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11 septembre 2008

Automobile : la fin de l'âge d'or ?

par Mathieu Flonneau, agrégé et docteur en histoire, maître de conférences à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre d'histoire sociale du XXe siècle, sur http://www2.cnrs.fr/presse/journal/3985.htm

Il y a 100 ans environ, les premières automobiles faisaient leur apparition à Paris. Le début d'un véritable engouement toujours d'actualité, comme s'apprête à le prouver le Mondial de l'automobile (du 4 au 19 octobre) où plus d'un million de visiteurs sont attendus. Comment ce succès s'est-il forgé ?
Mathieu Flonneau : L'Automobile Club de France a été créé dès 1895, et en 1898 a eu lieu le premier Salon de l'automobile à Paris. Dès 1900, les paysages urbains que l'on connaît aujourd'hui ont été dessinés spécialement pour la voiture et ce, de façon universelle. En 1907 par exemple, Paris installe son premier sens giratoire pour réguler le trafic. Bientôt, la vitesse automobile détermine l'efficacité et le succès des transports publics, bus et métros. Les usages de la voiture se démocratisent donc presque instantanément, tandis que sa possession en propre prend plus de temps. C'est la première grande période, l'âge d'or de l'automobile dans le siècle. La véritable révolution démocratique, elle, aura bien lieu… mais aux États-Unis. Avec la Ford T, centenaire cette année, les Américains inventent l'automobile de masse et dament le pion aux Français. Nous ne rattraperons jamais plus notre retard… Les États-Unis deviennent le pays de la voiture. Un deuxième âge s'ouvre alors entre 1914 et le milieu des années 1960 : une période d'adhésion et d'aspiration massives à l'automobile. Partout on assiste à sa généralisation, à sa banalisation. Le monde entier y voit un grand progrès.

Avec cette démocratisation, n'est-ce pas la mort de la magie, l'épuisement du romantisme ?
M.F. : Non, au contraire. La voiture fascine plus que jamais. Et on se l'approprie désormais tout autant comme objet de liberté ou de contestation. C'est le début de la troisième grande période, que l'on peut situer entre 1968 et la crise économique des années 1970.
C'est une époque de contestation idéologique qui accompagne les crises du pétrole et de la société de consommation. D'ailleurs, c'est à ce moment qu'on brûle les premières voitures, synonymes du confort bourgeois de Papa. Ceci dit, il ne faut pas surestimer la portée de ces actes qui sont surtout le fruit des jeunes gens aisés du quartier Latin. Et qui horrifient la classe ouvrière. Aux États-Unis aussi, les autoroutes urbaines sont remises en question et certains chantiers sont annulés. Ce troisième âge de subversion-fascination s'efface devant le quatrième volet de la saga de l'automobilisme, au début des années 1990.

C'est le début d'une contre-révolution automobile dans les centres-villes occidentaux et le triomphe de l'environnementalisme…
M.F. : Oui, l'équipement automobile moyen des foyers en centre-ville, à Paris par exemple, est désormais de 50 % contre 80 % en périphérie et en zone rurale. Les temps ont changé : les voitures ne sont plus produites en ville et les anciennes usines qui ont fait la fierté et le renom de Paris ont fermé (Javel pour Citroën, Boulogne-Billancourt pour Renault). En cette fin de siècle, la mixité des espaces publics l'a emporté avec notamment la fermeture des voies sur berges le dimanche. Bien sûr, c'est un âge principalement occidental de reconquête de l'espace public. Ailleurs dans le monde, sur les autres continents en Chine, en Inde, en Amérique du Sud ou en Afrique, l'automobile reste une aspiration profonde.

Pourtant, l'automobile continue à déchaîner les passions, comme si la réalité écologique ne pouvait effacer le mythe ?
M.F.
: Les artistes ont depuis toujours été exaltés par la voiture et son art de vivre : Proust, Sagan, Nimier, César mais aussi Lalique. Elle a été et reste un objet culte. Les grands carrossiers et selliers s'en emparent dès ses débuts. L'Amérique lui consacre un genre cinématographique : le road movie. L'objet de série se sacralise dans l'art, jusqu'à en devenir une icône. Roland Barthes compare la DS Citroën à une cathédrale : conçue par et pour le peuple, en rassemblant tous les savoir-faire de l'époque, suscitant dévotion et héroïsme. Ce rapport au sacré, c'est parce que la mort aussi est en jeu… Avec James Dean et Grace Kelly, des destins fauchés sur la route entrent dans la légende. Mais la voiture est surtout le fidèle reflet de l'évolution des tabous et libérations de la société au fil des décennies. L'alcool au volant, alors toléré, est aujourd'hui inacceptable. Tout doucement, la voiture libre-arbitre et fantaisie devient une servitude (embouteillages, accidents, grégarisation, limitations de vitesse…). Aujourd'hui, on se trouve à la croisée de chemins. La Chine, comme d'autres pays, n'en est encore qu'au deuxième âge de l'automobilisme et va sans doute accéder aux premières voitures non polluantes de la planète. Sans nécessairement passer par la case contestation…

Propos recueillis par Camille Lamotte

Contact:
Mathieu Flonneau
Centre d'histoire sociale du xxe siècle, Paris
mathieu.flonneau@univ-paris1.fr

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