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22 mai 2009

Temps, culture et religion

 

Temps, culture et religion : une pratique interculturelle en classe de français

par Luc Collès UCL et IFER de Dijon

 

Dans Littérature comparée et reconnaissance interculturellei, nous mettons en place une démarche interculturelle au sein de classes belgo-maghrébines du cycle supérieur de l’enseignement secondaire2. Nous tentons de montrer que les cours de français peuvent y être vécus comme un moment de confrontation et d’échange où Belges (ou Français) de souche et enfants de migrants réagissent autour de textes issus des littératures françaises de France et de Belgique ainsi que du Maghreb et de l’immigration (cf. ici même notre article Littératures et modèles culturels).

Concrètement, il s’agit de faire découvrir quelles perceptions différentes du temps et de l’espace manifestent certaines conduites et à quelles valeurs elles répondent. Ce que nous comparons, ce sont les comportements des membres des deux communautés tels qu’ils sont mis en scène dans les textes et perçus par ceux-ci. D’autres textes, non littéraires cette fois, complètent cette approche (cf, sur ce blog, le paragraphe consacré à la découverte des littératures francophones dans l’article S’engager en francophonie).

La gestion du temps

Nous voudrions rendre compte ici du parcours réalisé sur la gestion du temps3. Des textes comme « Bachot touriste 1970 » dans Vacances à tous prix du Français Pierre Daninos et un extrait du Sourire de Brahim de Nacer Kettane (cf. annexe) ont bien mis en avant les différences de gestion du temps entre Européens et Maghrébins.

Le premier caricature un certain type d’organisation des vacances en France qui obéit à une programmation minutieuse. Ce rythme de vie, modelé sur celui de la machine et semblable à celui du travail en usine, va de pair avec une relative « automatisation » de la pensée. La célèbre triade « métro, boulot, dodo » est égament bien illustrée par tel extrait du Mythe de Sisyphe de Camus, par tel extrait de La Nausée de Sartre, ou par plusieurs poèmes des Fleurs du Mal de Baudelaire (« Le Guignon », « Chant d’automne », « L’Horloge », etc.)

Tous ces textes traduisent la manière dont l’Occidental considère le temps. Extérieur à lui, celui-ci est un ennemi contre lequel il lutte sans cesse, mais en vain. A l’image du sablier, le temps s’écoule inexorablement : on a l’impression de toujours courir après lui, mais en réalité c’est lui qui nous court après. Comme au « Malheur » d’Henri Michaux4, on lui demande parfois un répit pour souffler un peu et, à ce moment-là, on se rend également compte qu’il nous a ruiné : on se retrouve en effet vieilli, usé, aux portes de la mort.

Ces instants d’arrêt peuvent donc être des moments de lucidité et d’éveil : on fait le point, on choisit de cultiver son jardin (Candide de Voltaire), de vivre le plus intensément possible le moment présent et d’assumer son existence (Le Mythe de Sisyphe de Camus), de se dévouer aux autres malgré l’absurdité de la vie (La Peste du même auteur), de raconter sa vie pour « tenter d’attraper le temps par la queue » (Roquentin dans La Nausée de Sartre), mais rien n’y fait : le temps est le grand vainqueur !

Si l’on veut comparer cette conception du temps avec celle des Maghrébins, il faut en venir aux fondements de la pensée musulmane. Pour s’en approcher, nous avons fait travailler sur la relation d’expériences de mémoire affective réalisées par des auteurs français : le fameux épisode de « la madeleine » de Marcel Proust, où le goût sert de déclencheur, ou un extrait des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, où c’est la vue qui suscite le souvenir. Nous avons proposé un rapprochement de ces passages avec un texte de Chateaubriand, extrait des Mémoires d’Outre-Tombe, « Départ pour Combourg »5 en soulignant combien le phénomène qui y est décrit est proche des expériences rapportées par Proust et Rousseau.

C’est tout le passé qui ressuscite en lui, vivant, pour quelques instants. Le moi ancien l’investit totalement, si bien qu’il en ressent une profonde émotion. Mais chez l’auteur d’A la recherche du temps perdu comme chez Rousseau, c’est la mémoire involontaire ou affective qui est à la base de telles résurrections, alors que Chateaubriand oblige sa mémoire à reconstruire un trajet6.

De tels textes font comprendre aux élèves que, malgré son caractère inexorable, il est possible de suspendre, selon les vœux de Lamartine, « le vol du temps »7, quoique les expériences qu’ils rapportent montrent aussi le caractère éphémère d’un tel suspens.

Le sens de la transcendance

Commentant l’éveil de Sisyphe, Charles Moeller souligne le refus de toute solution transcendante qu’il comporte : « Il s’agit (…) de voir ce que devient la vie, quand on a découvert qu’elle n’a pas de sens. »8 Or, c’est précisément ce sens de la transcendance qui se trouve au cœur même de la conception que le musulman a du temps.

Pour celui-ci, Dieu est le maître de chaque instant de sa vie (Sa présence peut d’ailleurs se ressentir quand, au moment de la prière, l’homme arrête toute activité pour faire silence en lui) et ce même Dieu peut suspendre à tout instant le cours de notre histoire. D’où cette attitude du « mektoub », imprégnée de patience et de soumission (c’est le sens même du mot islam) non à un destin aveugle et intangible (comme les Occidentaux ont trop souvent tendance à le croire), mais à Dieu qui peut changer le sort des hommes.

On pourrait sans doute retrouver aussi cette conception chez des mystiques chrétiens comme Jean de la Croix (XVIe s.), mais ceux-ci occupent une position marginale dans l’histoire d’un Occident aujourd’hui laïcisé. D’autre part, la littérature maghrébine n’offre guère d’exemples où la transcendance divine soit explicitement mise en rapport avec le temps. C’est qu’en effet cette perception suppose une distanciation qui n’est pas facile.

De plus, les jeunes issus de l’immigration maghrébine, influencés par le rythme de vie occidental, peuvent trouver étranges certains des comportements qui relèvent de la culture d’origine des parents. Ainsi, le héros du roman de Nacer Kettane aux accents autobiographiques, Le sourire de Brahim, est frappé par la lenteur du rythme des activités en Algérie et sa critique semble plus proche du « Time is money » occidental.9

Des chocs culturels

C’est qu’en effet l’immigré est l’homme des chocs culturels successifs. Il a d’abord fallu qu’il s’adapte au rythme des Occidentaux : il y a réussi au point de réagir comme ceux-ci lors de son séjour au pays, au contact d’une des composantes essentielles de la culture maghrébine. C’est a fortiori le cas pour ces enfants.

Edgar Weber donne de cette lenteur une explication de type économique10 : elle serait le substrat d’une mentalité restée fort rurale. Certes, la nature a aussi ses exigences (la moisson n’attend pas !), mais l’agriculteur dispose malgré tout d’une certaine liberté d’organisation. C’est la raison pour laquelle, à la campagne, on prend le temps de se rencontrer et de se parler.

Mais selon F. Schuon, cette conception du temps découle aussi de la foi musulmane et doit beaucoup à l’atmosphère contemplative requise par les prières rituelles11. En d’autres termes, c’est la référence constante au temps religieux qui en serait la cause. Son point de vue rejoint celui de Roger du Pasquier qui souligne lui aussi que, dans une société musulmane encore suffisamment pénétrée par la tradition, la prière est non seulement intégrée à la vie, mais en marque toute la cadence : « L’accomplissement de la prière impose une discipline stricte et relativement astreignante qui marque la vie entière de son rythme sacré et, de l’aube à la nuit, ramène le croyant devant Dieu, l’empêchant de se laisser submerger par les préoccupations matérielles et profanes. »12

Notre démarche relève donc d’un parti pris. Par rapport au rythme de vie occidental, lié à la productivité, la lenteur orientale a pu être perçue négativement par des élèves belges et, parfois, maghrébins. Comme d’ailleurs ppeuvent être considérés comme « perte de temps » les moments consacrés cinq fois par jour à la prière quotidienne. Mais, sans pour autant nous immiscer dans leur conscience et attenter à la liberté de celle-ci, nous souhaitons amener les élèves à comprendre les fondements de la vision du monde des musulmans, telle qu’elle se manifeste, entre autres, dans leur gestion du temps.

Il va de soi, et il faut amener les élèves à le comprendre, que juger les comportements de ceux-ci par rapport à la manière dont les Occidentaux organisent leurs sociétés et structurent leurs journées serait tomber dans les pièges de ce que l’on appelle l’ethnocentrisme. Ce que nous cherchons à éviter aux élèves. En l’occurrence, ce sont donc des analyses comme celle de du Pasquier qui, à titre d’hypothèses, permettent de s’interroger en classe sur une des bases de la culture arabo-musulmane.

Il nous paraît en effet que toute réflexion sur un phénomène culturel doit resituer celui-ci dans une vision du monde. La culture n’est pas un musée des arts ou des littératures ; c’est l’ensemble des réponses d’une communauté humaine aux questions fondamentales qui lui sont posées par ses rapports avec la nature, les autres hommes et enfin le divin.

Chez les musulmans, la conscience de la présence divine est très prégnante. Elle est inscrite dans le découpage de la journée et justifie les fêtes les plus importantes. En Occident, la religion est devenue une « affaire privée », mais le divin n’est pas intériorisé davantage pour autant. Pour plusieurs, tout se passe comme si la Croissance ou le Confort avaient supplanté un Dieu que quelques-uns seulement prient une fois par semaine dans les églises13.

Cependant, sous couvert d’éviter tout ethnocentrisme, il ne faudrait pas non plus jeter aux orties ce qui fait la valeur de l’Occident. La démocratie et la défense des droits de l’Homme en particulier constituent, on prendra soin de le montrer, un pôle d’attraction considérable dans l’univers contemporain. La conquête des droits sociaux et les règlementations du travail ont contribué à humaniser notre vie. La technologie elle-même a allégé plusieurs de nos tâches. Mais celle-ci ayant été mise au service d’une croissance de plus en plus exigeante, il n’est pas du tout certain qu’emporté par le vertige de la vitesse, l’Occident ne perde pas son âme.

Roger Garaudy, par exemple, a, dans de nombreux ouvrages, dénoncé un tel danger : « Seul en face de structures écrasantes, aliénantes et sans visage, dans son travail comme dans sa vie civique, l’homme est la victime de ce que l’on appelle très justement des « maladies de civilisation » ; quand ce n’est pas la faim, la misère, la dépendance, comme dans les deux tiers les plus pauvres du monde, ce sont, dans le tiers le plus riche, le cancer, les troubles cardiaques, les troubles mentaux nés de la solitude et de l’absence de signification de la vie, des cadences folles ou d’un urbanisme nous coupant de tout rapport avec la nature extérieure et désintégrant tous les équilibres de notre nature intérieure .»14 On voit plus que jamais ici combien ce questionnement est orienté par une foi profonde dans le « dialogue des civilisations ».

Annexe : deux textes à exploiter

  1. Pierre Daninos, Vacances à tous prix, Paris, Hachette, 1958, pp.29-32.

BACHOT TOURISTE 1970


L’examinateur de l’Agence Superglobe (chargé par suite de l’affluence des clients, de procéder par élimination) : « Que voulez-vous faire ? »


Le touriste deuxième année : « L’Italie, Circuit 32 B : Venise, Rome, Florence, les lacs, 198954 francs de Paris à Paris, boisson non comprise. »


-« De quoi jouissez-vous ?

- De panoramas uniques.

- Qu’allez-vous découvrir ?

- Des lieux féeriques

- Par quoi devez-vous commencer ?

- Par un rapide aperçu d’histoire romaine.

- Citez quelques notions…

- Romulus et Remus, licteurs et préteurs, les oies du capitole, Dura lex sed lex, les Fourches caudines, les délices de Capoue, de Charybde en Scylla, Jupiter tonnant, la pythie…

- Arrêtez ! Le forfait 32 B ne comprend pas la Grèce. Bon…(…). Passons maintenant à la visite proprement dite. Quel est votre premier devoir en entrant dans une ville ?

- En sortir afin de gagner une hauteur, colline (Florence) ou éminence (Vatican), d’où je pourrai la dominer et avoir une bonne idée de son orientation N.-N.-E . ou S.-S.-E.

- Chefs-d’œuvre. Que doit-on admirer le plus dans les ***chefs-d’œuvre de la Renaissance ?

- On ne sait, vraiment, de la précision (inouïe) du détail ou de la majesté (imposante) de l’ensemble.

- Il convient donc de rester…

- Confondu.

- Très bien. Et les portraits…Que devez-vous d’abord regarder dans un portrait ?

- L’expression frappante du regard.

- Et dans les crosses ?

- Les incrustations de nacre et d’ivoire.

- Prenons maintenant la porte d’un baptistère fameux. Vous direz qu’elle est…

- Niel..Niel…

- Niellée d’or et d’argent.

- Bien…Voyons…Laissez-moi considérer votre programme, assez chargé je l’admets…Le 24, rassemblement à 5h30, panier-repas fourni par l’agence…Le 25, départ à 7h30…26, 27…Ah ! Je vois que le 28 vous avez à Venise un après-midi LIBRE. A quoi l’employez-vous ?

- A souffler.

- Mais encore…allons…

- Dans une soufflerie de verre à Murano.

- A la bonne heure ! Après quoi vous pourrez consacrer la fin de la journée à …

- L’achat de menus souvenirs représentatifs de l’art local (porte-monnaie en cuir repoussé, gondoles presse-papiers, etc.)

- Et à Rome, si les monuments vous laissent un instant, vous aurez avantage à quoi ?..

- Fresca.

- Mais où ça ?

- A l’une des nombreuses terrasses de café du centre de la ville pour y jouir de l’animation.

- Qui est…

- Très vive.

- C’est bien. Vous pouvez partir. »

Le touriste deuxième année se lève. L’examinateur se ravise : « …Mais travaillez votre Forum. Il y aura un examen de passage à l’entrée ! »







Dans ce texte, Pierre Daninos accumule les clichés. On peut évidemment se contenter de dire qu’il parodie la plupart des guides de voyage en mettant en exergue les stéréotypes thématiques et linguistiques (cf. sur ce blog : Récit de voyage et pédagogie interculturelle) :


  • les stéréotypes thématiques : l’accent mis sur des paysages toujours présentés comme exceptionnels, les préambules historiques, l’Histoire ramenée à des épisodes, à des lieux et à des personnages légendaires ou célèbres, l’indication d’un belvédère d’où l’on surplombe toute la ville, la sélection de chefs-d’œuvre artistiques, les conseils d’achat de souvenirs et les renseignements sur les lieux d’animation.

 

  • les stéréotypes linguistiques (ou lieux communs verbaux) : syntagmes figés (« des panoramas uniques, des lieux féeriques, l’expression frappante du regard, les incrustations de nacre et d’argent, jouir de l’animation »), syntagmes semi-figés (objets de variantes : c’est ce que suggère l’emploi des parenthèses pour les adjectifs « inouïe » et « imposante »), un proverbe (ici intégré dans les notions d’Histoire romaine : Dura lex, sed lex.) et enfin le système typographique (les italiques du proberbe latin, les astérisques devant un mot renvoyant à un index : chefs-d’œuvre).

Mais il nous paraîtrait intéressant de tenter d’établir un lien entre le type de vacances proposé ici et l’utilisation de tant de stéréotypes. Après tout, n’avons-nous pas affaire à une pensée automatisée comme l’est la conduite des vacanciers ? Et quand on sait que, bien souvent, le rythme des Occidentaux en vacances – qu’il s’agisse d’un voyage organisé ou d’un séjour dans un club – est calqué sur leur rythme de travail, ne pourrait-on affirmer que l’Occidental est guetté par la stéréotypie aussi bien dans sa pensée que dans son comportement habituel ?

En d’autres termes, c’est la personnalité même de l’individu qui est aujourd’hui menacée dans ce monde dominé par la machine : en Occident, tout le monde, s’il n’y prend garde, risque de se comporter et de penser comme tout le monde. Cette réflexion sur les dangers d’une uniformisation et d’une automatisation de la pensée pourra se prolonger par la lecture d’extraits ou de la totalité de 1984 de George Orwell (écrit en 1950).

Rappelons qu’Orwell imagine un Etat omnipotent personnifié par un chef mystérieux, Big Brother, qui dirige de Londres tout le complexe de l’Océania, au nom de l’angsoc ou socialisme anglais à l’état pur. La langue courante ou ancilangue a été transformée afin d’éviter les déviations. On en a conçu une autre, le novlangue, dans laquelle l’expression d’opinions hérétiques est rendue presque impossible, d’autant plus qu’on a supprimé de l’ancilangue tous les vocables jugés inutiles, comme moralité, internationalisme, démocratie, science et religion. Certains mots de novlangue servent d’ailleurs essentiellement à supprimer des idées et à diminuer ainsi le domaine de la pensée (cf. « Les principes du novlangue », in G . Orwell, 1984, Paris, Folio, 1972, pp.421-439.)

De même, le texte de P. Daninos présente l’expression de stéréotypes comme si elle résultait d’un embrigadement (mis en scène de manière humoristique sous la forme d’un examen). Dans notre monde moderne où Big Brother a pour nom Technologie et Rendement, la pensée risque de s’appauvrir en se coulant dans un moule impersonnel.

  1. Nacer Kettane, Le Sourire de Brahim,Paris, Denoël, 1985, p.93.

Le Temps, Brahim avait l’impression que cette donnée n’intéressait personne. Il lui semblait que tout se faisait au ralenti ? Trois heures que son groupe et lui étaient déjà là et les responsables de la Kasma de Cheraga semblaient prendre un malin plaisir à faire durer les formalités. Il ne savait pas où ses camarades et lui allaient être hébergés, ni quel moyen de transport ils emprunteraient. Attendre, attendre et encore attendre. Tout, autour de lui, semblait contredire le fameux Time is money des financiers internationaux.

A travers le regard de Brahim, le texte donne une double information sur laquelle on attirera l’attention : la lenteur du rythme des activités en Algérie, l’agacement et la critique du héros qui semble plus proche du « Time is money » occidental.

Ainsi, l’immigré semble l’homme des chocs culturels successifs. Il a d’abord fallu qu’il s’adapte au rythme des Occidentaux : il y a réussi au point de réagir comme ceux-ci lors de leur contact avec une des composantes de la culture maghrébine.

On pourra mettre ce texte en parallèle avec l’extrait suivant de Zeida de nulle part de Leïla Houari, dans lequel l’héroïne, Zeida, une jeune fille issue de l’immigration, fait part de son étonnement à son père lors de son arrivée au Maroc. La similitude des situations est frappante et la comparaison avec l’Occident tout aussi explicite.

Ils restèrent des heures et des heures à attendre, dans la chaleur qui les suffoquait, la fatigue, la faim, la soif…Zeida ne pouvait pas s’empêcher de dire :

- Qu’est-ce qu’ils sont mal organisés, ici, au moins pour ça, là-bas, ça va plus vite !

- Vous n’êtes pas en Europe (répond son père), les gens ont tout leur temps et si tu fais trop de commentaires, tu risques de passer tes vacances à la douane.

Il disait cela, mais dans le fond il n’était pas content du tout !

(L.Houari, Zeida de nulle part, Paris, l’Harmattan, 1985, p.26)


En faisant appel à l’expérience des élèves maghrébins, notamment au moment du retour au pays d’origine des parents (c’est souvent le cas en été), et éventuellement à celle des Belges ou des Français qui sont déjà allés en vacances dans le Magheb, le professeur tentera d’amener ceux-ci à citer des situations concrètes où cette lenteur était nettement perceptible.


A l’aide des jugements de Frithjof Schuon et de Roger du Pasquier, on réfléchira aux « fondements » de cette lenteur. On creusera l’hypothèse qui consiste à y voir une trace de la spiritualité musulmane. S’agissant des immigrés de la première génération, on se référera également à l’explication économique de Edgar Weber.

i L. COLLÈS, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles, De Boeck-Duculot, 1994 (« Formation continuée »)

2 l’équivalent du lycée en France

3 Outre Littérature comparée et reconnaissance interculturelle (op.cit.), on se référera à un autre ouvrage à visée didactique, Que voulez-vous dire ? Compétence culturelle et stratégies didactiques, Bruxelles, Duculot, 1998, que nous avons écrit avec des collègues (BLONDEL et al.), et dans le guide pédagogique duquel nous explicitons les quatre composantes de la communication interculturelle (l’espace, le temps, le contexte et les chaînes actionnelles) en les illustrant par des exemples relevant de différentes cultures. Cf. aussi, sur ce blog, notre article « Pour une pédagogie des échanges scolaires ».

4 On pourrait d’ailleurs remplacer le Malheur par le Temps dans son poème (in Lointain intérieur) dont voici la première moitié :

Le Malheur, mon grand laboureur,

Le Malheur, assois-toi,

Repose-toi,

Reposons-nous un peu toi et moi,

Repose,

Tu me trouves, tu m’éprouves, tu me le prouves.

Je suis ta ruine.

5 F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d’Outre-Tombe, tome I, Le livre de Poche, pp.80-84.

6 Cf . à ce sujet, dans L. COLLÈS et J.-L. DUFAYS, Le Récit de vie (Vade-mecum du professeur de français), Bruxelles, Didier Hatier, 1989 (« Séquences »), le chapitre consacré au travail de la mémoire (pp.65-75).

7 Comparaison n’est pas raison…En l’occurrence, le vœu de Lamartine a paru sacrilège à des élèves tunisiens car, pour des musulmans, Dieu seul, maître de l’univers, peut suspendre le cours du temps. Pour plusieurs de ces élèves, vouloir arrêter le temps, ce n’est rien d’autre que défier le destin. Ou c’est désirer jouir pleinement de sa vie, ce qui n’est concevable que si l’on ne croit pas à une autre vie après la mort. Dans tous les cas, l’attitude du poète est donc celle d’un incroyant. (cf. l’article d’A. SÉOUD, « Document authentique ou texte littéraire en classe de français », in Etudes de linguistique appliquée n°93, janvier-mars 1994, pp.9-19). Mais les élèves belges font bien la distinction entre temps objectif et temps subjectif (il y a des heures de cours si longues…)

8 C. MOELLER, Littérature du XXe siècle et christianisme, tome I (Silence de Dieu), Tournai, 1964, p.58.

9 Cf. texte 2 en annexe.

10 E. WEBER, Maghreb arabe et Occident français, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1989, p.257.

11 F. SCHUON, Comprendre l’islam, Paris, Seuil, Points Sagesses, 1984, p.37 (note 2).

12 R. du PASQUIER, Découverte de l’Islam, Paris, Seuil, Points Sagesses, 1984, p.91.

13 C’est le leitmotiv de plusieurs des ouvrages de Roger GARAUDY : par exemple, Pour un dialogue des civilisations (Paris, Denoël, 1977), Appel aux vivant (Paris, Seuil, 1979), Biographie du XXe siècle. Le testament philosophique de Roger Garaudy (Paris, Tougui, 1985), Les Fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants (Paris, l’Archipel, 1992) et Vers une guerre de religion  (Paris, Desclée de Brouwer, 1995). D’où l’intérêt du philosophe pour l’Islam : cf. Promesses de l’Islam (Paris, Seuil, 1981) et l’Islam habite notre avenir (Paris, Desclée de Brouwer, 1981 ). Cf. nos articles sur ce blog : Sur l’itinéraire de Garaudy et Enseignement : pour une approche de l’Islam, en particulier le soufisme, à l’exclusion de toute forme d’intégrisme (Intégrismes, Paris, Belfond, 1990), Grandeur et décadence de l’Islam, (Paris, Alphabeta & Chama, 1996).

14 R.GARAUDY, Appel aux vivants, Paris, Seuil, 1979, pp.217-218.

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Commentaires
S
Bravo pour la pertinence de la présente analyse!ça été un moment fort, j'ai ressenti énormément de plaisir en la parcourant
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