujets. Il suffit de regarder l’expression d’une femme qui voit une femme masquée et enveloppée de noir pour mesurer l’horreur et le malaise qui se lisent dans ses yeux et se convaincre que le sujet n’est pas négligeable même quand il y a des gens qui dorment et meurent dans la rue. <br /> <br /> Alain Badiou revendique de ne « pas montrer son visage aux salauds qui nous gouvernent ». Le fait-il ? Sort-il dans la rue avec un masque ? Là encore, il s’agit d’une manipulation entre le sens figuré, les intentions et le sens propre car, s’il n’a pas envie de se montrer aux gouvernants, il le fait quand même dans la réalité. D’ailleurs, sinon, il tomberait sous le coup de la loi. Le sujet est trop sérieux pour qu’on s’abstienne de mélanger des intentions abstraites pour rejeter le système en place et la situation concrète de soumission des femmes au quotidien. Notons que ceux qui appuient objectivement le port du niqab se trouvent dans la sphère intellectuelle et qu’il s’agit pour eux d’un simple débat quand la réalité est la mise à l’écart des femmes et la peur des hommes qui les soumettent de les voir adhérer à la société dans laquelle elles vivent.<br /> <br /> On dit parfois que l’interdiction va pousser ces pratiques minoritaires et extrêmes dans la clandestinité. Ce même raisonnement conteste la taxation du tabac parce qu’on peut s’en procurer à l’étranger moins cher, l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs parce qu’ils peuvent demander à un grand d’en acheter à leur place. Certes mais la majorité des gens ne peut pas recourir à ses contournements de la loi. On ne peut pas refuser de légiférer parce qu’on sait que certains emploieront des moyens d’y échapper. Dans ce cas, il n’y a qu’à légaliser le meurtre sous prétexte qu’on pourrait plus facilement identifier les meurtriers. <br /> <br /> Les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes qui n’aspirent qu’à vivre tranquillement –comme tout le monde –et qui subissent cette pression qui les conduisent à demander à leurs épouses, leurs filles, leurs sœurs de s’habiller tristement et de porter ces vêtements inconfortables qui les étouffent dès qu’il fait un peu chaud, dans un magasin par exemple ou comme ces jours-ci.<br /> <br /> Pourquoi est-ce toujours vers le moins-disant que l’on se dirige et, surtout, qu’on veut diriger les autres ? Est-ce en vertu de l’adage selon lequel il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux ? En fait, en matière religieuse, les intégristes n’acceptent pas que ceux qui ne suivent pas leur mode de vie avec toutes ses interdictions vivent mieux qu’eux. Donc, la seule solution consiste à contraindre les autres à partager leurs frustrations, leurs diètes alimentaires, leurs interdiction, leur inculture. Il ne faut pas oublier que les mêmes extrémistes interdisent aussi la musique et mettent les filles à l’écart de l’éducation.<br /> <br /> En Iran, d’où est partie la réaction religieuse en 1979, les femmes, depuis plusieurs années ont pris l’habitude de relever de plus ne plus leurs tchadors découvrant leurs cheveux. On ne peut pas soutenir les femmes iraniennes, soutenir les étudiants qui s’opposent à la régression imposée par leur Président et soutenir, ici, les pratiques religieuses les plus régressives pour ne pas froisser une minorité dans la minorité. Notons en passant que sur l’ensemble du monde, il n’y a que certains pays musulmans où les femmes sortent masquées et encore, la pratique était tombée en désuétude avant 1979. <br /> <br /> Enfin, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas seuls au monde. Quel message envoyons-nous aux femmes des pays musulmans, engoncées dans leurs voiles étouffants, quand elles apprennent que même dans le « pays des droits de l’homme », même dans cet occident où la vie leur parait plus agréable, les musulmanes doivent se masquer et marcher droit derrière l’homme en bras de chemise ? Quel espoir pour les musulmanes qui vivent ici quand les coutumes et les lois ne s’appliquent pas à elles au nom du respect des coutumes des hommes ? Faut-il accepter le sati, la crémation des veuves sur le bûcher de leurs maris, parce que cette pratique a existé dans l’hindouisme au nom du respect laïque des religions ?<br /> <br /> Dans cette affaire, comme dans d’autres depuis les années 2000, il existe déjà assez de lois pour interdire de sortir masqué sur la voie publique. La question qui se pose est de savoir s’il faut rajouter une loi et marquer un grand coup ou seulement –ainsi que suggéré par beaucoup –de faire appliquer plus rigoureusement les lois actuelles en les complétant de circulaires administratives. <br /> <br /> Le débat sur le voile intégral n’est pas un sujet abstrait à traiter entre intellectuels. Tout n’est pas bon pour critiquer le gouvernement. Il s’agit de la dignité de la femme et les difficultés sociales, économiques, culturelles ne doivent pas trouver une réponse facile en laissant opprimer un peu plus des femmes. Non monsieur Badiou, on ne luttera pas contre le capitalisme en banalisant le port d’un masque intégral sur les visages de quelques femmes contraintes d’étouffer dans des vêtements inconfortables. L’obscurantisme religieux et la phallocratie ne sont pas les ennemis du capitalisme, bien au contraire.
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T
...les salauds qui te gouvernent te permettent de les traiter comme tel, ce qui est un bel exemple de tolérance ...Je ne sais pas si dans le cas contraire, tu permettrais à des "citoyens" de te traiter de la sorte ... ah c'est vrai, en tant que dépositaire de la vraie vérité vraie, tu serais vénéré par tes ouailles ! <br /> Badiou suit le vieux principe suntzuien de "l'ennemi de mon ennemi est mon ami", et sa haine du capitalisme pourrait l'amener à s'allier avec n'importe qui ...comme quoi, le fanatisme badiouien fait souvent peur ...
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T
Sacré Badiou !
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