Poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar
titre original : Hâlat hisâr éditeur original : Riad el-Rayyes, Beyrouth, 2002
Actes Sud / Sindbad, 2004
Extraits :
Ici, sur les pentes des collines, face au couchant Et à la béance du temps, Près des vergers à l’ombre coupée, Tels les prisonniers, Tels les chômeurs, Nous cultivons l’espoir.
(…)
De plomb, le ciel de midi, Orangé, la nuit. Quant aux cœurs, Ils sont restés neutres ainsi que les roses de la clôture.
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Dans le siège, la vie est l’intervalle Entre le souvenir de son achèvement Et l’oubli de sa fin.
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La vie. La vie, toute la vie Avec ses carences, Accueille des étoiles voisines, Sorties du temps, Et des nuages migrants, Sortis du lieu. Et la vie ici Se demande Comment leur redonner vie.
(…)
[A un assassin] Si tu avais contemplé le visage de la victime, Réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre à gaz, Tu te serais délivré de la sagesse du fusil Et tu aurais changé d’avis : Ce n’est pas ainsi que l’on recouvre son identité !
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[A un autre assassin] Si tu avais laissé trente jours au fœtus, Les possibilités auraient été autres : L’occupation finie, le nouveau-né aurait oublié Les temps du siège, Il aurait grandi en bonne santé, serait devenu un jeune homme, Aurait étudié avec l’une de tes filles L’histoire ancienne de l’Asie Et ils auraient pu s’aimer, Donner jour à une fille (et elle serait juive de naissance !). Qu’as-tu donc fait ? Ta fille est aujourd’hui veuve, Ta petite-fille, orpheline. Qu’as-tu fait de ta famille fugitive ? Comment as-tu pu, d’une seule balle, abattre trois colombes ?
(…)
Ce siège durera jusqu’à ce que l’assiégeant, Comme l’assiégé, réalise que l’ennui Est l’un des attributs de l’Homme.
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Vous qui veillez ! N’êtes-vous pas fatigués De surveiller la lumière dans notre sel ? Et du feu des roses dans notre plaie, N’êtes-vous pas fatigués, vous qui veillez ?
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Pays au point de l’aube, Réveille ton cheval Et monte Léger, léger, Pour devancer ton rêve. Et si le ciel te retardait, Assieds-toi sur une roche qui soupire.
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[A un poète] Chaque fois que l’absence t’a abandonné, Tu t’es trouvé impliqué dans la solitude des dieux. Sois donc "le dedans" errant de ton dehors Et "le dehors" de ton dedans, Sois présent dans l’absence.
(…) A un gardien de prison] Je t’apprendrai l’attente A la porte de ma mort ajournée. Prends ton temps, prends ton temps, Tu pourrais en avoir assez de moi, Me libérer de ton ombre Et entrer dans ta nuit, Libéré de mon fantôme !
(…)
Cette terre est basse, haute, Sainte, adultère, Nous ne nous soucions pas de la science des attributs, Car la fente, La fente des cieux, Pourrait devenir Géographie !
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Le martyr m’assiège tous les jours de ma vie. Il me demande : Où étais-tu ? Rends aux dictionnaires tous les mots Que tu m’avais offerts, Et pour les dormeurs, réduis le grondement de l’écho !
(…)
Mes amis me préparent toujours une cérémonie D’adieux, une tombe confortable à l’ombre des chênes, Une stèle en marbre inaltérable. Mais je les précède toujours aux funérailles : Qui est donc mort … Qui ?
(…)
Que la paix soit sur celui qui partage Mon ivresse de lumière, la lumière du papillon Dans la nuit de ce tunnel.
(…)
La paix, deux ennemis qui rêvent chacun De bâiller sur les trottoirs de l’ennui.
La paix, gémissements de deux amants qui se lavent Au clair de lune.
(…)
La paix, chant funèbre pour le cœur du jeune homme transpercé par un grain de beauté, Non par les balles ou les éclats d’obus.
La paix, chanter une vie, ici, dans la vie, Sur la corde de l’épi.