Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A l'indépendant
Publicité
  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 420 675
18 novembre 2009

Critique radicale de la valeur et critique du travail (Repenser la théorie critique du capitalisme)

 

Interview de Moishe Postone par Salih Selcuk, publiée dans YARIM, Istanbul, février 2005
Traduction L.M., novembre 2009 (publié sur http://www.principiadialectica.co.uk/blog/?page_id=2 )

1. Vous reformulez les catégories de base de la critique marxienne de l’économie politique. Selon vous, où le marxisme se révèle-t-il insuffisant de nos jours lorsqu’il tente d’expliquer la société capitaliste ?

2. Comme vous l’affirmez, le « travail » semble être la catégorie de base qui constitue la vie capitaliste. Peut-on formuler aujourd’hui une critique intelligente du capitalisme sans critiquer le travail ?

Ma reformulation des catégories centrales de la critique marxienne de l’économie politique a été en partie influencée par les immenses transformations historiques que le monde a connues depuis 1973. Avec le recul, à partir de la position que nous donne le début du XXIe siècle, nous pouvons voir plus clairement que le capitalisme a existé dans un certain nombre de configurations historiques différentes – par exemple, le capitalisme libéral du XIXe siècle, le capitalisme « fordiste » centré sur l’État du XXe siècle et, aujourd’hui, le capitalisme néolibéral global. Cela indique que l’histoire du capitalisme ne peut pas être saisie adéquatement comme un développement linéaire. Plus important : cela indique aussi très fortement que les traits les plus essentiels du capitalisme ne peuvent être identifiés complètement avec aucune de ces simples configurations historiques particulières.

C’est par une lecture attentive des catégories les plus fondamentales de la critique marxienne de l’économie politique que j’ai tenté de saisir les traits les plus essentiels du capitalisme : ceux qui caractérisent le noyau de la formation sociale à travers ses diverses configurations historiques. À partir de là, j’ai montré que le marxisme traditionnel avait pris les caractéristiques de base du capitalisme libéral – la propriété du marché et la propriété privée des moyens de production – pour les traits les plus fondamentaux du capitalisme en général. Ce marxisme a alors considéré la catégorie de travail comme le point de vue à partir duquel le capitalisme pouvait être critiqué. Le capitalisme a été identifié à la bourgeoisie, et le socialisme au prolétariat.

Cependant, selon mon interprétation, le travail sous le capitalisme, loin d’être le point de vue de la critique du capitalisme, constitue l’objet central de la critique de Marx et se trouve au cœur des catégories principales de Marx que sont la marchandise et le capital. J’ai montré que le noyau de la formation sociale était une forme historiquement spécifique de médiation sociale constituée par le travail – c’est-à-dire la valeur. Cette forme de médiation (qui est aussi une forme de richesse) est en même temps une forme historiquement spécifique de domination, qui peut s’exprimer à travers la domination de classe mais n’est pas identique à elle. Elle est abstraite, sans localisation particulière, et elle est aussi temporellement dynamique. Cette forme de domination, qui apparaît comme une nécessité extérieure plutôt que comme sociale, engendre aussi bien le mode de production propre au capitalisme que son caractère intrinsèquement dynamique. Il est bien sûr impossible de simplement commencer à entrer dans la complexité des questions que cela soulève, mais les implications les plus importantes sont les suivantes :

1. La production industrielle, qui surgit historiquement sous le capitalisme, ne représente pas la base du socialisme mais est intrinsèquement capitaliste ;

2. Le problème avec la croissance sous le capitalisme n’est pas seulement qu’elle soit porteuse de crises, mais que la forme de la croissance soit elle-même problématique ;

3. L’existence de la classe bourgeoise n’est pas le trait ultime qui permette de définir le capitalisme, et un capitalisme d’État (brièvement décrit par Marx dès 1844) peut exister et a existé ;

4. Le prolétariat est la classe dont l’existence définit le capitalisme, et dépasser le capitalisme implique l’abolition, et non pas la glorification, du travail prolétarien.

Le marxisme traditionnel était déjà devenu anachronique de multiples façons au XXe siècle. Il a été incapable de fournir une critique fondamentale des formes de capitalisme d’État appelées « socialisme réellement existant ». De plus, sa compréhension de l’émancipation s’est révélée de plus en plus anachronique au vu des nouveaux besoins, aspirations et motivations exprimés lors du dernier tiers du XXe siècle par les « nouveaux mouvements sociaux », comme ils se sont nommés eux-mêmes. Tandis que le marxisme traditionnel a eu tendance à affirmer le travail prolétarien et, partant, la structure du travail qui s’est historiquement développée en tant que dimension du développement du capital, les nouveaux mouvements sociaux ont, eux, exprimé une critique de cette structure du travail – même s’ils l’ont fait parfois sous une forme sous-développée et rudimentaire. Je soutiens que l’analyse de Marx est une analyse qui renvoie au-delà de la structure existante du travail.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité