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A l'indépendant
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  • De Marx à Teilhard de Chardin, de la place pour (presque) tout le monde...
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25 janvier 2008

Engagez-vous, détendez-vous – et payez !

Le week end dernier, j’animais une journée de réflexion sur l’engagement à l’abbaye de Saint-Jacut en Bretagne, au bout d’une magnifique presqu’île.

Pourquoi avais-je accepté cette intervention ? Parce que la lettre d’invitation des sœurs de l’Immaculée était circonstanciée, argumentée et inscrivait l’événement dans une série cohérente où il serait question de théologie, d’histoire et de philosophie. Le contraire de ces appels-plateau télé où on vous convoque à la va-vite en vous faisant comprendre que vous avez bien de la chance et que si vous n’acceptez pas, on en trouvera toujours un autre. Grand bien leur fasse !

Je me retrouve donc au couvent pour une nuit, et le samedi matin devant une cinquantaine d’auditeurs. Génération 1968, quasiment pas de jeunes, mais beaucoup d’attention et de sérieux pendant cinq heures… L’engagement, ce n’est pas de tout repos.

Le responsable qui ouvre la journée, un prêtre, n’y va pas par quatre chemins et se demande si la notion d’engagement n’est pas anachronique, si l’engagement n’est pas remplacé par d’autres formes d’action.
Pour ne pas m’enliser tout de suite dans l’histoire et l’herméneutique, je commence par une analyse conceptuelle de la notion. Tant pis si c’est aride. Pour l’historicité, on aura toujours le temps de voir !
Qu’est-ce qu’un engagement ? Une manière de produire de la cohérence dans ses comportements. Pour produire cette cohérence, il faut des contraintes, centrales ou dérivées, qui nous lient et nous  «engagent». En ai-je connu de ces militants qui croyaient de moins en moins en leur cause mais n’osaient pas avouer à Maman qu’ils n’adhéraient plus au Parti, qui avaient peur de se couper des «camarades», ou voulaient conserver leur image auprès des proches…

Qui dit cohérence dit aussi degrés de cohérence. Le militant doit vivre vertueusement et modestement. On en a même connu dans le temps, comme Marchais ou Krasucki. Cela semble révolu. L’élu des déshérités est chaussé de mocassins Berlutti à 3000 euros la paire, et l’évêque des pauvres voyage en classe affaires avec son costume d’alpaga sur mesure. Que les salaires modestes lèvent la main !

La partie historique de l’exposé est plus connue et plus banale. Elle va de Marx à Sartre et des socialistes non marxistes aux théologies de la libération. Oscar Wilde, socialiste à ses heures mais militant circonspect, disait : «Le socialisme, ce serait très bien mais cela demanderait trop d’après-diner.»

L’engagement politique ou religieux naît d’une certaine vision de la société et de ses possibles transformations grâce à l’action collective, quand les acteurs pensent que leur engagement peut peser sur l’avenir, y compris par l’exemple donné à ceux qui n’ont pas encore pris conscience de l’idéal et du possible. Bref, il faut que la société soit divisée et qu’elle puisse être réunifiée, au moins en idées, sous un projet universaliste. Dans le train qui me menait à Saint- Malo, je lisais (pour la première fois ; non je ne «relisais» pas) Le zéro et l’infini d’Alfred Koestler, critique terrorisante de l’engagement et de l’écrasement des zéros humains au nom de l’infini et du 1, évidemment le 1 du n°1.

L’après-midi, on en est venu aux temps présents.
On ne s’engage plus pour le Parti, les travailleurs, le prochain grelottant dans un abri de carton. On s’engage pour le globe, l’environnement, le développement durable, la biodiversité, les pauvres, les victimes. On s’engage pour des causes si générales que tout devient diffus et abstrait. Pas gazeux ! Tout au contraire, puisque toute cette abstraction se matérialise en argent et en communication.
Est-ce que je compatis avec les victimes ? Oui puisque j’envoie de l’argent à une ONG qui m’envoie en retour le DVD de mes bonnes œuvres. Quant à la cohérence… Je vole au secours des orphelins mais dans une association d’amateurs de randonnées en 4x4 (c’est ainsi que commença L’Arche de Zoé). Quant aux généreux donateurs, ils espèrent mordicus recevoir l’orphelin qu’ils ont acheté.
Engagez-vous, mais no strings attached comme on dit dans les publicités —sans vous engager à rien.

• Yves Michaud •

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