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21 janvier 2011

Quiproquo sur la science et la religion, par Léo Poncelet

Les humanistes que je connais à Montréal m’associent tout naturellement aux unitariens. Quand j’affirme que je suis également un humaniste, je vois parfois la surprise dans leur regard. Et malgré tout, ils continuent de nous inviter, Hannelore et moi, à leurs activités. Certains sont même devenus de bons amis.

J’imagine que les humanistes n’ont pas la même idée que moi de l’humanisme, ni de la religion non plus, c’est sûr. Pour moi, la religion, du moins la religion unitarienne, n’est aucunement en contradiction avec l’humanisme. Je dirais même que le personnalisme d’Emmanuel Mounier et la théologie de la libération sont des humanismes, bien que ces mouvements soient issus de la religion catholique. Le personnalisme de Mounier est aujourd’hui méconnu au Québec, mais il a exercé une forte influence auprès de l’intelligentsia québécoise avant et pendant la Révolution tranquille (1). Sans lui, la laïcisation du Québec actuel se comprendrait difficilement.

À l’instar de la plupart des unitariens, je considère la science et la religion comme deux faces de la vie sociale. Leur apparente opposition peut et doit être dépassée pour inventer un mieux vivre ensemble, digne de notre humanitude. Utopie certes, mais utopie réalisable par notre espèce fabulatrice (2), issue d’une humble origine animale, artisane d’œuvres grandioses.

Je me suis apprivoisé à l’unitarianisme grâce à Hannelore Poncelet que j’ai rencontrée à Québec lors de nos études à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval à la fin des années soixante. Elle vient d’une ancienne famille unitarienne qui encourageait le développement de la pensée critique chez l’enfant.

Il s’avère que les unitariens ont connu une longue histoire d’intolérance de la part des catholiques autant que des protestants. En conséquence de quoi, ils ont été contraints de chercher une ligne de conduite innovatrice. Tout en étant d’accord pour reconnaître le besoin d’une religiosité, voire les variétés de l’expérience religieuse, les unitariens ont toujours su accueillir avec bonheur les résultats de la connaissance scientifique. Certains, c’est bien connu, ont même contribué à l’avancement des sciences. Cet esprit se reflète dans les quatrième et cinquième principes des unitariens universalistes (3) où on reconnaît à chaque personne la liberté de la recherche de la vérité et la liberté de conscience.

Qu’est la religion selon les deux pasteurs unitariens Alison Wohler et William Murry?

Pour Alison Wohler, la religion devrait se résumer à la recherche du juste équilibre entre l’Homme et la nature. C’est avant tout une pensée religieuse qui « devrait nous relier, pas nous désunir ; encourager la communion, pas la division ».

Selon William Murry, depuis Darwin, il est difficile, voire impossible, de concilier l’évolution des espèces, y compris l’Homme, avec l’existence d’un ordre surnaturel et le Dessein intelligent. Dès la publication du livre De l’origine des espèces (4) en 1859, au lieu de combattre la théorie de l’évolution par voie de la sélection naturelle de Darwin, les unitariens l’ont aussitôt adoptée pour donner un nouveau fondement à leur besoin de religiosité.  

Pour ces deux pasteurs, c’est clair. La religion unitarienne élimine le rapport au surnaturel et la croyance aux dogmes. Dans ce sens, on peut dire que l’unitarianisme est unique parmi les religions occidentales.

L’atavisme de l’instinct de préservation des unitariens, me semble-t-il, se reflète chez Hannelore dans sa compréhension critique de la science et de la religion. Son article, Religion sans magie, adopte l’approche de la longue durée étayée par les recherches sur le terrain du célèbre anthropologue britannique, Bronislaw Malinowski. Il ouvre une autre piste de réflexion.

Suivant ce regard anthropologique, la science et la raison ne sont pas exclusives à notre monde moderne. Elles sont aussi vieilles que la religion et la magie. La mentalité prélogique des peuples archaïques est un mythe inventé par les philosophes rationalistes de l’Occident, tel Lucien Lévy-Bruhl. Les peuples de chasseurs-cueilleurs, et d’ailleurs toutes les sociétés plus avancées, pratiquaient ce que Clifford D. Conner appelle une science populaire (5). On oublie trop souvent que les innovations scientifiques de nos lointains ancêtres sont cumulatives et ont été diffusées d’un peuple à l’autre.

Qui est ce premier savant qui a domestiqué le feu? Qui a expérimenté le feu pour cuire la nourriture et l’argile, et pour forger le fer? Personne ne le sait. Mais chose certaine, tous les humains sur la terre ont vite appris à se servir de ces innovations. Le feu et son usage sont un héritage culturel qui a amélioré le sort de l’Humanité. Et le feu n’est qu’un exemple parmi mille autres innovations dues à la science populaire, dont nous sommes les bénéficiaires.

Nos ancêtres ne pratiquaient pas seulement la religion et la magie. Ils pratiquaient aussi une science basée sur la raison. Sinon, l’humanité aurait sans doute disparu dans la lutte pour l’existence avec les autres animaux. Il y aurait certes des mouches et des moucherons, des plantes et des animaux sur ce petit point bleu pâle que les Hommes appellent terre, à la marge d’un univers infiniment complexe. Vrai, un monde sans Humains ne serait pas une catastrophe pour la nature.

Sans la science avant la science moderne, y aurait-il eu des scientifiques pour étudier le mystère de la nature? Y aurait-il eu des humains pour s’étonner et exprimer un sentiment de vertige devant l’infiniment grand et l’infiniment petit, ou encore des philosophes pour déplorer le désenchantement du monde? Y aurait-il eu un Jean de La Fontaine pour faire parler les animaux qui donnent des leçons de morale aux enfants, un Walt Disney et ses dessins animés Woody le Pic, ou Mickey Mouse?

Comment ne pas nous étonner de notre situation dans la nature? 

J’ai beaucoup réfléchi au titre du livre du professeur Cyrille Barrette,Mystère sans magie (6). Ce titre est loin d’être anodin. Depuis que j’ai lu et relu son entretien avec Michel-Ernest Clément, ce titre est devenu lumineux pour moi. Au fond, il me semble résumer toute la pensée du professeur Barrette sur la science et la religion.

Son mot « mystère » exprimerait-il l’idée de la complexité de notre univers? Du « gigantesque système interconnecté » dont nous parle Alison Wohler? Dès lors, son mot « mystère » réfère à la nouvelle science de la complexité. Cette science reconnaît le caractère interdépendant du monde dont nous faisons une partie. Voilà, trait pour trait, l’énoncé de notre septième principe unitarien (7).

Comme le rappelle Jacob Bronowski, l’Homme est une partie de la nature et participe sans cesse à sa recréation par l’art et la science. Comme l’a écrit Prigogine, prix Nobel de chimie, la science objective, dite positiviste, est un mythe. Telle que l’art, la science est une activité créatrice, « un dialogue avec la nature » dont « les réponses sont souvent inattendues »(8). À toutes les étapes de la science, le jugement et le savoir-faire doivent intervenir. La science est faite par des êtres humains et n’est pas un miroir de la nature. « Ce qu’on voit, comme on le voit, n’est que désordre », écrit Bronowski (9). Par conséquent, le savant doit ausculter la dimension profonde des choses invisibles à l’œil nu pour trouver l’unité dans la diversité.

Le professeur Barrette rejette l’attitude qu’il appelle le « Dieu bouche-trou ». Ce n’est pas à la religion de combler les lacunes dans nos connaissances, mais à la science. Croire le contraire serait succomber à la pensée magique. D’où son titre Mystère sans magie.

Pour lui, la science et la religion sont deux ordres différents, deux domaines parallèles. Le rôle de la science est de s’occuper de la recherche de l’explication du monde matériel; celui de la religion concerne la recherche du sens de la vie. Vu de cette manière, il ne peut pas y avoir de conflits entre la science et la religion. De prime abord, on pourrait croire que le professeur Barrette souscrit au principe de « non-empiètement des magistères » (NOMA), énoncé par le paléontologue américain, Stephen Jay Gould (10).

Cependant, tel n’est pas le cas. Pour le professeur Barrette, la recherche de la vérité appartient au domaine de la science uniquement. La religion ne devrait s’occuper que de la recherche du sens; de la morale, et du besoin de religiosité. Ce ne sont pas deux mondes complémentaires; la science appartient à celui de la raison, et la religion à celui de la foi. Il ne faut pas confondre ces deux mondes.

Ici, il me faut souligner quelque chose qui me saute aux yeux. Le professeur Barrette défend une science sans magie. Hannelore Poncelet défend une religion sans magie. Le mot magie est commun aux deux. Ce mot clé porte à réflexion.

La magie est une pseudoscience. Les magiciens sont des personnages qui prétendent avoir des rapports spéciaux avec le monde surnaturel, et le don de pouvoir communiquer avec les esprits ou « le Dieu bouche-trou » pour combler les lacunes de la connaissance. Dans ce cas, ce n’est pas la religion en soi qui est le problème, mais les ecclésiastiques qui empiètent sur le domaine de la science et entretiennent la pensée magique chez les gens. Trop souvent, certains individus, sans esprit critique, prennent les scientifiques pour des magiciens.

Dans son article De la nausée copernicienne et de l’athéisme comme antidote, le professeur Claude Braun allègue que les religions attribuent le désenchantement de notre époque actuelle aux innovations et aux découvertes des sciences modernes, ce qu’il appelle les révolutions coperniciennes. En contrepartie, il déplore que les religions aient la prétention de se voir comme l’essence même de l’enchantement. « Tels des Saint Georges », écrit-il, « ces scientifiques éperonnent le dragon religieux, le mettent à mort en le cantonnant toujours plus aux derniers recoins de l’irraison. Mais il est increvable… ». Pour le professeur Braun, la religion est un virus. L’antidote est l’athéisme.

Bref, il met la science et la religion dos à dos. Sa position contraste avec celle du professeur Barrette. Pour le professeur Braun, la science et la religion ne sont pas deux domaines parallèles, mais deux domaines en guerre.

Dans son article, le professeur Braun cite la diatribe de Jean Meslier, un prêtre catholique mort en 1729, pour soutenir son argument contre la religion. Mais cette citation ne cible que les magiciens, pas nécessairement la religion en elle-même. Un autre message de ce même curé, dans une lettre destinée aux prêtres, vise également les magiciens et leurs fausses sciences : « C’est à vous d’instruire les peuples, non dans les erreurs de l’idolâtrie, ni dans la vanité des superstitions, mais dans la science de vérité, et de justice, et dans la science de toutes sortes de vertus, et bonnes mœurs; vous êtes tous payés pour cela » (11). Au bout du compte, ce curé athée promeut une religion sans magie.

Il y a un quiproquo dans l’article du professeur Braun. Il mélange la religion avec la pseudoscience des magiciens et des théologiens. Il ne semble pas voir que ceux-ci se sont appropriés la religion sous de faux prétextes pour combler, par Dieu, les lacunes dans nos connaissances. La religion n’a rien à voir là-dedans.

Le professeur Braun est dur envers les religions. Mais s’épuiser à démontrer que Dieu n’existe pas donne quoi? Même si Dieu existait, ça ne changerait rien. L’homme comme espèce fabulatrice et accident de l’évolution, contrairement aux autres animaux, a dû, pour vivre, comme le montre Gordon Childe, archéologue britannique(11), se créer lui-même tout au long de sa longue histoire. La science elle-même est une création de l’homme. Elle a émergé en parallèle avec la magie et la religion durant les temps préhistoriques comme durant la révolution copernicienne.

La science populaire, comme la science moderne, prend racine dans les facultés cognitives de notre espèce fabulatrice et exige la séparation entre l’ordre factuel de la Nature et la moralité humaine. À toutes les étapes de la science, le jugement et le savoir-faire de l’humain doivent intervenir sans égard à la magie et à la religion. La science a toujours marché sur les quatre pattes dont parle Edgar Morin. C’est une méthode qui suscite « la dialogique de complémentarité et d’antagonisme entre empirisme et rationalité, imagination et vérification » (13). Cette méthode scientifique nous fait comprendre le monde comme un cas particulier du possible.

Le culte de l’Humanité qui est un humanisme fermé sur soi n’est pas plus un antidote efficace contre la nausée copernicienne que celui de l’athéisme. Mais qu’en est-il de l’existentialisme humaniste? Celui-ci est un optimisme et une doctrine d’action. Il ouvre de nouvelles possibilités pour nous sortir de l’impasse actuelle de la « déshumanisation de l’homme », voire de la nausée copernicienne dont parle le professeur Braun. Dans cet humanisme, l’homme est un perpétuel projet. Comme Sartre l’écrit, «l’homme est constamment hors de lui-même, c’est en se projetant et en se perdant hors de lui qu’il fait exister l’homme et, d’autre part, c’est en poursuivant des buts transcendants qu’il peut exister; l’homme étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au cœur, au centre de ce dépassement. Il n’y a pas d’autres univers qu’un univers humain » (14).

Face à l’irruption de l’incertitude, l’existentialisme nous ouvre à la possibilité d’un monde alternatif qui dépend de nous. En tant qu’homo sapiens nous avons la possibilité de nous transformer en homo humanus dont parle l’anthropologue Ashley Montagu (15).  Mais cela n’adviendra pas par la raison elle-même, mais avec le mariage du cœur et de la raison.

Au bout du compte, c’est par l’amour de la vie et en vertu de sa résilience que notre espèce fabulatrice sur notre terre-patrie (16) saura s’inventer, comme par le passé, un monde à sa mesure dans les millénaires à venir. Et ce sera grâce à la dimension authentiquement créatrice de la science où le chercheur fait bel et bien partie de la réalité qu’il observe et où l’univers observable est en perpétuelle construction de manière indécidable par avance.

Cette femme et cet homme de cœur, lucides et courageux, dont nous parle André Comte-Sponville (17), sont-ils des humanistes, des existentialistes humanistes, des unitariens humanistes? Je ne sais trop, mais nous pouvons tous, en tant qu’homo sapiens, au moins essayer de devenir homo humanus en montant dans les ordres (18) de Comte-Sponville. La société dans laquelle nous vivons tend à nous faire descendre vers les ordres inférieurs, à confondre les ordres pour nous faire tomber dans la barbarie. La femme ou l’homme de cœur, lucides et courageux sont des personnes qui ont d’autres primautés qui les libèrent de la pesanteur du groupe. Ils sont mus par des valeurs qui leur donnent la capacité de remonter la pente vers les ordres supérieurs, sans les confondre et  tomber dans l’angélisme.

Pour conclure, j’ai essayé de dévoiler l’unité dans la diversité des idées dans les diverses contributions de ce numéro; de trouver le fil d’Ariane pour nous sortir du labyrinthe de la pensée magique, du quiproquo sur la science et sur la religion.

NOTES

1.         Meunier, E.-Martin & Warren, Jean-Philippe. Sortir de la « Grande noirceur ». Les Cahiers de Septentrion. Sillery, Québec. 2002.

2.         Houston, Nancy. L’espèce fabulatrice. Actes sud/Léméac. Paris. 2008.
3.         4e & 5e principes unitariens universalistes : La liberté et la responsabilité de chaque personne dans sa recherche de la vérité, du sens de la vie et de la signification des choses; La liberté de conscience et le recours au processus démocratique aussi bien dans l’ensemble de la société qu’au sein de nos assemblés. 

4.         Darwin, Charles. De l’origines des espèces.  Marabout université. Verviers (Belgique) 1973 (1859).

5.         Conner, Clifford D. A People’s History of Science. Nation Books. Boston. 2005
6.         Barrette, Cyrille. Mystère sans magie
. Science, doute, vérité : notre seul espoir pour l’avenir.      Éd. MultiMondes. Québec. 2006
7.         7e principe unitarien universaliste : Le respect du caractère interdépendant de toutes les formes d’existence qui constituent une trame dont nous faisons partie.
8.         
Prigogine, Ilya. La fin des certitudes. Odile Jacob. Paris.1996. p.65.
9.         Bronowski, Jacob. Science and Human Values. Harper & Row. New York. 1965. p. 14.
10.       
Gould, Stephen Jay. Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! ». Seuil. Paris. 1999.
11.       
Meslier, Jean http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Meslier
12.       Childe, Gordon V. 
Man Makes  Himself. A Mentor Book, The New American Library. USA. 1958 (1936)
13.       Morin, Edgar. Science et conscience. 
Fayard, Éd. du Seuil. 1990. p.176.
14.       Sartre, Jean-Paul.  L’existentialisme est un humanisme. Les éd. Nagel. Paris. 1970. p.92-93.
15.       Montagu, Ashley & Matson, Floyd. The Dehumanization of Man. McGraw-Hill. New York. 1983.
16.       Morin, Edgar. 
Terre-Patrie.(Avec la collaboration d’A.B. Kent) Seuil, coll Points. Paris. 1996
17.       Comte-Sponville, André. Le capitalisme est-il moral ? Albin Michel. Paris. 2004. p.144.
18.       Idem. Les quatre ordres sont : techno-scientifique, juridico-politique, morale, et éthique. p.47-70. Dans un autre livre il en parle d’un 5e ordre, la spiritualité.

 

Léo Poncelet

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