Communisme des conseils, par Michel Peyret
Michel Peyret le 8 juin 2010 UNE NOUVELLE GENERATION DE PARTIS COMMUNISTES Dans un récent article, intitulé:« Peu importent les
marteaux et
les faucilles », je citais Mansoor Hekmat qui, dans une interview de
l'automne 1989 relative au communisme ouvrier, répondait à des
critiques: « Bien sûr, ma discussion peut être accusée de bien
des choses, y
compris de la « primauté du mouvement sur la théorie », ou
« d'économisme », ou encore de surévaluer la « spontanéité »
par rapport à la « conscience ». « Je crois que toutes ces caractérisations, plus
encore que ce
qu'elles nous disent sur nos conceptions et nos défauts, trahissent le
schématisme de la pensée de nos critiques potentiels. QUEL MOUVEMENT? « La question principale, c'est: « quel
mouvement? ». « Le point central, c'est que toutes les tendances du
socialisme
existant, peu importent les marteaux et les faucilles qu'ils mettent sur
leurs
affiches, ou le nom de Marx ou de Lénine qu'ils ont aux lèvres, ont en
général
été les mouvements sociaux de classes désenchantées, à la recherche de
réformes,
de changements non-socialistes. « La question de la relation entre la théorie et
l'action
politique des partis dans ce mouvement, leurs priorités respectives et
ainsi de
suite, ne peuvent être débattues qu'au sein de ces traditions
elles-mêmes. « Notre argumentation appartient à un autre
mouvement, qui a
existé, qui existe à l'écart de ce socialisme non-ouvrier, avec sa
propre
théorie et sa propre pratique. « C'est un fait que, dans ce mouvement, c'est-à-dire
le
communisme-ouvrier, la théorie et le mouvement ne sont pas séparables
comme deux
choses indépendantes. « La question de la primauté de la théorie sur le
mouvement, et
vice-versa, n'a pas de sens dans notre système de pensée. « Ce sont deux niveaux de manifestation d'un même
mouvement
social. « Selon moi, quiconque lit Le Manifeste du parti
communiste
attentivement comprend que c'est le manifeste du mouvement ouvrier, ce
n'est pas
l'esquisse d'une sociologie scientifique qui devrait être enseignée,
élaborée ou
transformées en son propre sujet, indépendamment de ce mouvement
ouvrier. » LE MANIFESTE DU MOUVEMENT OUVRIER Et, quelques lignes plus loin, Mansoor Hekmat
poursuit: « Le marxisme ne peut être compris et étudié comme
théorie en
tant que telle. « Les polémiques internes, les interprétations
divergentes et
parfois conflictuelles de la théorie surviennent seulement quand
différentes
tendances sociales l'emploient pour répondre à leurs problèmes
particuliers. « Par exemple, la théorie marxiste a proposé son
propre point de
vue sur la révolution communiste, les conditions de sa réalisation et
ses
tâches. « Mais la problématique du « socialisme dans un seul
pays » a émergé dans le contexte de la controverse historique et sociale
entre les tendances réelles de la révolution russe sur le développement
de
l'Union soviétique. « Dans le Capital, Marx a clairement expliqué la
relation entre
les prix et la valeur dans la société capitaliste. « Mais le « problème de la transformation » est
devenu
un problème théorique seulement dans ce contexte historique et social
spécifique, et pour une force sociale particulière. « La même chose est arrivée à la thèse de la
dictature du
prolétariat, sur la question de l'interaction entre infrastructures et
superstructures, sur le socialisme et le marché, … « Chacune a été la source d'une polémique majeure,
prolongée, au
sein de la soi-disant tradition marxiste et ne peut être discutée sans
prendre
en compte les intérêts sociaux sous-jacents, sans reconnaître quelle
lutte
sociale objective est en jeu. » L'APTITUDE A SE SAISIR DU CONCRET ET DU NOUVEAU Je suis confus d'avoir dû faire une si longue
citation pour en arriver
à reconnaitre chez Mansoor Hekmat une maîtrise assez exceptionnelle de
l'apport
de Marx à la réflexion théorique et pratique indispensable au mouvement
révolutionnaire. L'essentiel n'est pas en effet dans la répétition de
formules qui
n'ont de sens que dans une ou des situations concrètes et dans l'étude
concrète
de ces situations concrètes, des contradictions concrètes qui y sont à
l'oeuvre,
de la connaissance nécessaire des modalités diverses des évolutions
possibles
selon les comportements des forces ou mouvements concrets qui y sont à
l'oeuvre. Dit autrement, il est justement indispensable de
sortir des
raisonnements mécaniques privilégiant la connaissance acquise dans
l'étude de
faits anciens qui ne peut que masquer l'apparition de faits, de
caractères
nouveaux qui ont comme conséquence le surgissement de nouvelles
situations
nouvelles avec leurs propres contradictions à l'oeuvre. En conséquence de quoi, nulle part et en aucune
circonstance, il n'est
possible de penser et élaborer sans l'aptitude à se saisir du nouveau
que
comporte toujours une situation et qui fait qu'elle n'est jamais
entièrement, ni
même partiellement comparable à d'autres situations déjà connues et
analysées. Cet apport de Mansoor Hekmat est effectivement bien
précieux et il est
utile de l'observer à l'oeuvre dans l'analyse à laquelle il
procède. LE SOCIALISME, MOUVEMENT SOCIAL EXISTANT... Il en est ainsi quand il souligne le caractère social
objectif du
socialisme ouvrier: « Un point essentiel, dit-il, sur lequel nous avons
constamment
mis l'accent dans les débats de ces dernières années, c'est que le
socialisme
ouvrier est un mouvement social qui existe de façon indépendante, et non
un
produit dérivé de l'activité de marxistes ou de communistes. « C'est un mouvement né de l'histoire et qui se
poursuit. « La lutte contre la capitalisme, pour le remplacer
par le
socialisme au moyen d'une révolution ouvrière, est une conception
vivante,
fermement établie au sein de la classe ouvrière – c'est une tradition de
lutte
vivante. « La théorie, la conscience de ce mouvement peut, à
une période
donnée, être adaptée ou inadaptée, vraie ou fausse. « Quoiqu'il en soit, il existe toujours un courant au
sein du
mouvement de la classe ouvrière qui aspire et essaye constamment de
pousser la
classe tout entière dans cette direction socialiste. ...QUI PREND FORME DANS LA LUTTE REELLE Pour Mansoor Hekmat en effet, un de ses aspects
distinctif, c'est de
voir le socialisme, le communisme, le parti communiste-ouvrier, comme
quelque
chose qui prend forme dans le contexte de la lutte réelle, objective, de
la
classe ouvrière. « Le socialisme, dit-il, n'est pas un modèle, une
utopie, ou un
dessein fondamental pour la société, qui se contenterait de nous
attendre, nous
socialistes, pour le mettre en oeuvre. « Ce n'est pas un objectif arbitraire ou une
prescription
importée du royaume de la raison dans celui de la pratique. « Le socialisme est, d'abord et avant tout, un cadre
pour une
certaine lutte sociale qui existe inévitablement et indépendamment de la
présence ou de l'absence d'un parti; c'est un mouvement social qui s'est
poursuivi tout au long des 19ème et 20ème siècles, et qui est, encore
aujourd'hui, clairement observable. » L'OBJECTIF DE CE SOCIALISME Pour Mansoor Hekmat, l'internationalisme est aussi
une autre
caractéristique de la tradition de son socialisme... Mais quel est l'objectif de ce socialisme? On sait, dit-il, qu'il a été défini et interprété de
bien des
façons. Mais, ajoute-t-il, « nous sommes l'un des rares
courants qui
mette l'accent sur le fait que le socialisme doit être identifié avec
l'abolition du travail salarié et l'instauration de l'égalité économique
entre
les personnes. « Cela signifie l'égalité de statut des personnes
dans la
production sociale. « Cela nous distingue clairement de tous les courants
qui
identifient le socialisme avec la planification d'Etat, avec
l'industrialisation
ou la redistribution des richesses. « Nous maintenons que le socialisme requiert
l'abolition du
travail salarié et la transformation des outils de travail, des moyens
de
production, en propriété commune de la société... « Le bien-être social et la sécurité économique des
personnes ne
peuvent être que le résultat d'une telle révolution dans les fondations
économiques de la société. UN POINT DE VUE MARXISTE CRITIQUE SUR LE MONDE Le socialisme est aussi un point de vue marxiste
critique sur le
monde. Le parti a été créé dans la tradition marxiste, et en
défense de
Marx. « Le communisme-ouvrier, dit Mansoor Hekmat, selon
moi, ne peut
aller bien loin sans le marxisme. « Défendre Marx et le marxisme, comme critique
sociale, est un
trait distinctif de notre tradition. « Il y a des gens qui, aujourd'hui, voudraient bien
maintenir
leurs partis de gauche pour rester sur la scène politique en tant que
socialistes, mais, en même temps, reconnaissent que pour le faire, ils
doivent
d'abord réviser ou modifier le marxisme. « Par exemple, essayer d'assembler « démocratie » et
« marché » avec le marxisme et le socialisme. « Pour autant que cela nous concerne, il s'agit
d'absurdités sans
intérêt. « Je crois que la plupart de ceux qui abandonnent le
marxisme
sont des gens qui l'ont d'abord accepté, non comme un point de vue
critique,
éclairant, mais comme une école de pensée à la mode qui s'est imposée à
eux. » LES CAUSES HISTORIQUES DE L'ECHEC DU COMMUNISME Tout communiste, selon Mansoor Hekmat, devrait
pouvoir répondre à la
question: qu'est-ce qui est arrivé au communisme? « Nous disons que ce qui, en pratique, est arrivé à
son terme
mortel, est un autre mouvement social de classe, un mouvement qui n'a
aucun
rapport de parenté – excepté le nom – avec le socialisme, avec le
marxisme, et
avec le mouvement social de la classe ouvrière. « Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est la défaite
d'un
certain mouvement social pseudo-socialiste qui a émergé au 20ème siècle
et a été
représenté par les partis dirigeants du bloc de l'Est et ses divers
surgeons
pseudo-socialistes – soutiens ou critiques du courant principal – en
dehors de
ce bloc. « En effet, cet effondrement requiert en lui-même une
analyse
précise. « Mais nous devons expliquer pourquoi jusqu'ici, de
manière
distincte de ce bloc, le mouvement de la classe ouvrière a été
inefficace... « Il y bien longtemps que nous avons été défaits
là-bas, que nous
avons été forcés à l'isolement, et que nous avons perdu la vaste
influence que
nous avions au sein du mouvement ouvrier et dans la politique
internationale... « Alors, si on nous demande aujourd'hui pourquoi le
communisme
n'a été atteint nulle part un siècle et demi après Marx, notre réponse
sera que
la bourgeoisie nous a infligé une sérieuse défaite à la suite de la
révolution
de 1917; une défaite dont nous ne sommes pas encore remis. « C'était donc la montée, et non la chute, du bloc de
l'Est qui a
amené la défaite du communisme ouvrier... « La victoire du socialisme n'est pas un résultat
inévitable et
prédéterminé... LA CAUSE DE LA SURVIE DE LA BARBARIE CAPITALISTE JUSQU'ICI Pour Mansoor Hekmat, l'issue est le destin d'un
mouvement défini: le
mouvement socialiste de la classe ouvrière. « La cause de l'état actuel des choses, la cause de
la survie de
la barbarie capitaliste jusqu'ici est que ce mouvement a été défait à un
tournant critique de l'histoire contemporaine. « Nous avons été défaits dans l'expérience de l'Union
soviétique,
une défaite qui a conditionné le destin du monde pour plusieurs
décennies. « Nous n'étions pas représentés de manière adéquate,
ni
politiquement, ni intellectuellement, dans les controverses fatales qui
ont eu
lieu dans les années 1920, dans l'évolution post-révolutionnaire de
l'économie
soviétique. « Nous n'étions pas préparés à l'avance pour ce
défi. « Aucun des leaders du mouvement socialiste de la
classe ouvrière
russe n'est entré dans cette période avec une vision économique claire,
et de ce
fait, aucune résistance n'a été organisée, du point de vue du communisme
ouvrier, contre l'avancée du nationalisme et de la vision économique
bourgeoise... « Nous n'avons pas réussi à conserver notre classe
sous notre
propre bannière. « Ainsi, nous avons manqué, en pratique, à une étape
décisive et
en regard de la question cardinale de l'ère post-révolutionnaire,
c'est-à-dire
la question du contenu économique de la révolution d'octobre, d'un
drapeau, ou
d'un programme indépendant. » LES RELATIONS ENTRE LE PARTI ET LA CLASSE Aujourd'hui, considère Mansoor Hekmat, notre parti
est celui d'une
certaine tradition de lutte au sein de la classe ouvrière
elle-même. « Sa relation avec la classe ouvrière est ainsi basée
sur la
relation de cette tendance au sein de la classe toute entière. « Cela signifie, premièrement, que ce n'est pas un
parti formé
par un groupe de réformateurs sociaux pour le salut de la classe
ouvrière, mais
formé par une partie, une tendance au sein de la classe ouvrière
elle-même avec
pour objectif d'unifier et de mener la classe tout entière vers ses
objectifs de
classe. « Deuxièmement, il est donc clair que le parti
communiste ouvrier
n'est pas un parti de « tous les travailleurs » indépendamment de
leurs objectifs politiques et sociaux... « En d'autres mots, ce n'est ni un parti dérivé
d'idées
préconçues ou d'une théorie qui devrait maintenant être implanté dans la
classe
ouvrière, ni un parti de tous les travailleurs indépendamment de leur
perspective sociale. « C'est un parti de travailleurs socialistes qui,
développent une
critique fondamentale et complète du système actuel... » LE MOUVEMENT DES CONSEILS Mansoor Hekmat se revendique de la tradition des
conseils comme
principale forme d'organisation et d'action directe des masses
ouvrières. « Si, dit-il, le mouvement des conseils est établi
lui-même de
façon suffisamment ferme pour être capable de prendre en charge les
aspects des
luttes défensives qui sont à présent organisées par les syndicats, alors
il peut
être correct de demander aux travailleurs de quitter les syndicats et de
rejoindre les conseils et le mouvement des conseils... « Nous nous efforçons de construire et renforcer le
mouvement des
conseils au sein de la classe ouvrière. « Et avec nos progrès, nous appelons les travailleurs
à rejoindre
cette alternative. « Nous reconnaissons la valeur des syndicats pour les
luttes
ouvrières en l'absence de conseils forts et d'un mouvement des conseils,
mais
nous n'abandonnons pas nos vues critiques et indépendantes vis-à-vis des
syndicats. » ( Ces extraits proviennent d'un discours de Mansoor
Hekmat à la
première conférence des cadres du Parti communiste-ouvrier d'Iran en mai
1992,
discours reproduit par « La Bataille socialiste » sous le titre:
« Les caractéristiques fondamentales du Parti communiste-ouvrier
)
NDLR: voir aussi http://alainindependant.canalblog.com/archives/2008/11/11/11322623.html