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12 janvier 2012

Changer les mentalités par l'éducation à la paix

 

Tout en défendant l'école publique, Pierre BOURDIEU, le sociologue français, n'a pas cessé de rappeler qu'elle remplissait une fonction conservatrice. De même, selon Noam CHOMSKY, linguiste et dissident américain de réputation mondiale, l'école reproduit l'ordre social et les rapports de domination dans la mesure où elle privilégie des principes qui sont les valeurs de la classe dominante, c'est-à-dire l'intelligence, la priorité à la langue écrite sur l'oral. On apprend à l'école à se comporter d'une certaine façon, obéissante et passive. Ceux qui ne se plient pas sont rejetés; si vous faites quelque chose qui contrevient aux règles du système, vous courez le risque d'être viré. Pourtant, 99% des intellectuels et des journalistes n'en sont absolument pas conscients. Ils ont intégré la culture ambiante et y vivent. Sans doute ces considérations chomskyennes valent-elles surtout sur la scène éducative nord-américaine. Mais oserait-on affirmer qu'il n'en est pas de même chez nous, en Belgique, en Europe? Même si, comme le fait Anne MORELLI, dans son livre "Principes élémentaires de propagande de guerre", on peut espérer que les mensonges d'hier engendrent davantage de doute et d'esprit critique.

 

Dans le même ordre d'idées, je m'en voudrais de ne pas signaler la parution récente d'un très bon numéro de "Etudes Marxistes" sur "la marchandisation scolaire" et l'enseignement en Europe. Ce numéro contient, entre autres, un manifeste pour un enseignement supérieur démocratique, gratuit, ouvert au peuple et à son service, et internationaliste. L'avenir de l'enseignement en général reste à écrire, mais ce numéro d' "Etudes Marxistes" a raison de montrer que les Etats sont en réalité de mèche avec les marchés et placent l'école et la formation au service des entreprises. Cette collusion Etat-économie de marché, qui semble bien être caractéristique des pays occidentaux, y compris des Etats-Unis, a comme conséquence la consolidation des profits pour les grandes entreprises et la socialisation des pertes au détriment des populations. Ce numéro d' "Etudes Marxistes" montre que l'esprit critique n'a pas disparu chez nous.

 

Le sujet que je souhaite développer quelque peu est "changer les mentalités par l'éducation à la paix". Cela me rappelle les paroles d'Einstein: "If you want peace, educate for peace". Ce qui caractérise le travail spécifiquement humain, c'est l'émergence d'un projet, la création d'un modèle qui devient la loi de l'action. Le réel n'est pas un donné, mais une tâche à accomplir.

 

Les mutations du XXe siècle exigent de repenser de manière radicale les problèmes de l'éducation, à la fois celui du contenu de l'enseignement et des structures du système de formation. Des réformes ont été proposées, tant en Belgique qu'en France, mais à aucun moment n'a été posé le problème fondamental: celui des finalités de la formation, qui pourtant pouvaient seules permettre d'en orienter à la fois le contenu et les structures. Ici aussi, le déterminisme l'a emporté sur la transcendance.

 

Le déterminisme éducatif, depuis des siècles, a consisté à faire de l'éducation une méthode de reproduction de l'ordre établi. Actuellement, les médias aidant, cela explique que bien des travailleurs s'adaptent au système social, s'y soumettent et obéissent.

 

Le système éducatif actuel exige, non plus telle ou telle réforme, mais une mutation radicale. Il ne peut plus avoir comme objet d' adapter l'homme au désordre mondial, mais, au contraire du déterminisme, de donner à l'homme les moyens de le transcender, d'inventer une conception nouvelle de l'homme, de la société, du monde. Nous y voilà: l'éducation ne peut plus être reflet, mais projet. En ces temps dangereux de guerres et d'éventuels conflits nucléaires, ce projet est urgent et doit être un projet de paix. En fait, à tous les niveaux, de l'apprentissage de la lecture à l'enseignement de la philosophie à l'université, la fonction première du système éducatif est d'intégrer l'individu au désordre établi, avec l'avoir et le pouvoir d'un côté, et de l'autre, l'acceptation résignée de "c'est ainsi, il faut s'y adapter, c'est-à-dire s'y soumettre".

 

Comment en sortir? Comment construire la paix, ou, en tout cas, la préparer?

Le système où nous sommes, qui a comme axiome dominant, l'argent, ne durera pas éternellement. Nous ignorons la façon dont il finira : elle pourrait être terrifiante. Il convient pourtant de préparer ce qui prendra le relais. Cette préparation est d'ailleurs déjà en route : grâce aux ONG, aux réunions, aux recherches, le changement a commencé. Ce qui manque, c'est peut-être l'unité de ces efforts dispersés, la vue d'ensemble. Même si l'on court le risque de l'échec, de la déception, il faut les dépasser et accepter l'épreuve de la désillusion. Sans cependant s'y résigner: dans ce travail se trouve véritablement la demeure de l'homme.

 

La fin des guerres, la fin de l'esprit guerrier - c'est-à-dire conquérir, tuer, dominer, asservir, exploiter - ne signifie pas la fin des combats. Il faut continuer à se battre et donc être les plus forts. Mais la force dont nous avons besoin ne s'appuie pas sur les armes, y compris les armes de l'argent. Ce doit être une force d'humanité, beaucoup plus grande que celle des amateurs de guerre.

 

Ce combat contre les pouvoirs et les intérêts en place est difficile et sera sans doute de longue haleine. Il nous attirera la haine de ces milieux-là. Mais, même à long terme, cette action, jusque dans ses échecs, suffit à justifier l'existence.

 

Résister donc, et en particulier résister culturellement à la machine techno-économique. Le Monde Diplomatique de ce mois-ci, sous la signature de Roger LESGARD, ancien président de la Ligue de l'enseignement à Paris, m'inspire quelques considérations supplémentaires : c'est par là que je terminerai. Cette machine techno-économique est censée représenter l'efficacité, la performance, la logique financière et consumériste. Elle tend à tout absorber, même la culture, c'est une machine vorace qui déborde les domaines de l'économique et du technique, et repose, tout autant que le système éducatif et sans doute, en partie, à cause de lui, sur le conformisme et la docilité des hommes, sur la réduction d'une société inégalitaire en un simple agrégat d'individus. Elle exerce son action par l'entremise des technologies de l'information et de la communication - de la télévision à Internet - qui sont censées préparer une société de l'accès au savoir, de la transparence et de la démocratie.

 

Devant cette invasion, il faut redonner à la culture et à ses dimensions un contenu vigoureux. Dans le cadre de cet article et par souci de brièveté, je ne retiendrai que deux de ces dimensions, qui ont un rapport direct avec le travail de notre groupe (B1).

 

  1. l'apprentissage et l'exercice de la pensée critique, pour lesquels l'importance de l'enseignement est indéniable. C'est là, entre autres, que s'acquièrent et s'échangent les savoirs, que se recherche la vérité et que se prépare la création artistique.

  2. le rapport à l'autre, au différent, construction permanente de soi, par et avec l'autre, mais aussi face à cet autre.

     

Cette deuxième dimension serait de prendre la culture comme facteur de rapprochement, compréhensif et solidaire, entre les êtres humains, contre le repli ethnique, le repli sur soi, le rejet de l'autre et de sa culture au lieu d'établir un dialogue des cultures, contre aussi la ségrégation sociale, la discrimination, le racisme.

Résister à la machine techno-économique se fera par notre capacité, préparée par un système éducatif amélioré, à nous ouvrir à l'autre, à le reconnaître comme une part de nous-même. En d'autres termes, à répondre aussi positivement que possible à la question que posait le philosophe français CASTORIADIS: "Un homme et une société peuvent-ils se construire sans s'opposer à l'Autre, sans le rejeter et sans finalement le haïr?" Une réponse positive à cette question est créatrice de paix personnelle et de paix mondiale.

 

Edgar ANDRE
01.12.2000


Quelques définitions:

  • Déterminisme: doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la chaîne des événements antérieurs.

  • Positivisme (cf Auguste COMTE): doctrine qui se réclame de la seule connaissance des faits, de l'expérience scientifique.

  • Symbole: ce qui représente autre chose en vertu d'une correspondance analogique (exemple: la colombe, symbole de la paix).

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Commentaires
L
Il est tout à fait exact que le système éducatif, quel qu'il soit, est, par essence, conservateur en ce sens qu'il reproduit l'ordre social et que, par définition, il enseigne ce qui a été fait par le passé. Pourtant, le modèle républicain à la française, s'il n'échappe pas à ce défaut, apportait jusqu'à une période relativement récente, des outils pour échapper à sa condition sociale. Pour cela, il fallait mériter et donc, se plier aux règles de l'ordre établi. Moyennant quoi, on pouvait, on devait parvenir à ses fins, voire à l'excellence. <br /> <br /> <br /> <br /> Dans ses souvenirs d'enfance, Marcel Pagnol dresse un portrait de l'instituteur républicain à travers son père. L'instituteur est bien celui qui institue l'ordre républicain. Il souligne l'abnégation de ces maîtres, d'origine modeste, qui professaient comme louable intention de tirer leurs élèves vers le haut. Il raconte comment l'un d'eux, au moment de prendre sa retraite, se réjouissait que, parmi tous les enfants passés dans sa classe, un seul avait été condamné à mort alors que son prédécesseur avait dû en déplorer beaucoup plus. Ça peut faire sourire à l'heure des plans académiques d'éducation et après l'abolition de la peine de mort mais, dans une atmosphère de respect mutuel, les élèves pouvaient espérer connaître une vie meilleure que leur parents. Ce n'est déjà pas si mal. Ceux qui n'ont pas connu l'ampoule unique qui éclaire toute la famille dans la même pièce, chacun à son activité ; ceux qui ont toujours eu leur chambre ; ceux qui n'ont pas mis les habits déjà porté par un grand frère ou une grande sœur ne peuvent pas comprendre des considérations aussi bassement matérielles.<br /> <br /> <br /> <br /> Ensuite, comme le père Pagnol le dit à son fils, il va pouvoir étudier au lycée ce que lui ne sait pas lui apprendre. Pour ce faire, il a dû passer un concours afin d'obtenir une bourse. Le lycée était alors et jusqu'après la guerre, le lieu d'apprentissage de la beauté à travers les œuvres des grands auteurs. La confrontation avec les belles lettres servait à aiguiser la réflexion et le sens critique qui apporte l'autonomie intellectuelle. La jeunesse des années 1960 et 1970 (pour ne prendre que celle que j'ai vécue), possédait ce bagage intellectuel qui la faisait réagir et descendre dans la rue. Elle était crainte car à l'impulsion s'ajoutait l'argumentation et l'envie de changer la société. En effet, si l'école reproduit bien un système et tâche de le renforcer en l'inculquant, en l'instituant aux enfants, l'honneur des maîtres tient aussi dans la possibilité de transmettre le savoir émancipateur. Bourdieu Catoriadis et Chomsky sont les purs produits de ces maîtres qui les ont éveillé et leur ont fourni les instruments avec lesquels ils peuvent (ou ont pu) forger leur pensée contestataire et leurs propositions.<br /> <br /> <br /> <br /> Seulement, la crise est passée par là aussi. Avec la hantise du chômage, savamment organisée par les tenants du système, ceux qu'on n'appelle plus les élèves mais les « apprenants » choisissent de délaisser la réflexion pour se consacrer entièrement à des savoir-faire qui, croient-ils, vont les mettre à l'abri du fléau. Ils sont encouragés par un système éducatif qui, depuis le milieu des années 1970 s'efforce de vider l'enseignement de ce qui a du sens et de tout contenu qui pourrait suggérer une envie de révolte, si minime soit elle. Ce n'est surement pas un hasard si la dissertation de culture générale, qui apparaissait comme l'emblème du système éducatif et républicain à la française a disparu, faute d'être choisie par les candidats au bac. Pas plus tard que ces jours-ci, il est question de la retirer de l'enseignement de Science-po à Paris.<br /> <br /> <br /> <br /> La situation actuelle est telle qu'elle confirme sans nuance le constat dressé par Edgar André. Le système éducatif actuel formate plus que jamais des jeunes qui ne sont plus éduqués ni même simplement instruits. Ils sont « formés » dans le but d'exercer un métier utile au système et non pour le développement individuel et intellectuel de chacun. Le résultat, nous le constatons tous les jours dans les actes d'incivilité, dans l'absence de valeurs telles que le respect de l'autre, dans le recours à la violence. Nous le constatons lorsque la guerre au-delà des frontières fait place aux confrontations de plus en plus fréquentes à l'intérieur . Nous le constatons lorsque le système revendique l'égoïsme (assurances privées, cliniques privées etc.) plutôt que la solidarité, qu'il détruit la protection sociale qui a favorisé le progrès matériel, économique et social. Nous le constatons lorsque le système n'apporte pour seule solution à toutes les crises qu'il produit que le chômage, l'exclusion, la stigmatisation de groupes pour masquer ses défaillances criantes. Nous le constatons lorsque nous voyons, le soir, dans les rues de nos villes, des personnes allongées par terre s'apprêtant à passer la nuit ou à mourir pour certaines.<br /> <br /> <br /> <br /> Dans quelques semaines, en France, il sera l'heure de faire un choix déterminant. Pourtant, il ne faut rien en attendre tant que la population n'aura pas aguerri son sens critique sur les bancs d'une école qui ne se contente pas de « former » pour les besoins du patronat mais d'instruire et d'éduquer en fournissant les outil d'une réflexion que chacun pourra mener selon ses capacité ou ses besoins.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Qu'il me soit permis de citer mon blog<br /> <br /> http://lanternediogene.canalblog.com/<br /> <br /> <br /> <br /> dans lequel je reviens à plusieurs reprises sur ces questions d'éducation et sur l'inculture qui apparaît comme la meilleure alliée du système libéraliste contre sa propre population.
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