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A l'indépendant
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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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13 avril 2014

Prends ton fusil et viens

 

 

  Et pourtant, continua Bertrand, regarde ! Il y a   jpg187

une figure qui s'est élevée au-dessus de la           

guerre et qui brillera pour la beauté et

l'importance                                            

de son courage...

J'écoutais, appuyé sur un bâton, penché sur

lui, recueillant cette voix qui sortait, dans le

silence du crépuscule, d'une bouche presque

toujours silencieuse. Il cria d'une voix claire :

— Liebknecht !

Il se leva, les bras toujours croisés. Sa belle

face, aussi profondément grave qu'une face de

statue, retomba sur sa poitrine. Mais il sortit

encore une fois de son mutisme marmoréen

pour répéter :

— L'avenir ! L'avenir ! L'oeuvre de l'avenir sera

d'effacer ce présent-ci, et de l'effacer plus encore

qu'on ne pense, de l'effacer comme quelque

chose d'abominable et de honteux. Et pourtant,jpg186

ce présent, il le fallait, il le fallait ! Honte à la

gloire militaire, honte aux armées, honte au

métier de soldat, qui change les hommes tour à

tour en stupides victimes et en ignobles bourreaux.

Oui, honte : c'est vrai, mais c'est trop vrai,

c'est vrai dans l'éternité, pas encore pour nous.

Attention à ce que nous pensons maintenant ! Ce

sera vrai, lorsqu'il y aura toute une vraie bible.

Ce sera vrai lorsque ce sera écrit parmi d'autres

vérités que l'épuration de l'esprit permettra de

comprendre en même temps. Nous sommes

encore perdus et exilés loin de ces époques-là.

Pendant nos jours actuels, en ces moments-ci,

cette vérité n'est presque qu'une erreur, cette

parole sainte n'est qu'un blasphème !

Il eut une sorte de rire plein de résonances et

de rêves.

— Une fois, je leur ai dit que je croyais aux

prophéties — pour les faire marcher.

Je m'assis à côté de Bertrand. Ce soldat qui

avait toujours fait plus que son devoir et pourtant

survivait encore, — revêtait en ce moment

à mes yeux l'attitude de ceux qui incarnent une

haute idée morale et ont la force de se dégager

de la bousculade des contingences, et qui sont

destinés, pour peu qu'ils passent dans un éclat

d'événement, à dominer leur époque.

— J'ai toujours pensé toutes ces choses, murmurai-

je.

— Ah ! fit Bertrand.

Nous nous regardâmes sans un mot, avec un

peu de surprise et de recueillement. Après ce

grand silence, il reprit :

— Il est temps de commencer le service.

Prends ton fusil et viens.

 

Henri Barbusse, Le feu, Folio, pages 365 à 367

Prix Goncourt 1916.Un chef d'oeuvre. Un procès sans artifices des abominations de la "Grande Guerre"
Le début de l'engagement pacifiste d'un géant de la littérature.

Le feu est à lire aussi ici: http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre19273.html

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Commentaires
H
"Il est temps de commencer le service". Peut-être que si l'on se souvenait que l'outil institutionnel reste un outil au service des humains, l’État se souviendrait qu'il se doit de ne pas gaspiller les hommes, ni non plus l'espérance et la confiance dont ils sont porteurs.<br /> <br /> L'exemple de l'Ukraine, de la guerre de l'information, des crises diverses et variées, des difficultés à y voir clair dans le chaos actuel, oblige chacun à réfléchir à ses propres choix et à les mettre éventuellement en question. "Servir" a l'avantage de nous obliger à nous rendre disponible, donc ça nous détache de nos appétits divers et variés et c'est une 1ère "éducation": un mouvement structurant pour celui qui accepte cette discipline (car ce n'est pas "donné") ensuite comme celui qui sert n'est pas un robot, son esprit travaille constamment à vérifier qu'il est en accord avec ce qu'il fait et ce qu'il a souhaité faire. Là, c'est rarement le cas. Commence des discussions, des explications, des tourments parfois au plus intime de l'être. Là se joue, au fond de l'être, quelque chose de vital. Ce n'est qu'à partir de ce niveau que la personne va se construire, mais il lui faut d'abord atteindre ce niveau. Du moins je le crois. Et rare sont les hommes qui accèdent à ce niveau de service et d'engagement.
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H
Peut-être commencer par être attentif au conséquences du mépris, il habite tout homme. En France "être spirituel", c'est toujours au détriment de quelqu'un. La moquerie est à éradiquer de notre esprit car ce dernier se croit "un esprit fort". Donc prendre conscience de son erreur.<br /> <br /> Si vous pensez que l'éducation, l'embrigadement à apprendre selon les méthodes de l'éducation nationale est une bonne chose, il faudrait qu'il soit obligatoire pour les hommes de tous âges. Gérer, organiser, se croire supérieur est la preuve de son irresponsabilité. Les hommes sont futiles et galvaudent le trésor qui leur a été confié.
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H
Merci. Il était temps, urgent même de nous offrir quelque chose d'autre que leurs fadeurs. Oui, ce qui parfois nous habite, n'est pas étranger à l'être humain. C'est bien lui qui nous travaille. Je compte bien que le passé soit honteux. Honte à tout violence!<br /> <br /> Comment peut-on croire que l'ordre établi est conforme aux vivants. Et pourtant ils se prennent pour des vivants !
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