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3 janvier 2008

Lucien Sève: Le communisme est mort, vive le communisme !

Pour Lucien Sève, la crise du communisme exige le passage « de la forme-parti verticale à la forme-mouvement horizontale ». Il préconise la création d’« ateliers de militants avec pleins pouvoirs d’élaboration ». Entretien.

L’épisode politique qui vient de se jouer en France, comment l’abordez-vous ?

Lucien Sève. Avec la mort de ce qu’on a si improprement appelé « le communisme », l’histoire a changé de phase. Le nouveau « tout est permis » du capital mène à des catastrophes démesurées. Or c’est toujours la même absence mentale et pratique de vraie alternative à gauche. Tous nos malheurs tiennent à cette carence. D’où la tâche de ceux qui persistent à penser dans le sens de Marx. Depuis des années nous parlons d’« inventer un communisme du XXIe siècle ». Assez répété. Passons enfin à l’acte.

Dans un texte que vous avez rendu public récemment (*), vous vous positionnez dans une discussion à l’intérieur du PCF. En quel sens cette discussion vous importe-t-elle comme philosophe ?

Lucien Sève. Je suis certes philosophe, mais soyons clair : ce texte intitulé « Le communisme est mort, vive le communisme ! », je l’ai écrit non comme philosophe mais comme militant conscient que se joue en ce moment la survie du communisme en France.

Et si j’ai décidé de rendre public un long texte, on voudra bien croire que la raison en est impérieuse : je tiens la façon même dont est posé notre problème pour fallacieuse. De tout ce que je lis ressort que nous serions devant un dilemme : ou dissoudre le PCF et n’être plus qu’une composante d’une éventuelle formation antilibérale, ou le revigorer moyennant un espoir de novation dont le contenu est des plus vagues. Ou laisser se perdre l’identification communiste ou, pour la garder, rester rivé à la forme-parti moribonde qu’est le PCF. Problème tronqué. Quant à moi, et je suis loin d’être seul, je rejette ces deux options, à mes yeux également désastreuses. Je plaide pour une troisième, esquissée de longue date et qu’on ne saurait mettre sous la table. Elle se caractérise ainsi : faire bien mieux valoir dans sa plénitude autonome l’identification communiste, et pour cela en finir avec cette forme-parti devenue contre-productive qu’est le PCF. Je sais le casier politique chargé du mot communisme. N’empêche que le ou la communiste qui fait durablement un bon travail de terrain peut gagner bien des voix et même se faire élire en disant clairement sa couleur. Le terrible 1,93 % de la présidentielle n’est pas dû à la référence communiste, mais à tout autre chose, que dit crûment un de ces « communistes sans domicile fixe » présentés par l’Humanité du 28 novembre, et il faut féliciter le journal de cette riche initiative. Il dit : quand le PCF a choisi de présenter son propre candidat, « on a joué la boutique contre l’intérêt général ». Voilà. C’est de nous cramponner à une forme-parti perçue comme répulsive que nous payons si cher.

Dans quelle mesure ce que vous dites là renouvelle l’état des lieux que vous dressiez dans votre dernier livre, Marx et nous, où vous évoquiez alors une « tragédie shakespearienne du marxisme et du communisme » ?

Lucien Sève. Cette réflexion vient de bien plus loin que Marx et nous. Il y a vingt-cinq ans que je me bats pour la visée communiste, au PCF on ne parlait naguère que de socialisme. J’entrevoyais quelle mystification recouvre la thèse non marxienne qui fait du socialisme l’antichambre du communisme, alors que ce sont deux visées bien différentes. Ainsi le communisme implique le dépérissement de l’État de classe (pas des pouvoirs publics), le socialisme, lui, a toujours inclus un étatisme, c’est même pourquoi Marx et Engels ont intitulé leur manifeste « communiste » et non pas « socialiste ». Vastes questions appelant un travail théorique dont le PCF se soucie bien peu aujourd’hui.

Vous dites à la fois que le communisme est mort et que le communisme écrit en italique demeure un « possible » de notre époque. Dans le premier cas, votre raisonnement s’appuie sur des faits, dans le second, vous semblez plutôt exprimer une conviction ou une croyance. Que répondez-vous ?

Lucien Sève. Est mort ce que l’idéologie dominante appelle « le communisme », je mets le mot entre guillemets parce qu’il y a là un vrai abus de langage. L’URSS n’a jamais été un pays communiste au sens fort du terme, et nous-mêmes n’avons guère fait de politique avec le communisme en ce sens fort. La conquête insurrectionnelle du pouvoir étant d’évidence exclue en France à notre époque, nous nous sommes repliés de fait pour l’essentiel sur les batailles électorales. Aussi voit-on en nous un parti comme les autres, mais sans chance d’accéder vraiment au pouvoir. D’où la terrible perte de crédibilité, même s’il y a des lieux où subsiste une vitalité communiste. Mais végéter nationalement à moins de 5 % des suffrages exprimés quand on a pour raison d’être de transformer le monde, est-ce être encore vivant ?

Le communisme au sens fort, c’est bien autre chose : le dépassement des grandes aliénations historiques de l’humanité, l’appropriation par tous et chacun de leurs « puissances sociales » : avoirs, savoirs, pouvoirs… Face à la mise en privé généralisée du capitalisme, la mise en commun de tout ce qui est social. Et cela non comme « idéal » mais, vue cruciale encore peu comprise, je le crains, comme mouvement réel à impulser, mais dont l’action contradictoire du capital fait foisonner des présupposés objectifs. C’est le point décisif. Ainsi le rôle aujourd’hui exigé du travailleur dans la production exige aussi qu’on lui reconnaisse des pouvoirs dans la gestion. C’est vrai dans tous les domaines : partout de nouveaux possibles honteusement gâchés ouvrent de nouveaux horizons. Il s’agit d’en tirer avec esprit de suite un ensemble cohérent d’initiatives engageant au présent sur tous les terrains des appropriations communistes. Aucun acte de foi là-dedans. Il s’agit de partir du réel et de ne pas en lâcher un instant les possibles. Voilà pourquoi est capitale la référence au communisme, seul mot qui dise vers quoi dépasser le capitalisme. J’entends bien ceux pour qui le terme est par trop discrédité. Mais supposé que nous renoncions à nous battre pour le réhabiliter, croit-on que l’adversaire hésiterait à coller quand même cette étiquette sur une force anticapitaliste la récusant ? À leur corps défendant, les antilibéraux allemands sont encore en proie à l’image caricaturale des « communistes de l’Est ». On ne résout pas un problème en le fuyant.

N’est-il pas paradoxal, excepté peut-être quelques individualités, que ce soient les militants les plus intéressés à construire une société libérée de l’exploitation qui aient participé de cette « mort » du communisme ?

Lucien Sève. Ce paradoxe, n’est-ce pas celui qu’un communiste SDF de mes amis appelle le « syndrome Brejnev » ? Une activité se voulant communiste est menée au travers d’une culture d’organisation qui produit par principe le contraire. Dans des conditions très différentes, n’est-ce pas quelque chose du même ordre qui nous asphyxie ?

N’y a-t-il pas chez Marx et, au-delà, chez tous ceux qui ont théorisé la révolution communiste des sources qui permettent aussi de comprendre cet échec ? Pourquoi revenir néanmoins à Marx ?

Lucien Sève. Bien sûr, Marx n’a pas tout juste. On peut penser par exemple qu’il a sous-estimé l’impact désastreux de la dictature du prolétariat sur la visée communiste. Ou que, focalisé sur l’économique et le politique, il a méconnu l’importance du sociétal, du symbolique. Mais il a analysé avec une telle pénétration la dynamique du capitalisme que son oeuvre éclaire encore puissamment notre présent. Ainsi il a anticipé sur l’irruption de la science dans la production, la productivité sans précédent qu’elle allait permettre, l’obsolescence de l’exploitation du salariat qu’elle annonçait, les prémisses objectives de son dépassement communiste dont elle était porteuse… Nous y sommes en plein. La visée communiste de Marx était tellement en avance sur son temps que le mouvement révolutionnaire lui a préféré ce socialisme dont le XXe siècle a montré les terribles limites. C’est seulement face au capitalisme d’aujourd’hui que ce communisme donne toute sa mesure, à condition que nous le pensions à neuf pour notre temps.

Cela fait longtemps que le PCF dit comme vous que le communisme n’est pas un idéal mais est ce mouvement, ce combat contre les aliénations secrétées par l’ordre social capitaliste dans ses métamorphoses incessantes. Y a-t-il un malentendu ?

Lucien Sève. On cite la formule, mais je n’en vois pas tirer les conséquences dans la façon de faire. Il est urgent de ramener le centre de gravité de notre politique sur tous les terrains de la transformation sociale. Mais on ne peut l’y ramener d’en haut. Seuls le peuvent les militants. Alors, qu’on leur en reconnaisse la pleine responsabilité ! Imaginons : dans chaque section, les militants décident de grandes initiatives à engager, choisissent celles qui les motivent. Des ateliers se constituent avec plein pouvoir d’élaboration.

Des ateliers de même objectif agissent ailleurs : on échange les expériences, on approfondit les problèmes, on coordonne les projets. L’initiative devient l’affaire commune de toute une famille d’ateliers, elle se nationalise, voire s’internationalise ; elle devient une pépinière de compétences, instrument de transformation à taille efficace comme jamais cellule n’a pu l’être. Ne voit-on pas s’esquisser un mouvement politique - appelons-le par hypothèse « communiste » - rendant palpable une façon vraiment différente de faire de la politique, en restituant son mordant à toute la gamme des enjeux de classe ?

L’exercice et la conquête du pouvoir sont aussi une source majeure d’aliénation. Vous ne proposez pas pour autant que le mouvement de transformation sociale se passe d’organisation, ni d’un Parti communiste ? N’est-ce pas vouloir faire revivre ce qui est mort ?

Lucien Sève. Bien sûr qu’il faut une organisation. Mais d’un communiste on peut attendre qu’il sache dissocier organisation et pouvoir. Le vieux préjugé de classe est qu’il n’y a pas d’ordre sans chef. C’est faux. Le cerveau humain est une merveille de mise en cohérence sans chef d’orchestre. Le monde regorge de cohérences non pas verticalement imposées mais horizontalement produites. Or le moule historique du Parti est vertical par essence, étant né en un temps où la cohérence était à introduire du dehors dans le prolétariat. La formidable autonomisation des individus a rendu cette forme irréversiblement caduque. On peut faire miroiter l’espoir que le PCF va retrouver une nouvelle jeunesse, mais on est bien en peine de dire comment, et pour cause. Osons le dire : la verticalité est anticommuniste. La forme PC est une contradiction bloquée : on veut que tous prennent le pouvoir dans la société, mais dans le Parti, les communistes en sont structurellement dessaisis par une direction. Pas étonnant que le PC au pouvoir ait partout produit non de la démocratie mais de l’autocratie. C’est avec ça qu’il faut en finir, en passant de la forme-parti verticale à la forme-mouvement horizontale. Ce qui exclut non pas l’existence d’organismes centraux, mais qu’ils se constituent en instances dominantes. Tout ça est à élaborer, mais on n’engage pas le travail théorique nécessaire.

Comment passe-t-on à cette nouvelle organisation ? Avec quelles conséquences du point de vue des références politiques (élections, institutions, etc.) ?

Lucien Sève. Le grand argument pour en rester au PCF, c’est la peur du vide. Mais pourquoi faudrait-il un saut dans l’inconnu ? Décidons d’une expérimentation où les communistes motivés, avec et sans carte, créent un peu partout dans le pays sur des thèmes choisis des ateliers travaillant en maillage horizontal, en y ajoutant des organes appropriés mais subordonnés, pour assumer les exigences de la politique institutionnelle, telles les élections nationales. Expérience à l’appui, on définira les traits d’un mouvement communiste auquel un congrès peut nous faire passer en dissolvant seulement alors le PCF. Le tout est d’admettre une expérimentation menée non pour qu’elle échoue, mais pour qu’elle réussisse…

Pour vous, il s’agit d’une priorité de la plus haute importance ?

Lucien Sève. À mon sens, c’est notre dernière chance. Que disent ces communistes SDF dans l’Huma, et avec eux tant de milliers d’autres ? Communisme, oui ; PCF, non. Leur répondre : notre porte est grand ouverte, c’est refuser de les écouter, eux et ceux qui pensent de même dans le Parti. Notre problème a une solution, pourvu qu’on se décide à entendre. Il faut dépasser la forme morte du PCF pour que vive le mouvement communiste de notre temps.

(*) Le « communisme » est mort, vive le communisme ! Le texte intégral de cette contribution de Lucien Sève est publié sur le site Internet de l’Humanité : www.humanite.fr, rubrique Dossiers, Communisme quel avenir ? et sur http://j.brenon.free.fr/seve.doc, site ami.

Entretien réalisé par Lucien Degoy et Olivier Mayer

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