Il faut un réveil de conscience
Pour que se produise enfin, sur notre planète en péril, un changement
radical d'orientation de nos sociétés, il ne suffit pas de réformes
économiques et sociales, ni même de révolutions et de transferts de
pouvoir. Pour opérer une radicale mutation, il faut un véritable
soulèvement spirituel, un réveil global de conscience...
L'éducation, de ce point de vue, a pour fin première la libération et la
culture de l'imagination. Il n'est pas d'éducation plus révolutionnaire
que celle qui tend à faire prendre conscience à l'enfant que le monde
n'est pas une réalité donnée, toute faite, mais une oeuvre à créer,
comme une oeuvre d'art.
L'art est le symbole de l'acte de vivre, de créer.
Cette manière d'aborder le monde est un choix, un postulat, un acte de
foi, comme est un choix, un postulat, un acte de foi, l'attitude inverse
de la résignation, de l'acceptation du monde prétendument "donné",
inchangeable en ses mortelles dérives.
Contre ce choix inavoué de la passivité, tout enfant doit pouvoir
mesurer, au-delà des religions institutionnelles, le sens de la foi
comme possibilité de transgression des morales, des logiques, des ordres
établis.
A partir de cette éducation des dimensions proprement humaines de
l'imagination créatrice, et de la foi comme possibilité permanente de
rupture avec le passé, peut naître une pratique nouvelle de la
politique.
Aucune institution, aucune loi n'est intouchable. Son ancienneté ne la
rend pas digne de respect si elle n'est plus qu'un projet fossilisé.
L'imagination politique est l'art de retrouver le projet vivant sous
l'institution ou la loi sclérosées, l'intention qui anima le
législateur, soit pour les adapter, soit pour les remplacer.
En redécouvrant la finalité des projets qui se sont cristallisés en eux,
"faire entrer dans la danse les rapports sociaux pétrifiés en leur
jouant leur propre mélodie dialectique ", disait Marx.
Cette imagination critique est au principe de toute thérapeutique
sociale contre le conservatisme intégriste ou totalitaire. L'intégrisme
consiste à identifier une foi religieuse ou politique avec la forme
culturelle ou institutionnelle qu'elle a pu revêtir à une période
dépassée de son histoire.
Le totalitarisme consiste à considérer comme totalité absolue une
totalité qui n'est pas universelle: la nation, le parti, l'Etat, le
dogme. Seul l'horizon de la totalité véritable, c'est-à-dire
universelle, peut combattre le totalitarisme, c'est-à-dire l'aveuglement
du partiel qui se prétend le tout.
La politique ainsi conçue n'est pas une technique de l'accès au pouvoir
et du maintien au pouvoir, une technocratie politique des moyens. Elle
est ordonnée à la fin avant-dernière: donner à chaque enfant, à chaque
femme, à chaque homme, tous les moyens de développer pleinement toutes
les possibilités humaines qu'il porte en lui. L'organisation des moyens
pour atteindre cette fin doit être homogène au but poursuivi, car la fin
n'est jamais supérieure aux moyens mis en oeuvre pour l'atteindre.
Roger Garaudy, Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants. pp 207-209 (extraits). L'Archipel éditeur.