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15 janvier 2011

15 janvier 1919, l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg

A l'occasion de l'anniversaire de l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg par les dirigeants sociaux-démocrates - 15 janvier 1919 - voici un article sur la Révolution allemande de 1919 et la presse publié par la Revue Le plan B:                      

                  

En 1918-1919, les révolutionnaires allemands avaient résolu la question de leurs rapports aux médias…

La victoire des bolcheviks en Russie, en 1917, donne des idées au peuple allemand, lassé d’entendre des généraux moustachus lui expliquer qu’il faut se serrer la ceinture pour gagner la guerre. Les grèves et les manifestations pacifistes se multiplient. À la suite de la mutinerie des marins de haute mer, des conseils d’ouvriers et de soldats se forment spontanément dans l’ensemble de l’Allemagne en octobre-novembre 1918.

Dans tous les États du Reich, les régimes monarchiques disparaissent sous la pression populaire : la république est proclamée le 7 novembre à Munich ; deux jours plus tard, à Berlin, l’empereur Guillaume II abdique et part cultiver des glaïeuls en Hollande. Die Deutsche Tageszeitung (« le quotidien allemand »), porte-parole de la bourgeoisie conservatrice, menace les fauteurs de troubles : « Les mots ne parviennent pas à exprimer l’indignation et la douleur. […] L’oeuvre que nos pères ont défendue de leur sang chéri, effacée par une trahison issue de notre propre peuple ! […] C’est une faute qui ne peut être pardonnée et qui ne le sera pas [1]. »

Après la signature de l’armistice, le 11 novembre, les spartakistes (regroupés au départ autour du journal Spartakus, de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht) réclament, dans Die Rote Fahne (« le drapeau rouge »), une république socialiste organisée à partir de conseils d’ouvriers et de soldats, sur le modèle des soviets. Mais les sociaux-démocrates du SPD (Parti socialiste allemand), menés par le nouveau chancelier Friedrich Ebert (un Gerhard Schröder de l’époque), entendent barrer la route au bolchevisme. Ils savent qu’ils peuvent compter sur les forces conservatrices ancrées dans l’administration, la magistrature, l’armée et l’industrie. Sans oublier la presse bourgeoise. Le comprenant aussi, les révolutionnaires s’emparent, le 24 décembre à Berlin, du journal social-démocrate du SPD, le Vorwärts (« en avant »), pour éditer leur propre feuille, Der Rote Vorwärts (« le Vorwärts rouge ») [2].

À l’assaut des grands journaux

Le 4 janvier 1919, une grève générale éclate dans la capitale allemande. Elle est soutenue notamment par le nouveau Parti communiste allemand (KPD), d’obédience spartakiste, et par d’autres socialistes révolutionnaires. Le lendemain, d’énormes cortèges venus de tous les faubourgs ouvriers convergent vers le centre de Berlin, bien décidés à provoquer la chute du gouvernement. Les manifestants ne se dispersent pas. Des colonnes armées se forment : certaines partent occuper les gares et d’autres, loin d’accorder des interviews au premier journaliste qui passe, se dirigent vers le quartier des journaux pour régler leurs comptes avec le Parti de la presse et de l’argent (PPA).

Les locaux des grands titres (dont le Vorwärts) sont occupés, les machines arrêtées, les rédactions expulsées. Ebert, ne supportant pas cette atteinte à la « liberté d’expression » et à la propriété privée, exige que les insurgés rentrent chez eux pour jouer au Monopoly. Mais le comité révolutionnaire, qui siège à la préfecture de police, refuse.

Gustav Noske, un ancien député socialiste devenu gouverneur général de Berlin, se lèche les babines à l’idée de mater les rebelles : « Il faut que quelqu’un soit le chien sanguinaire, et je n’ai pas peur de cette responsabilité [3]. »

Son glaive ? Les « corps francs » : des soldats démobilisés de l’ancienne armée impériale. C’est autour du Vorwärts, le 11 janvier, que les affrontements les plus importants ont lieu. Comme le rapporte l’écrivain Franz Jung, « les spartakistes qui occupaient les entreprises du quartier de la presse, [et qui] tiraient par les fenêtres sur les engagés temporaires » sont composés d’« ouvriers et chômeurs, employés et étudiants » qui ne sont « absolument pas organisés » [4]. Trois cents occupants (sardons) sont faits prisonniers, certains sont fusillés. Au terme de cette « semaine sanglante », le rétablissement de l’« ordre juste » socialdémocrate se solde par près de 1 200 morts. Sur ordre de Noske, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par des officiers le 15 janvier. La presse savoure la vue des corps francs défilant dans Berlin : le journal conservateur Post (« le courrier ») chante ce « rayon d’espoir » et louange ces « troupes obéissant à leurs chefs […], impeccablement disciplinées », que tout le monde « saluait avec des vivats enthousiastes [5] ».

La presse ment, et les révolutionnaires en tiennent compte. À Munich, dans les colonnes de son journal Der Ziegelbrenner (« le fondeur de briques »), Ret Marut (connu plus tard sous le nom de B.Traven) explique : « Les journalistes sont des crapules, des manipulateurs de l’opinion qui trompent le peuple de crainte de se retrouver “sans revenu garanti”. […] Tant que le gouvernement n’aura pas établi cette séparation entre presse publicitaire et presse “d’opinion”, il n’y aura pas de liberté de la presse, il n’y aura pas de journaliste libre. Tant que le gouvernement n’aura pas créé cette liberté de la presse, les travailleurs, les soldats et tous les hommes dont le bien-être est quotidiennement en butte aux infamies de la presse et des journalistes ont le droit et le devoir d’empêcher la presse de travailler “tranquillement”. Il faut extirper la peste [6] » (15 janvier 1919). Cinq jours plus tard, il enfonce le clou.

Matée à Berlin, la révolution se poursuit à Munich, où, le 21 février, l’assassinat du président du Conseil Eisner, trop proche des ouvriers aux yeux des ségolène-royalistes au pouvoir, provoque une nouvelle grève générale organisée par le Conseil central des conseils bavarois. Conscient que la destruction du PPA conditionne le succès de la révolution, il confie son département de la Presse à Ret Marut… La Sardonie libre dispose pour la première fois d’un ministre de l’Information.

« Les mensonges de la presse vont cesser »

Comme à Berlin, les sociaux-démocrates s’opposent à un système qui s’inspire des soviets. Après bien des tergiversations, la république des Conseils de Bavière est proclamée, le 7 avril, peu après celle de la Hongrie, pays qui, le 21 mars, a également choisi de suivre l’exemple des soviets. Dans un texte placardé sur les murs de la ville, l’anarchiste Erich Mühsam annonce que « la liberté de mensonges de la presse va cesser » car « la socialisation des journaux assure la vraie liberté d’opinion du peuple révolutionnaire [7] ». Le lendemain, Marut annonce son projet de collectivisation du secteur à des représentants de la profession, qui pleurnichent.

Le chef du gouvernement bavarois, le social-démocrate Hoffmann, refuse de s’incliner. Il obtient le soutien d’Ebert, des corps francs et d’officiers démobilisés (dont un certain Himmler et un certain Hess). À la tête d’une armée de 50000 hommes, le moustachu Noske se charge à nouveau de matraquer les insurgés : après avoir massacré près de 1000 personnes à Munich, ses troupes le suivent pour réprimer les grèves qui se multiplient à travers le pays.

Échappant par miracle aux baïonnettes, Marut dresse la liste des massacreurs : aux côtés des « officiers, soldats, grands prêtres du parti, juges, procureurs, mouchards », il n’oublie pas de mentionner ceux qui ont été — et qui demeurent — leurs porte-parole et leur propagandistes zélés : les « pisse-copie » de la presse qui ment [8].

Paru dans Le Plan B n°6 (fév-mars 2007)

              

Notes

[1] 10 novembre 1918, cité par Sebastian Haffner, Allemagne, 1918. Une révolution trahie, Complexe, 2001, p. 104.

[2] Gilbert Badia, Les Spartakistes, Julliard, 1966, Coll. « Archives », p. 189.

[3] Cité par L’Humanité, 17 janvier 1995.

[4] Cité par Jean-Paul Musigny, La Révolution mise à mort par ses célébrateurs même. Le mouvement des conseils en Allemagne, 1918-1920, Nautilus, 2001, p. 37.

[5] Sebastian Haffner, op. cit., p. 139.

[6] Cité dans B. Traven, Dans l’État le plus libre du monde, Paris, Babel, « Révolutions », 1999.

[7] Erich Mühsam, La République des Conseils de Bavière. La société libérée de l’État, La Digitale- Spartacus, 1999, p. 76.

[8] Der Ziegelbrenner, 3 décembre 1919.

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