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17 octobre 2011

Rétention

Zapolète (voir Note en bas de page, ajoutée par Alaindépendant)) ? Non merci - « En politique, une absurdité n'est pas un obstacle » Napoléon Bonaparte
Publié le 16/10/2011 à 03h58

Journée difficile aujourd'hui. J'ai eu le temps de réfléchir… C'est toujours un peu délicat dans le monde de l'enfermement.

Pour paraphraser Marx, je me sens chaque jour davantage glisser depuis le « droit de la misère » vers la « misère du droit ». Ces lois contre lesquelles je me suis battu… Ces textes que j'ai qualifiés de « Directive de la honte »… J'en demande aujourd'hui la simple application. Quelle dérision.

Depuis plusieurs semaines, il me faut changer mon discours lorsque je reçois les retenus : ce n'est plus 32 jours que j'annonce comme peine maximum mais 45. Un monde. Un gouffre. On s'y fera comme l'on s'est fait au passage successifs de 8, 12,…,32 jours. Il n'y a pas moins de sans papier pour autant en France. Ils sont davantage punis. Ce qui a des conséquences en termes de coûts tout d'abord puisqu'il faut être cynique, mais surtout en termes sociaux.

L'inefficacité patenté de ces politiques répressives est évidente mais toujours utile à rappeler : pourquoi focaliser sur les roumains les efforts de reconduite sinon pour parvenir au chiffre de 30 000 annuelles ? Pourquoi entraver la libre-circulation des personnes par le biais des arrêtés de réadmissions sinon pour une fois encore atteindre ce chiffre ? Utiliser l'arsenal juridique pour effectuer un maximum d'éloignements sans que le pouvoir de contrôle du juge, issu de l'article 66 de la Constitution, ne puisse s'exercer… Tout un projet… Mais un projet qui prouve une chose : allonger la durée de la rétention est inutile. La majorité des éloignements sont effectués dans les premiers jours et concernent les personnes possédant soit un droit au séjour (les roumains) soit un titre de séjour dans l'espace Schengen (les ressortissants de pays tiers réguliers en Europe).

Mais cela fait bien longtemps qu'en matière d'immigration – comme en d'autres d'ailleurs – le gouvernement a repris à son compte l'idée napoléonienne selon laquelle « en politique, une absurdité n'est pas en obstacle »

Alors les 45 jours de rétention ? Comme les 32 : de la poudre aux yeux jetée aux yeux d'une population qui bien souvent ne veut pas voir. Cela évite que ladite poudre ne nous les brûle. En tout cas, moi, elle me les brise parce que j'ai du mal à accepter d'être pris pour un imbécile…

Je ne veux pas, par mon inaction ou mon désintérêt, devenir un zapolète [voir la note]. Alors quitte à avoir plein de poudre dans les yeux, je préfère les ouvrir encore un peu…

A. Lombre
Travailleur en rétention


Note:

Le Zapolète, peuple barbare, farouche et sauvage, ne se plait qu’au milieu des forêts et des rochers où il a été nourri. Endurci à la peine, il souffre patiemment le froid, le chaud et le travail. Les délices de la vie lui sont inconnues ; il néglige l’agriculture, l’art de se bien loger et celui de se bien vêtir. Il ne possède d’autre industrie que le soin des troupeaux, et, le plus souvent, il n’a d’autres moyens d’existence que la chasse et le pillage.

Exclusivement nés pour la guerre, les Zapolètes recherchent et saisissent avidement toutes les occasions de la faire ; alors ils descendent par milliers de leurs montagnes, et vendent à vil prix leurs services à la première nation venue qui en a besoin. Le seul métier qu’ils sachent exercer est celui qui donne la mort ; mais ils se battent bravement et avec une fidélité incorruptible au service de ceux qui les engagent. Jamais ils ne s’enrôlent pour un espace de temps déterminé ; c’est toujours à la condition de passer le lendemain à l’ennemi, si l’ennemi leur offre une plus forte paye, et de revenir après sous leurs premiers drapeaux, s’ils y trouvent une légère augmentation de solde.

Il est rare qu’une guerre s’élève en ces contrées, sans qu’il y ait des Zapolètes dans les deux camps opposés. Aussi voit-on journellement de très proches parents, des amis étroitement liés pendant qu’ils servaient la même cause, se battre ensuite avec le plus vif acharnement, dès que le hasard les disperse dans les rangs de deux partis contraires. Ils oublient famille, amitié, et s’entre-tuent avec une horrible rage, par la raison que deux souverains ennemis payent leur sang et leur fureur de quelques pièces de menue monnaie. La passion de l’argent est chez eux tellement forte, qu’un sou de plus sur leur solde journalière suffit pour les faire changer de drapeau. Cette passion a dégénéré en une avarice effrénée, et cependant inutile ; car ce que le Zapolète gagne par le sang, il le dépense par la débauche, et la débauche la plus misérable.

Ce peuple fait la guerre pour les Utopiens, contre tout le monde, parce que nulle autre part il ne trouve meilleure paye. De leur côté, les Utopiens, qui recherchent les honnêtes gens pour en user convenablement, engagent très volontiers cette infâme soldatesque pour en abuser et pour la détruire. Quand donc ils ont besoin de Zapolètes, ils commencent par les séduire au moyen de brillantes promesses, puis les exposent toujours aux postes les plus dangereux. La plupart y périssent et ne reviennent jamais réclamer ce qu’on leur avait promis ; ceux qui survivent reçoivent exactement le prix convenu, et cette rigide bonne foi les encourage à braver plus tard le péril avec la même audace. Les Utopiens se soucient fort peu de perdre un grand nombre de ces mercenaires, persuadés qu’ils auront bien mérité du genre humain, s’ils peuvent un jour purger la terre de cette race impure de brigands.

Thomas More, L'Utopie, 1516 (Wikisource)


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